Nous ne sommes pas seuls

On peine à se sortir de la pandémie et on le sent : y’en a qui ont hâte qu’on reparte la roue pour de bon.

Par David Lemelin

Ah oui.

C’est curieux, ce réflexe. L’après-pandémie devrait nous permettre de retrouver une économie encore plus prospère, on souhaite continuer la croissance, hausser la consommation… on a hâte, on a hâte…

Mais, où est-ce qu’on s’arrête? Ou du moins, qu’on ralentit?

Au plus fort du confinement, les GES n’ont diminué que de 3 %. En somme : l’activité humaine en fait déjà trop, depuis trop longtemps. Le rapport Meadows exposait pourtant les limites à la croissance dès… 1972! Et les rapports du GIEC qui se succèdent ne font qu’amplifier l’urgence de « mettre un frein à l’immobilisme », comme on dit, avec un peu d’humour noir.

Ce que je veux dire, c’est : est-ce qu’on aborde les problèmes par le bon angle?

Fabriquer des voitures électriques pour continuer d’avoir des bouchons monstres… mais de chars électriques, c’est pas corriger le tir. C’est trouver une innovation technique pour continuer de faire comme on faisait déjà. Donc, continuer ce régime qui nous a conduits là où nous en sommes. On polluera moins (quoi que, pour la fabrication de batteries, ça pollue énormément) tout en évitant de se regarder dans le miroir.

Certes, le transport collectif est incontournable. Les technologies vertes, OK. Mais, le mode de consommation, lui? Les habitudes? La dépendance extrême aux rendements, telle qu’établie par un modèle économique qui peine à se remettre en question?

On peut annoncer des relances, fabriquer des batteries, injecter des sommes publiques pour que les gens retournent dans les magasins. À court terme, on peut comprendre l’envie, même psychologique, de retrouver un semblant de normalité.

Mais, est-ce que c’est de ce type de virage dont parlait Harvey Mead dans son livre intitulé « Trop tard »? Or, il indiquait que même un virage drastique était insuffisant pour infléchir les courbes. Nous courrons vers le mur. En fait, nous y roulons, le pied au plancher. Dans un char à essence ou électrique, le choc ne sera pas moins violent. Avec l’électrification des transports, nous prendrons simplement un peu plus de temps avant de nous planter.

Il y a des voix qui s’élèvent pour réclamer plus de sobriété, de simplicité, moins d’appétit pour l’autodestruction que semble avoir l’humain, jusqu’ici. Ça paraissait utopique et vaporeux pour plusieurs, il n’y a pas si longtemps. Aujourd’hui, ceux qui prononcent le mot « décroissance » ne sont plus des hérétiques. On les voit davantage comme des oiseaux de malheur qui gâchent la fête, mais plus comme des « fous ».

Le nombril du monde

Avec un peu de recul, on réalise de plus en plus ce que constitue l’« outcome » de la société individualiste, axée sur la consommation et la satisfaction des besoins et désirs individuels au-delà du raisonnable. Le jugement collectif se dilue dans ce réflexe instinctif où le nombril devient le centre du monde. Que dis-je… de l’univers.

Le plus bel exemple de ça est probablement la manifestation des camionneurs à Québec et Ottawa. Quand un groupe accepte de partager le même air que des gens qui se promènent drapeau nazi à la main, on se dit qu’il y a quelque chose quelque part qui a été échappé en chemin. Ainsi, des gens seront à ce point tournés vers leur nombril qu’ils perdront de vue le ridicule de la situation. Par exemple, un immense camion portant une affiche « laissons nos enfants respirer ». Ce message a également été porté avec vigueur par une femme, cigarette au bec, déclarant vouloir que nos enfants puissent enfin « respirer ». 

Le tabac, oui, le masque, non. D’accord…

On ne sait pas s’il faut éclater de rire ou pleurer. Ça dépend de l’humeur de chacun.

Ce qui me venait alors à l’esprit, c’est cette impression d’observer des gens qui se croient seuls, indépendants, comme autant de cellules individuelles détachées de la société et de la planète. Je me suis alors dit : on franchit la limite, là.

Dans La République, Platon nous dit que pour vivre en communauté, il y a un sacrifice à faire, forcément. C’est le bien commun plutôt que le bien personnel. On est là. En fait, on s’est considérablement éloigné de tout ça. Certes, l’appel au collectif Québécois de Legault a fonctionné : les Québécois se sentent interpellés quand on s’adresse à eux, directement. Et ils ont répondu massivement par la vaccination. Ça a sauvé bien des vies.

Mais, l’urgence d’agir collectivement n’est pas moins vraie lorsqu’on parle de la planète. L’environnement, c’est ce qui nous entoure dirons-nous, une façon très « anthropocentrée » de considérer le monde, alors qu’on devrait peut-être plutôt parler de la nature. La nature, c’est le vivant, animal et végétal, qui habite cette planète, qui lui donne vie, tout comme ces millions d’individus qui croient que l’univers se limite à l’extension de leurs bras. 

Pendant ce temps, ce n’est pas le réchauffement climatique, menace certes extraordinaire, qui provoque la disparition de millions d’espèces animales, mais bien notre occupation de l’espace, du territoire, notre appétit pour la productivité, pour la destruction de ce qui est un obstacle ou un outil dans l’assouvissement des besoins individuels. Ce sont les pesticides, la pollution… bref, nous.

Le ciel de Limoilou est déjà menacé par le nickel et on vote pour hausser les normes? Sans blague, où s’est passée la déconnexion? Pourquoi cette obsession de la croissance? Parce que c’est comme ça que ça doit marcher?

Non.

Faut savoir que la tendance de l’humanité n’est pas à la croissance débridée. Au contraire. Un économiste et historien britannique, Angus Maddison, s’est intéressé à la croissance mondiale sur une très longue période, notre ère (de l’an 1 à 1998), et sa conclusion? Avant la révolution industrielle du 19e siècle, le taux de croissance mondiale était, en moyenne, de… 0,2%.

Pas plus.

Bien sûr, de nombreux problèmes et défis ont été relevés avec les périodes de croissance plus forte, notamment en santé avec les progrès de la science, avec les infrastructures qui donnent accès à l’eau potable, etc. Oui, oui.

Mais, la question prise de front aujourd’hui : l’humanité peut-elle vivre différemment? Survivrait-elle à moins de croissance?

Aucun doute.

À chaque fois qu’il y a eu progrès (ou limitation) des conditions des travailleurs, les industriels criaient au scandale et pleuraient l’inévitable faillite à venir. Ils sont, en 2022, plus riches que jamais. Le Capital n’a jamais, jamais été en recul. Il se porte à merveille.

Sauf que la vie, dans l’œil de la finance, se limite à ne surtout pas chercher à freiner la croissance. La croissance, c’est la vie. Or, cette vision détourne le regard de ce qui nous entoure, de ces animaux qui n’ont rien demandé, de cette végétation qui se portait mieux quand l’humain n’était pas debout sur ses pieds. C’est faire comme si nous étions seuls, sur ce globe (ou cette assiette, si vous êtes platistes).

Mais, quand oserons-nous nous regarder dans le miroir?

L’humoriste américain Bill Hicks, qui avait un style assassin qui a fait son succès, disait des humains que nous étions « un virus avec des souliers ». 

Faudrait peut-être essayer de lui donner tort.

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