Eugène Marquis et le premier incinérateur de Québec

archives courrier limoilou incinerateur(Photo : Capture écran)

Par Karim Chahine et Julien Renaud-Belleville

Cet article est publié dans le cadre d’une série de textes historiques portant sur Le Courrier de Limoilou. Écrits par Karim Chahine et Julien Renaud-Belleville, deux jeunes historiens résidents du Vieux-Limoilou, ces textes vous permettront de plonger dans l’histoire de ce journal de quartier publié de 1934 à 1975. Ce projet de recherche a été réalisé grâce au soutien de la mesure Première Ovation dans le cadre de l’Entente de développement culturel intervenue entre le gouvernement du Québec et la Ville de Québec.

Les résidents de Limoilou et de Maizerets connaissent généralement l’incinérateur de la zone industrielle de Maizerets pour les mauvaises raisons.

Certains problèmes y sont associés, comme les désagréments sonores ou bien les odeurs que les chaudes journées d’été accentuent sensiblement.

Dans les années 1920, les résidents du jeune quartier de Limoilou vivent les mêmes désagréments, mais l’origine n’est pas la même.

Les odeurs nauséabondes ne proviennent pas d’un incinérateur, mais bien d’un grand dépotoir situé en partie sur les terrains de l’Exposition.

Nommé par plusieurs comme le « fameux dépotoir », celui-ci accueille tous les déchets de la ville de Québec qui compte environ 150 000 habitants à cette époque.

Le premier combat du Courrier de Limoilou

La question du dépotoir trouve une place de choix à l’intérieur du tout premier numéro du Courrier de Limoilou, paru au mois de juin 1934.

Placé en Une du mensuel, l’article « De la nécessité d’un incinérateur » est signé par l’avocat et futur juge de la Cour supérieure du Québec, Eugène Marquis.

Il n’est certainement pas anodin que maître Marquis soit associé à ce combat puisqu’il réside sur le boulevard des Alliés, tout près des terrains de l’Exposition qui accueillent alors le « fameux dépotoir ».

Homme lettré de la bourgeoisie canadienne-française, Marquis adopte un ton original qui marie habillement l’impatience, un sentiment d’injustice et un brin d’humour qui transpire l’indignation.

Après avoir vanté le quartier Limoilou dans la première partie de son article, Eugène Marquis manie l’absurde pour prouver son point.

Parlant de touristes français venus visiter la croix de Jacques-Cartier, il continue : « […] Les savants [français] auraient pu y voir une espèce de rats inconnus au-delà des mers, tant leurs proportions sont gigantesques et leur fourrure est attrayante pour l’industrie; d’aucuns auraient pu trouver une nomenclature spéciale pour les vanités nombreuses de mouches qui abondent dans les alentours du dépotoir […]. »

Au-delà du sourire que nous arrache ce petit extrait, maître Marquis amène par la suite des arguments béton : le dépotoir nuit clairement au développement du quartier, il met en péril l’hygiène publique et nivelle vers le bas les valeurs immobilières du quartier, surtout les paroisses Stadacona et Saint-François qui sont les plus proches du dépotoir.

Mobilisation citoyenne autour de l’incinérateur

Si Eugène Marquis apparaît comme le « leader » de la croisade contre le dépotoir, les citoyens de Limoilou ne restent pas les bras croisés et se mobilisent également pour demander la construction d’un incinérateur et la disparition du dépotoir.

La mobilisation atteint son apogée le 10 mars 1935 alors que la salle paroissiale de Saint-Charles-de-Limoilou est envahie par 500 citoyens et politiciens.

Le Courrier de Limoilou du 15 mars 1935 rend compte de l’atmosphère revendicatrice : les citoyens ne veulent plus que Limoilou soit le « dépotoir de la ville de Québec »; le maire de Québec Joseph-Ernest Grégoire est accusé de considérer les Limoulois comme des citoyens de seconde zone. La réunion se termine par une motion votée à l’unanimité : on demande la construction d’incinérateur exploité par la ville, et non par des intérêts privés.

La patience des citoyens

Au cours des années 1935 et 1936, le Courrier de Limoilou continue son travail en publiant divers articles à propos de l’incinérateur avec toujours le même ton : le temps presse, les citoyens sont mobilisés derrière la construction d’un incinérateur et pense que la ville de Québec ne les prend pas au sérieux ou bien les regarde de haut.

Dans une tribune libre publiée en 1936 dans le Courrier, un paroissien de St-Esprit raconte qu’on ridiculise les citoyens de Limoilou à la radio, qu’on « […] les fait passer pour des fous […]. », car, dit-on, un dépotoir ne peut pas puer durant l’hiver. Ces mêmes « gens de radio » accusent d’ailleurs Eugène Marquis d’avoir des intérêts pécuniaires dans l’affaire de l’incinérateur.

L’incinérateur voit le jour en 1937 sur les terrains de la Pointe-aux-Lièvres, alors nommé Hare Point.

Au départ, son exploitation est confiée aux entrepreneurs Demers et Nolin, mais ceux-ci se font rapidement montrer la porte par la ville de Québec, insatisfaite des performances.

L’incinérateur de 1937 sera finalement remplacé en 1955 par un autre plus performant et mieux adapté à la population de la ville.

Il faudra finalement attendre 20 ans pour que l’incinérateur recrache sa fumée blanche dans le secteur industriel de Maizerets.

Tout au long de cette saga, le Courrier de Limoilou aura été un agent de mobilisation important pour les citoyens du quartier dans leur combat contre la pollution.

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