Lettre citoyenne sur le boisé Joinville

boiséLes citoyens de Duberger-Les Saules sont déçus du projet concernant le parc technologique près de la rue de Joinville. (Photo : Pixabay)

Lettre adressée à M. Bruno Marchand, maire de Québec

Québec, le 17 décembre 2022

Bonjour M. Marchand,

J’habite l’avenue du Sémaphore, dans le quartier Les Saules, et ce depuis près de 25 ans déjà. Tout jeune homme, j’ai emménagé dans ce quartier en caressant le rêve d’y fonder un jour une famille. Comme j’avais deux oncles habitant ce quartier, je le connaissais un peu et je l’ai choisi notamment pour sa tranquillité, pour sa proximité relative avec mon lieu de travail (le Collège Saint-Charles-Garnier, que vous connaissez bien) et pour le sentiment de sécurité que j’y retrouvais, mais aussi parce qu’il semblait correspondre à mon besoin de retrouver une certaine nature en
ville.

Sitôt arrivé, je me suis fait un plaisir de le découvrir un peu plus. En tant qu’amoureux de la nature et adepte de plusieurs activités de plein air, j’ai profité de certains de mes temps libres pour prendre des marches, aller courir ou faire du vélo et du patin dans ses rues, certes, mais progressivement je me suis mis à fréquenter des lieux insoupçonnés en dehors des sentiers battus. En effet, je suis allé au-delà des rues du quartier afin d’explorer sa périphérie.

Mes premières « expéditions » m’ont mené, après quelques pas de course depuis ma maison, puis un saut de voie ferrée, directement dans le parc technologique, un vaste endroit plutôt paisible ceinturant le quartier. À cette époque, il y avait déjà quelques entreprises à vocation scientifique bien implantées dans ce parc, mais ce qui m’a frappé avant tout, c’est à quel point on avait semblé développer ce lieu en préservant de nombreuses étendues de forêt et des milieux humides abritant une flore et une faune étonnantes.

Au fil de mes escapades, j’y ai rencontré des merles, des mésanges, des sittelles, des cardinaux, des corbeaux, des pics-bois (même des grands pics), des colibris, des chouettes et des faucons pèlerins (oui, monsieur), des canards, des écureuils, des marmottes, des lièvres… D’aucuns y ont vus des renards et des cerfs de Virginie. Pour ma part, j’y ai vu aussi des ratons laveurs et même, des porcs-épics, dont un survivant, pas plus tard que cet été. Peut-être était-ce d’ailleurs le dernier survivant, qui sait…

Car en effet, depuis une vingtaine d’années, j’ai malheureusement vu plusieurs de ces ilots de verdure disparaître sous la violence expéditive des « bûcherons d’acier », ces horribles engins jaunes qui massacrent sans retenue des arbres ayant mis des décennies à croître.

Or, cette semaine, j’ai eu une triste pensée pour ce gros porc-épic aperçu cet été lorsque de nombreux résidents de mon quartier ont annoncé avoir constaté avec stupéfaction, sans avoir été consultés, ni même informés, un abattage d’arbres intégral sur un lot du boisé du parc technologique, un lot
situé dans une bande de forêt que l’on m’avait présenté en 1998 comme étant une zone tampon protégée entre le quartier et le boulevard du parc technologique, zone tampon permettant notamment d’amoindrir les nuisances sonores permanentes provenant de l’autoroute Henri-IV. Au surplus, la bande forestière actuelle comptant une cinquantaine de mètres constitue certes un seuil minimal afin qu’on puisse s’y introduire avec le sentiment réel que l’on se trouve dans une forêt.

Vous connaissez la raison de ce massacre, Monsieur le maire, du moins vous la connaissez probablement mieux que nous, simples résidents : ce serait apparemment pour implanter une entreprise spécialisée en optique ou autre domaine technologique. Vous qui me connaissez, vous savez que je n’ai rien contre l’optique, que j’enseigne avec passion depuis près de 30 ans.

Mais lorsque je vais courir, pédaler ou patiner dans le parc techno, j’y vois entre autres des locaux spécialisés en optique qui demeurent à louer durant des années, j’y vois une bâtisse toute neuve, construite il y a un ou deux ans, après un autre saccage de forêt en règle, une bâtisse pourtant encore inoccupée à ce jour, j’y vois d’autres terrains beaucoup plus éloignés des maisons de mon quartier résidentiel qui pourraient sûrement, en cas d’absolue nécessité, servir à ériger de nouveaux bâtiments.

Mais là encore, avec le nombre impressionnant de terrains vacants tout au long du boulevard Hamel (artère rapidement accessible par le parc technologique), y a-t-il réellement une nécessité de massacrer les quelques rares coins de forêt encore à porter de marche pour y construire de nouvelles bâtisses ?

Je vous sais sportif et soucieux de votre santé, M. Marchand. Encore récemment, nous avons eu une trop brève mais constructive discussion au sujet, entre autres, des pistes cyclables. Je ne crois pas vous apprendre quoi que ce soit en vous disant que l’activité physique aide à la détente et favorise le mieux-être. Je ne vous apprends peut-être rien non plus en vous disant que les bains de forêt sont bénéfiques pour diminuer le stress (voir le livre Shinrin-yoku évoquant les recherches du Dr Qing Li). Vous savez comme moi que c’est la proximité et l’accessibilité rapide à des installations comme des gymnases ou des pistes cyclables, ou encore des lieux naturels comme des parcs, qui favorisent plus que tout la pratique de l’activité physique.

Avec cette bande de forêt que les « bûcherons d’acier » s’apprêtent, avec votre consentement, à massacrer, c’est une partie de l’enfance de mes enfants et de leurs amis qui serait réduite en brins de scie : cette forêt a vu de nombreuses cabanes éphémères être aménagées avec des bouts de branches et de la ficelle par des petits bougres créatifs, notamment durant les interminables mois de confinement des dernières années (sûrement l’un des seuls souvenirs positifs de cette période sombre).

Cette forêt accueille des promeneurs de tout âge, jour après jour, car elle est là, tout près, dans notre cour. Tout comme notre école de quartier, elle fait partie de la signature du quartier. Il n’est d’ailleurs pas rare que des classes extérieures s’y déroulent. Cette forêt, vous devez à tout prix le réaliser, fait partie des solutions gratuites (pour les citoyens, comme pour la Ville) exploitées au quotidien par la communauté du quartier afin d’améliorer le mieux-être de tous.

Nous comprenons tous que la Ville de Québec puisse avoir à cœur le développement économique du parc technologique : j’appuie ce point de vue. Mais je demeure convaincu qu’il est faux de dire que cela passe inévitablement par l’abattage des arbres des autres lots situés à côté de celui déjà rasé, ou en d’autres termes, que cela passe par la détérioration de la qualité de vie des citoyens du quartier, avec la pulvérisation d’un autre poumon vert. Suite à l’abattage d’un premier lot du boisé derrière les résidences situées sur la rue de Joinville, le mardi le 12 décembre 2022, quelles sont vos réelles intentions, M. Marchand, concernant les terrains vacants encore disponibles à proximité ? Je vous ai donné quelques pistes de solutions plus haut.

Lors de notre récente discussion, alors que je vous félicitais pour votre élection, vous me disiez, l’air déterminé : « Maintenant, il faut livrer ». Vous connaissez le respect que j’ai pour vous, M. Marchand. Mais aujourd’hui, j’ai un doute concernant ce que vous entendiez alors par livrer. Je suis de ceux pour qui le rôle d’un maire, bien avant de « livrer » des projets de grandeur dont on n’est pas toujours certains de la nécessité, est d’abord de « livrer » un milieu de vie favorisant la sécurité et le bien-être de ses concitoyens. Tout comme ceux-ci, j’ai bien entendu cette semaine votre dénonciation de l’ancienne administration concernant la vente des terrains boisés qui nous préoccupent. Malheureusement, je dois vous avouer que cela n’a semblé convaincre personne ici.

Il arrive parfois qu’une nouvelle administration subisse les contre-coups des décisions de l’administration précédente, mais certaines informations obtenues tendent à démontrer que cela ne s’applique pas dans le présent dossier. Bref, dans l’état actuel des choses, il n’est pas du tout trop tard pour sauver la quasi-totalité du boisé adossé à l’avenue de Joinville (de même pour celui plus au Nord).

Et en toute bonne foi, nous sommes plusieurs à vous offrir notre aide en matière de recherche de solutions durables et s’inscrivant véritablement, AU-DELÀ DES MOTS, dans le sens du respect des milieux naturels, de la biodiversité et de la qualité de vie des citoyens, avec en tête qu’il en va de l’avenir de nos enfants.

Je vous remercie sincèrement pour l’attention que vous porterez à cette lettre.

Avec tout mon respect,

Pierre Latulippe, l’homme qui planta un million d’arbres

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