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ALBANE explore la complexité de la conscience

De gauche à droite, Dayne Simard, Vincent Paquette, Marie-Ève Lussier-Gariépy, Myriam Lenfesty, Noémie F. Savoie et Thomas RoyerDe gauche à droite, Dayne Simard, Vincent Paquette, Marie-Ève Lussier-Gariépy, Myriam Lenfesty, Noémie F. Savoie et Thomas Royer. Crédit photo : Olive Dussault-Mottet.

Une production du collectif La bouche _ La machine, la pièce ALBANE, présentée à Premier Acte du mardi 17 janvier au 4 février prochains, propose une réflexion artistique sur le problème du meurtre.

Par Sophie Williamson

ALBANE est la première pièce du collectif composé d’Odile Gagné-Roy, autrice, metteuse en scène et interprète ainsi que de Marie-Ève Lussier-Gariépy, dramaturge et interprète.

Le problème du meurtre

ALBANE tire son origine d’un drame familial vécu par Odile Gagné-Roy à trois ans, soit le meurtre de son frère de 17 ans.

« J’ai grandi en absorbant ce drame-là, explique-t-elle. Je l’ai appris par petits morceaux et j’ai fini par me faire raconter l’entièreté de cette histoire tragique. »

Elle précise que ce qui l’a obsédé et lui a donné l’impulsion d’écrire une pièce est le problème spécifiquement humain du meurtre, soit le fait qu’un être humain semblable à soi puisse enlever intentionnellement la vie à quelqu’un. 

 « Je me suis mise à me dire que chacun de nous pourrait tuer, poursuit l’autrice. On a ça en nous aussi et ça m’a fait peur. Je me demandais comment on se sent après avoir tué, avant et pendant. Je voulais écrire et je savais que mon premier texte allait porter là-dessus. »

Or, Odile ne voulait pas produire une oeuvre documentaire sur ce qu’elle et sa famille ont vécu. Elle a préféré opter pour la forme de la tragédie et proposer une exploration autour du problème du meurtre. Ce qui vient proprement d’elle est donc une interrogation initiale, un souci et une sensibilité, mais l’histoire racontée dans ALBANE est fictive.

Marie-Ève Lussier-Gariépy suggère que les actes d’écriture et de création de la pièce peuvent être vus comme l’ouverture d’un dialogue avec la figure du meurtrier.

« C’est comme si c’était ma manière de lui parler, complète Odile. Je n’ostracise aucun des meurtriers et c’est ça qui peut être choquant dans la pièce. Je ne les excuse pas non plus. Mon but c’est de dire : tout le monde dans la salle et sur la scène, on porte ça et on participe comme société à donner vie à des individus qui ont des rages meurtrières. »

L’autrice précise qu’il est difficile d’écrire quelque chose d’aussi intime et qu’il n’était pas prévu au départ qu’elle joue elle-même dans la pièce.

Le rôle qu’incarne Odile « éclaire la pièce » d’une certaine vérité qui ancre la fiction.

« Le chemin qu’on fait part du particulier et ouvre sur l’universel, commente Marie-Ève. Je n’ai pas l’impression qu’on est dans le récit d’une trajectoire individuelle. »

Partir d’elle-même offre selon Odile une prise ou une accroche pour le public et permet de comprendre l’origine de l’écriture d’une tragédie aussi intense qu’ALBANE.

La valeur du grotesque

Odile et Marie-Ève forment le collectif La bouche _ La machine dont le mandat est de travailler à partir de différents langages, soit le texte et les mots, mais aussi tous les autres médiums du théâtre (éclairage, costume, scénographie, mouvement).

« Pour nous, le texte ultime du spectacle se tisse à partir de tous ces langages-là, précise Marie-Ève. C’est pour ça qu’on insiste sur l’importance de la mise en scène. C’est comme si Odile avait ajouté une couche de sens. »

L’expérience propre du théâtre selon les interprètes est de montrer davantage que le texte, sans quoi on pourrait se contenter de lire le texte de la pièce. Le théâtre doit offrir une expérience esthétique et significative supplémentaire.

Pour ALBANE, le sens ajouté à la pièce par la mise en scène est le « grotesque » ou un certain « humour noir ».

« Il y a quelque chose qui relève presque de la méta-théâtralité parce que parfois, les acteurs disent des choses tragiques, mais leur émotion est grotesque, comme lorsqu’ils font semblant de pleurer, commente Odile. Les moments intenses soulignés au marqueur donnent une autre importance aux moments sensibles et plus simples. »

Des accessoires démesurés qui évoquent le monde de l’enfance font partie des éléments qui visent à exagérer le tragique et à créer un dialogue avec la simplicité de certains moments.

Marie-Ève explique par ailleurs que le jeu des acteurs n’est pas le même pour ce type de pièce qui valorise tous les degrés de langage que dans une pièce réaliste. Chacun des personnages est amené à passer par les autres et est habité par ce qui a été traversé avant. Une réelle fluidité émotive est à l’oeuvre.

« L’approche du jeu n’est pas psychologique », poursuit la dramaturge, évoquant la prise en charge linéaire des émotions par la psychologie normale.

À savoir si cet éloignement du chemin en un sens prévisible des émotions ne dit pas quelque chose de vrai sur l’expérience humaine, Odile en est certaine.

« Si je suis là aujourd’hui c’est que tout ce qui parle en moi ne m’appartient pas, soutient-elle. C’est ma mère peut-être, Marie-Ève ou mon professeur de troisième année… On est réellement habité par tous les gens qu’on croise et côtoie, les évènements qu’on vit. La pièce est un peu une métaphore de ça. »

Ainsi, ALBANE propose de penser le moi moins comme unité que comme un « composé d’une multiplicité d’êtres », selon les mots de Marie-Ève.

La pièce propose une manière de réfléchir et d’exprimer cette complexité souvent cachée de l’individu.

Les acteurs de la pièce Albane
Crédit photo : Olive Dussault-Mottet.

De l’inconscient au conscient

Odile explique qu’ALBANE n’est pas une pièce à vocation morale. Il s’agit plutôt d’une oeuvre qui explore la question de l’inconscient.

« C’est important pour moi qu’il n’y ait pas de morale, soutient-elle. C’est difficile de terminer une pièce de théâtre, savoir sur quelle note on veut la conclure […] La fin que j’ai tenté de faire, c’est un OK. C’est juste dire OK. »

En sondant le problème du meurtre, ALBANE vise davantage à montrer quelque chose du vécu humain que d’éduquer le spectateur en prenant parti ou en adoptant un discours à leçons.

« Il y a aussi quelque chose de proche de la psychanalyse, ajoute Marie-Ève. La pièce ne revendique rien, mais il y a quand même le fait que cette fille doit être confrontée à son histoire familiale pour affronter le reste de sa vie. Au final, ce qu’elle répond, ce n’est ni je vais reproduire l’histoire, ni je vais établir une rupture. C’est juste de savoir d’où elle vient. Ce bassin familial inconscient a atteint en partie la conscience. »

On peut donc dire que la pièce présente l’évolution d’un personnage féminin vers davantage de lucidité, sans que cela élimine toute zone d’ombre ou commande un certain type de vie.

Le récit par plusieurs voix et sous plusieurs formes de sa propre histoire permet à une certaine dose d’inconscient de devenir présent à la conscience.

« Elle est plus proche des autres en elle, complète l’autrice. Elle les laisse exister. »

La complexité et la liberté

À savoir l’impression qu’ALBANE devrait avoir sur le public, Marie-Ève croit qu’elle se situe dans le domaine de la sensibilité ou du sentiment.

« Je pense qu’on repart avec un sentiment de complexité, réfléchit la dramaturge. C’est-à-dire que les réponses franches par rapport aux questionnements qui sont éthiques au final (est-ce qu’on pardonne ou pas, est-ce qu’on se venge ou pas) sont très complexes. Ces questions demandent du temps et beaucoup d’introspection. Je ne pense pas, en tout cas j’espère que les spectateurs ne sortiront pas illuminés d’une réponse. »

Odile ajoute qu’elle souhaiterait qu’ils sortent avec un sentiment de liberté.

« J’aimerais que les gens repartent avec le sentiment que ce qui les habite a une valeur. Il peut être pertinent d’y mettre le temps nécessaire. »

Odile Gagné-Roy

Les billets ainsi que le synopsis d’ALBANE sont disponibles sur le site de Premier Acte.

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