Airbnb à Québec : Le Compop expose et déplore le phénomène

À l'extrémité droite, Charles-Olivier P. Carrier lors de l'action conjointe avec le BAIL : Airbnb Bus Tour en octobre 2017.À l'extrémité droite, Charles-Olivier P. Carrier lors de l'action conjointe avec le BAIL : Airbnb Bus Tour en octobre 2017. Photo courtoisie du Compop.

Le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste (Compop) tenait ce lundi soir à la Librairie St-Jean-Baptiste une conférence de l’Université populaire (UPOP) sur la situation complexe d’Airbnb dans la ville de Québec.

Le conférencier, Charles-Olivier P. Carrier, est un membre permanent au Compop depuis 6 mois. Étudiant en sociologie, il a publié un mémoire en 2020 ayant entre autres pour thème « Airbnb ou l’économie du partage ».

Il y défend qu’Airbnb comme « promesse d’un mode d’organisation économique alternatif tourné vers son usage plutôt que sa profitabilité » s’avère être « corrompu vers un modèle lucratif ». Finalement, Airbnb est un service soumis à la logique capitaliste parmi d’autres. Il précise aussi que « selon sa capitalisation, Airbnb est une des plus grosses entreprises au monde », avec une valeur en 2016 de 30 milliard de dollars.

Avant de débuter sa conférence ce lundi soir, Charles-Olivier P. Carrier précise que le sujet est « un peu occulte ». En effet, il insiste sur l’aspect insaisissable de la plateforme et de ceux qui l’utilisent, ce qui rend plus compliqué de réfléchir le problème et les solutions concrètes.

Portrait des Airbnb dans le centre-ville tiré du site Inside Airbnb.

Une longue histoire de luttes contre l’industrie du tourisme

Le COMPOP lutte depuis les années 70 contre l’industrie touristique qui menace le caractère résidentiel et communautaire du Vieux-Québec. Notons à ce titre le dossier de la Tour Saint-Jean qui s’est transformé en hôtel (Hôtel Classique) et a mené à une saga judiciaire. L’immeuble était à sa construction composé de 164 logements locatifs et il n’en restait plus que 38 en 1989.

Les locataires restants et les résidents voisins de l’hôtel ont alors fait pression à la Ville et intenter des poursuites judiciaires. Le litige s’est terminé en Cour suprême en 1997, à la faveur des résidents qui ont obtenu l’appui de la Ville.

Les arguments présentés par le Comité pour mieux encadrer Airbnb sont les mêmes que ceux qui concernent le secteur hôtelier. Toutefois, le défi est tout autre.

En effet, Charles-Olivier P. Carrier note que les projets touristiques tels que les grands hôtels ou les Bed and Breakfast sont « bien délimités et bien visibles ». Ils sont en d’autres mots facilement identifiables. De plus, les propriétaires seraient « de parfaits méchants » qu’il serait tout autant facile d’identifier clairement. Finalement, les interlocuteurs impliqués dans les dossiers sont connus ; soit les citoyens touchés, la Ville et les différents propriétaires.

Toute cette évidence se volatilise dans le cas des Airbnb.

Les débuts d’Airbnb comme problème

C’est en 2016 que les résidents ont commencé à se plaindre de « perdre leurs voisins » et de « ne plus s’entendre avec eux ». Le Compop a décidé d’adopter une position officielle en 2016 ; soit de demander la limitation de ce type d’activité uniquement dans certains secteurs dits touristiques du centre-ville et de l’interdire dans des zones dites résidentielles (Saint-Jean-Baptiste).

Trois arguments principaux motivent le Comité à penser qu’il ne faut pas prendre à la légère les impacts d’Airbnb sur les communautés du centre-ville.

D’abord, le « tissu social » serait affecté par les bruits, les insécurités et les tensions venant d’une nouvelle forme de voisinage indésirable. La forme urbaine du quartier en serait aussi modifiée, notamment quant au type de commerces favorisés par le tourisme.

« Ça n’aidera pas à ce qu’on ait des commerces utiles », affirme Charles-Olivier P. Carrier en donnant comme exemple la cordonnerie qui a disparu sur la rue Saint-Jean ou le manque d’épiceries dans le secteur. Il ajoute que les coûts sont plus élevés dans les commerces destinés aux touristes, coûts que subissent parallèlement les résidents.

Finalement, la protection du parc locatif exige selon le Compop une régulation plus stricte d’Airbnb. Les propriétaires étant davantage intéressés par la location à court terme, puisqu’elle est plus rentable, cela exerce une pression sur l’accessibilité et le coût des loyers à long terme, contre l’intérêt des citoyens.

Photo courtoisie du Compop.

Une nouvelle réglementation plus stricte

Suite à ces constats, le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste a déposé 14 plaintes officielles en avril 2017 contre Airbnb. Des consultations de la Ville de Québec ont aussi eu lieu en mars 2018 et 2019.

La conclusion de ces consultations est l’adoption d’une nouvelle réglementation municipale concernant deux catégories d’hébergement ; collaborative et commerciale.

Les annonceurs doivent disposer d’une attestation émise par la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) pour tout type d’hébergement.

Par ailleurs, l’hébergement collaboratif, qui comprend Airbnb, doit respecter plusieurs conditions. L’hébergement doit avoir lieu dans une résidence principale, c’est-à-dire qu’il doit y avoir qu’une seule résidence principale par résident et que ce dernier doit y habiter « de manière régulière et prépondérante », et ce pour un maximum de 90 nuitées.

Dans le cas où une de ces conditions ne serait pas respectée, l’hébergement touristique est dit « commercial » et doit en plus respecter le zonage. C’est-à-dire que l’hébergement doit se trouver dans un secteur commercial et non résidentiel pour pouvoir opérer.

Toutefois, bien que ces règlements soient salués par les membres du Compop, ils sont insuffisants en eux-mêmes pour renverser la tendance, puisqu’aucun moyen réel ne permettrait de savoir si les vérifications sont effectivement effectuées.

Charles-Olivier P. Carrier note à ce titre le fait que de nombreux annonceurs n’affichent pas de certification CITQ, sans conséquence. « Dans les faits, pour 95% des trucs annoncés, les propriétaires ont plusieurs appartements et tiennent des hôtelleries illégales », ajoute-t-il.

Par ailleurs, le gouvernement provincial a aussi adopté une nouvelle loi en 2021 pour assurer une meilleure collaboration avec le pallier municipal.

Le secret d’Airbnb : la privatisation

Le succès entrepreneurial et financier d’Airbnb comme « place de marché en ligne » repose sur un modèle alternatif révolutionnaire en matière d’hôtellerie. Il s’agit de la privatisation des données des membres. Airbnb ne transmet par exemple jamais l’adresse exacte aux utilisateurs avant la journée même de la location.

Aucun moyen n’est donc disponible pour connaître l’endroit réel où s’exerce l’activité locative et pour évaluer sa légalité. Les citoyens dépendent ainsi totalement des institutions, municipales ou provinciales, pour la vérification des Airbnb.

Mais les instances de pouvoir, sauf dans le cas d’ententes spéciales avec Airbnb, ne disposent d’aucun accès aux données de la plateforme.

Il est donc compliqué de veiller au respect de la loi vu « l’invisibilité » considérable du phénomène.

Un portrait de la situation actuelle

Pour avoir un portrait approximatif de la situation, Charles-Olivier P. Carrier explique s’être basé sur le site Inside Airbnb qui fournit des données et un plaidoyer sur l’impact d’Airbnb auprès des communautés résidentielles.

Pour évaluer l’évolution d’Airbnb, le conférencier s’est basé sur le nombre de logements actifs tels qu’estimés par Inside Airbnb. Un logement actif est un logement qui a reçu des commentaires sous son annonce, ce qui certifie qu’il est bien réel et a bien été loué.

Charles-Olivier P. Carrier explique que le nombre d’annonces commentés sur Airbnb a augmenté fortement de 2016 à 2019 dans toute la ville de Québec et a connu un plateau durant la pandémie.

Dès mai 2022, l’augmentation du nombre d’annonces commentés se poursuit et se rapproche du sommet atteint en 2019. Toutefois, dans Saint-Jean-Baptiste, le conférencier comptabilise deux fois moins d’annonces.

La raison de cette différence se comprend par rapport à la proportion d’annonces illégales. Dans le Vieux-Québec, 16% des annonces seraient illégales, 10% dans Saint-Roch contre 44% dans Saint-Jean-Baptiste.

Selon le Compop, cela suggère que le zonage très restrictif dans Saint-Jean-Baptiste a permis de restreindre la propagation du phénomène. Les annonces se seraient multipliées là où le zonage est plus permissif, notamment en basse-ville. 

Image tirée de la présentation de Charles-Olivier P. Carrier.

Un tournant rassurant ?

Le point tournant selon Charles-Olivier P. Carrier est lorsque Revenu Québec est intervenu entre avril 2021 et avril 2022. Il aurait émis 266 constats d’infraction et condamné 178 infractions. Ce sont des amendes en moyenne de 4091,84$ qui ont été émises, pour un total de 728 347$.

Ce sont « ces moyens d’inspection » plus robustes qui auraient aussi contribué selon le Compop à limiter la propagation des Airbnb dans le quartier Saint-Jean-Baptiste.

Par rapport aux initiatives de la Ville de Québec, Charles-Olivier P. Carrier exprime son scepticisme quant à leur efficacité, « les problèmes d’Airbnb étant bien connus » selon lui.

Les leviers dont disposent les instances décisionnelles ne sont pas nombreux. Une rigueur du point de vue des inspections pourrait être davantage assurée, comprenant un suivi dans le temps pour éviter les récidives. Le Compop se questionne aussi à savoir si les amendes sont suffisamment salées pour les éviter.

Une réglementation plus stricte du zonage pourrait aussi être mise en vigueur. De plus, les résidents qui dénoncent des cas de Airbnb auprès de la Ville ou de Revenu Québec contribuent à mieux contrôler le phénomène.

Finalement, interdire la plateforme Airbnb à ou au Québec apparait comme la solution de « dernier recours ».

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