Dans la rue (I) : La fièvre du hockey

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Hier soir, « la ville était hockey ». À vrai dire, le Québec est hockey depuis déjà plusieurs semaines. Assistons-nous à un « grand théâtre sportif » ou à une « carnavalisation de la ville », pour reprendre les mots d’Alain Deneault[1] ? Est-ce plutôt l’expression d’une fierté nationale, la célébration de notre peuple? 

Nous sommes descendus dans le quartier Saint-Roch, au Pub du Parvis, pour en discuter.

Le projet identitaire québécois : gagner la bataille

Le nationalisme québécois semblait hier encore se réfugier dans le hockey, sport qui accueille facilement l’esprit revendicateur. En effet, le vocabulaire du hockey en témoigne.

« Grand homme », « guerre de tranchées », « gagner la bataille », « attaquer sur tous les fronts », « CH en territoire ennemi » : les journaux débordent ces derniers temps de ce vocable guerrier. 

En effet, les québécois semblaient se permettre hier d’exprimer cet urgent besoin d’exister. Le parcours symbolique jusqu’à la libération finale que représente la Coupe laisse libre cours au désir du « petit peuple » de prendre sa place. On se bat avec les Canadiens pour se débarrasser de cette image de négligés et de perdants. 

« Ça fait depuis 1993 qu’on attend une finale de la Coupe Stanley. C’est le meilleur championnat au monde et si une équipe québécoise peut gagner, ça serait une fierté. », proclame Marc-Olivier Vallerand, capitaine de l’équipe des Remparts de Québec lors de la saison 2009-2010. 

«La petite équipe négligée et qui en arrache en arriverait enfin à une victoire le soir de la Saint-Jean. La minorité francophone gagnerait en face de la majorité anglophone qui nous asservit. On vit notre référendum de 1995! », déclare Anne Gauthier, grande partisante des Canadiens. 

Cet élan nationaliste est partagé avec plus de modération par ses voisins qui se disent « souverainistes mous ». « On serait games, mais on ne fera pas d’efforts spécifiques », avoue joyeusement Maxime Beaudoin.

Les Québécois semblaient redécouvrir certains espoirs d’une fierté nationale. À la fin de la partie, c’est à coup de « On va l’avoir notre pays! » à la taverne du Jos Dion que les fans terminaient leur dernier verre.

« Je n’ai jamais été aussi fier d’être québécois. C’est la fête nationale et il faut la vivre à fond. Personnellement, j’aurais aimé voir plus de drapeaux du Québec dans l’assistance, mais on a gagné et ça fait la job », commente un citoyen préférant conserver l’anonymat. 

« Ça veut dire que dans 2 ans on va avoir un référendum », s’exclame son voisin à demi sérieux, demi blagueur.  

À défaut de chercher comme Alain Deneault la « signification politique de cris de ralliement infantiles » dans la culture du spectacle comme « opium du peuple », le hockey rassemble ce qui reste de l’élan vital d’un peuple. Il est le phénomène qui exprime le mieux ce qui peut rester de l’enthousiasme des citoyens. 

Mais les Nordiques eux…

Il est malgré tout difficile de passer à côté de la mondialisation du phénomène : c’est l’identité québécoise qui se trouve éparpillé à travers tout le continent. 

« Y’a des anglophones qui nous ont arrêtés pour nous demander si c’était ostentatoire d’avoir un chandail du Canadien de Montréal à Québec à cause du feu Nordique. Absolument pas, mais je comprends l’inquiétude », raconte Anne Gauthier. 

« Les Maurice Richard, les Jean Béliveau, oui ils ont une grande histoire, mais ça fait partie du passé. En cette journée de souveraineté, je ne me suis jamais autant sentie canadienne », complète-t-elle.

Ici, la fierté, en absence d’un lieu clair où se déployer, semble errer, ne pas savoir exactement où se fixer. 

Cette perte d’un lieu clair de l’identité, d’une équipe effectivement québécoise, semble insuffler une insécurité identitaire. C’est ce que porte en eux les grands nostalgiques des Nordiques, déplorant la sous-représentation des québécois dans l’équipe du Tricolore. 

« Dans le temps de Serge Savard, la moitié de l’équipe était des joueurs québécois. Je ne comprends pas que le DG n’en repêche pas plus. Ça ne me rentre pas dans la tête », déclare Yves Michaud, découragé. 

« Ce qui manque au CH pour repêcher des québécois c’est les Nordiques », répond son voisin de table Carl Beaulieu, partisan des Nordiques. « En 1993, la moitié des joueurs était des québécois, mais comme on n’aura jamais d’équipe, je trouve que c’est une bonne idée que le Canadien gagne la Coupe Stanley. C’est quand même bon pour la province de Québec », affirme-t-il tout de même, résigné.

La rue respire

Hier soir, les citoyens semblaient détendus. Le déploiement d’une célébration sportive, avec son cortège de gilets aux couleurs de la Sainte-Flanelle et de fraternité rieuse, évacuait l’angoisse et la lourdeur pandémique. Être complètement pris par un tel évènement est salutaire ; l’oubli est nécessaire à la cohésion, au projet, au bonheur de la société. 

Alain Deneault parle d’un pouvoir de déresponsabilisation du spectacle. Le hockey ne serait qu’un « jeu d’apparences qui ne fonde ni ne réfère à aucune activité sociale ». Mais le hockey est un phénomène politique, puisqu’il permet de « sortir de soi ». Il engage à se mêler à la foule, à partager des sentiments collectifs, mais surtout, il apaise les maux liés à la suractivité sociale. 

Entre les débats pour ou contre la vaccination, le combat contre le racisme et le sexisme, la lutte contre les changements climatiques, la population respire enfin. Les enjeux sont simplifiés. Surtout, il y a la Saint-Jean-Baptiste qui joue le rôle d’un liant final, une fête reconnue significative par tous. 

Les variables de la joie se trouvent ainsi réduites. Ajoutons-y quelques pintes de Molson et c’est l’abolition totale de l’angoisse sociale. Ce moment de paix est politiquement nécessaire. C’est la tension constante d’un peuple, sa suractivité, qui le pousse au burnout, qui le désintéresse irrémédiablement de son histoire. Le citoyen a besoin d’un monde simplifié pour retrouver un enthousiasme vital à l’égard de son peuple. 

Peut-être qu’Alain Deneault se trompe : gagner la Coupe Stanley aurait une conséquence sur le réel historique, puisque justement cette victoire n’est pas intéressée ou proprement politique. Elle est symbolique. L’histoire se réalise par des images, par le déploiement du vécu imaginaire d’un peuple. La Coupe est le symbole de la persévérance : les Québécois persistent à survivre. 

Malgré cela, ce matin, l’élan souverainiste soudain de plusieurs est probablement déjà en train de s’éteindre. La fierté nationale restera peut-être jusqu’à la finale, mais sous forme d’une passion vague et confuse.


[1] Voir le chapitre 7 « « Du paix et des jeux » : lire le Juvénal à Montréal » d’Alain Deneault dans Le Canadien de Montréal : une légende repensée (PUM, 2011) 

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