Cinq ans : ne jamais oublier

Bannière commémorative de la tragédie de la mosquée de Québec.Photo : Simon Bélanger

Il y a cinq ans survenait une tragédie sans nom qui a enlevé la vie de six hommes. Qui en a blessé plusieurs autres. Qui a produit des veuves et des orphelins. Ce coup de poing déchirant au cœur de la Ville de Québec, c’est le 29 janvier 2017 qu’il s’est produit. Et c’est à ce moment que notre ville a perdu son innocence…

Simon Bélanger

À chaque année, lorsqu’on se rapproche de cette date fatidique, je me dis toujours la même chose. Déjà un an… Déjà deux ans… Déjà trois ans… Déjà quatre ans… Déjà cinq ans… 

Toujours cette impression que ce drame vient à peine de se produire.

Et toujours cette impression que trop d’entre nous l’avons déjà oublié.

Cela fait déjà cinq ans qu’un homme est entré dans un lieu de piété pour commettre l’irréparable, lors de cette soirée glaciale de 2017.

La haine

À l’époque, j’habitais à 500 mètres de la Grande Mosquée de Québec, dans un appartement du chemin Sainte-Foy. Je passais une soirée tranquille avec ma conjointe, sans me douter du drame qui allait s’annoncer à moi par un « ping » funeste sur mon téléphone. 

Celui d’une notification de Radio-Canada, qui m’annonçait que des coups de feu avaient été tirés dans une mosquée de Québec.

Incrédule, je me rends sur le balcon pour voir plusieurs gyrophares au loin, face à la mosquée.

Comment cela pouvait-il arriver à Québec? Pourquoi? Que s’était-il passé? 

Le lendemain, encore sous le choc après avoir pris la mesure de la tragédie, je me suis fendu d’un statut Facebook. Je n’aurai pas sauvé le monde avec ça, mais ça me permettait au moins de mettre des mots sur ce brouillard dans mon cerveau. 

Cinq ans plus tard, je relis ce texte que j’ai écrit, rempli de bonnes intentions et de compassion pour les victimes, et je ne changerais pas une phrase.

Sauf la première.

« Québec, ville paisible et agréable à vivre, où les principaux problèmes dans l’année sont le ramassage des vidanges et le déneigement des rues après les tempêtes. »

J’étais naïf. Ou inconscient de mon privilège.

C’est vrai que, malgré les tragédies de la mosquée de 2017 et de l’Halloween 2020, la Ville de Québec est, en Amérique du Nord, l’une des plus sécuritaires. Nos élus le répètent d’ailleurs constamment.

Mais ce n’est pas vrai que la collecte des déchets est un problème majeur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et ce n’était pas le cas avant le drame.

Des gestes haineux, il y en avait déjà eu. Et j’étais au courant.

Une tête de porc laissée devant la même mosquée sept mois plus tôt, c’était un geste haineux. Et Wikipédia m’apprend même que ce type d’action porte un nom : la profanation à la tête de porc. 

Quoi qu’en dise un ancien animateur de radio devenu chef de parti politique, ce n’était pas une « joke niaiseuse ». 

C’était de la haine.

Et cette haine s’est exprimée de la plus terrible des façons sept mois plus tard.

L’amour

Mais ce n’est pas de haine que je veux parler. Il ne faut jamais oublier ce qui s’est produit ce soir-là. 

Mais il ne faut pas non plus oublier les événements du lendemain.

Je veux parler d’amour.

C’est cet amour que la population de Québec a envoyé à une communauté musulmane meurtrie, alors que le 30 janvier 2017, nous étions des milliers rassemblés à tenter d’absorber une partie de la peine vécue par nos voisins.

C’est de cet amour que je me suis rappelé quand, un an après la tragédie, alors que j’avais toutes les difficultés du monde à sortir ma voiture de mon stationnement en raison de la neige et de la glace, un homme s’est arrêté pour me prêter ses plaques d’adhérence (ou « traction aids »). Il m’a simplement dit d’aller les porter à l’entrée de la mosquée quand j’aurais réussi à sortir.

Je suis encore touché par ce geste tout simple de générosité, mais aussi de confiance. Cet homme aurait eu toutes les raisons du monde d’alimenter une méfiance envers moi et de ne pas vouloir que n’importe qui entre dans ce temple rempli de blessures toujours à guérir. Mais il n’avait qu’un désir d’aider son prochain.

C’était la première fois que je pénétrais dans l’enceinte d’une mosquée. Je me sentais comme un imposteur. Pas parce que je ne me sentais pas le bienvenu, bien au contraire. J’avais plutôt l’impression d’accéder à un lieu toujours chargé d’un deuil qui n’était pas le mien. 

Je suis rentré et sorti rapidement, le temps de déposer les « traction aids » providentiels, à l’endroit où les fidèles déposent chaussures et bottes avant d’aller prier. 

Des chaussures que six d’entre eux n’ont plus jamais enfilé…

Se souvenir

En fin de semaine dernière, nous commémorions les cinq ans de cette tragédie, avec cérémonies et discours de représentants de la communauté musulmane et de politiciens. Ce genre d’exercice est important et primordial pour se souvenir et panser les plaies. 

Je dois être honnête et avouer que je n’ai pas écouté. Pas par manque d’intérêt ou de compassion. 

Mais par ce même sentiment d’imposteur que j’ai senti en entrant dans la mosquée. Cette impression que ce drame, je dois le laisser à ceux et celles qui l’ont vécu et le vivent encore aujourd’hui.

Moi, je me contenterai de saluer la résilience de tous ces gens, qui continuent d’accorder leur confiance aux habitants d’une ville qui a trahi la leur un soir de janvier.

Et de dire merci pour les « traction aids ».

En hommage à Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi Abdelkrim Hassane, Azzedine Soufiane et Aboubaker Thabti. Aux blessés au corps et à l’âme. Aux familles. Aux amis. À nos voisins. À nos concitoyens.

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