La sécurité, c’est public

Il y a une vingtaine d’années, je faisais une entrevue télé avec Reggie Chartrand, un Chevalier de l’indépendance qui me racontait son passage à Québec pour venir manifester contre la visite de la reine Élisabeth II. C’était en 1964, lors du fameux « samedi de la matraque ».

Bien qu’il fût lui-même boxeur et capable d’en prendre, il me disait alors que ses collègues manifestants s’amenaient dans la Vieille Capitale, la crainte au ventre : « la police de Québec, c’était la plus brutale de la province. Elle avait la réputation d’être la plus tough ». Pour illustrer la chose, il me parlait du policier venu le matraquer alors qu’il se trouvait dans le corridor de l’hôpital, sur une civière.

Oui, c’est fou.

Les temps ont bien changé, fort heureusement. Notre police n’est plus ce qu’elle était. Les événements déplorables se font rares, les agents de la paix sont aujourd’hui des acteurs positifs de la communauté qu’on trouve dans les écoles, dans des cérémonies, à incarner des valeurs publiques qui nous sont chères.

En revanche, visiblement, il semble rester quelques pommes dans le panier qui gâtent l’appréciation générale. Les images révoltantes qui circulent sont pour le moins incontestables : ça ne va pas du tout. De la violence, du profilage racial… c’est inadmissible.

Que doit faire le maire de Québec dans un pareil contexte ? Premier réflexe classique d’un nouveau venu : on garde ses distances. C’est prudent et ça pourrait sembler être le bon choix.

Alors, afin que Marchand se présente devant les micros, on lui prépare quelques lignes de com, pour le positionner comme un homme raisonnable. Il déclare ainsi que c’est important de faire une distinction nette entre le politique et les opérations policières. Il ajoute, le regard sérieux comme on lui a dit de faire, que « le jour où le maire de Québec demande à la police de faire ou de ne pas faire (sic), ou de précipiter des gestes (…) sera un triste jour ».

Bon. Ça ne devait pas être écrit comme ça sur le carton, mais ça a sorti comme ça.

Il ajoute enfin qu’il est satisfait de la réponse du corps policier (qui a suspendu cinq agents) et, pour prouver qu’il est dans les bons souliers, il conclut : « C’est un piège. C’est facile de jouer au héro comme politicien et de dire  »moi je vais demander, je sais ce que le service de police devrait faire » (…). Ça voudrait dire que le politique s’immisce dans le service de police, et ça, par après, ça peut créer un paquet de problèmes ».

Bon.

Cette stratégie, ç’a été pondu par des gars qui viennent de la politique provinciale. En principe, le politicien essaie de se tenir loin de la police, parce que, historiquement, ç’a été compliqué. C’est ce qu’on a expliqué à Marchand. Alors, il répète des lignes qu’on aurait dites à l’Assemblée nationale.

Pourtant, c’est la même équipe de stratèges qui lui a fait dire que pour le logement, on n’allait pas s’arrêter aux juridictions respectives. Oui, bon. On va se démêler un peu…

Il n’est pas question ici de séparation des pouvoirs, du moins pas dans le sens constitutionnel du terme. C’est pas du système de justice qui juge les citoyens en dehors de l’influence politique dont il est question. On parle de sécurité publique. Et la police de Québec relève de qui, vous croyez ?

De la Ville de Québec.

Les villes qui possèdent un corps policier sont les premières responsables de la sécurité sur leur territoire. L’UMQ, d’ailleurs, a non seulement plaidé pour que le gouvernement du Québec respecte l’autonomie municipale à ce propos, mais aussi qu’il règle l’enjeu du financement, justement pour que les villes puissent améliorer les choses et cessent d’être la cour dans laquelle le gouvernement du Québec se débarrasse des problèmes, sans donner aux villes les moyens de leurs ambitions.

Bref, la politique, oui, indique la voie à suivre. Il ne donne pas les détails de ce qui doit se faire dans les opérations quotidiennes, c’est évident, car ce n’est pas son rôle. Mais, l’état d’esprit qui doit guider son service de police, oui, émane du politique. Un maire doit faire connaître ses attentes en termes de sécurité publique, car c’est vers lui, au final, que les citoyens se tourneront lorsqu’ils auront des questions. C’est la Ville qui est responsable de la sécurité de ses habitants.

Je sais qu’on va probablement se taper ça pendant encore un an ou deux, à entendre des commentaires cousus d’incertitude, des déclarations convenues, du vide qu’on fera passer pour du plein, je sais. Marchand doit s’improviser maire avec un bagage inexistant. Fallait s’y attendre.

Or, pendant ce temps, les citoyens observent, constatent et concluent que ça ne va pas du tout, côté sécurité. Des doutes et des critiques légitimes s’élèvent, l’indignation fait tache d’huile. On peut attendre la fin des enquêtes pour connaître exactement l’étendue du problème et décider précisément ce qu’il faudra faire. Oui, d’accord. Mais, d’ici là, le message le plus responsable sera celui qui fait clairement savoir qu’à Québec, la sécurité est publique.

Et que c’est dans le respect, la confiance et le civisme qu’elle se déclinera. Et pas autrement.

Commentez sur "La sécurité, c’est public"

Laissez un commentaire

Votre courriel ne sera pas publié.


*


Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.