Chronique : Perdre les pédales

Si vous voulez faire perdre les pédales à une partie précise de la population, celle qui carbure abusivement au char, partez un débat sur le vélo sur les réseaux sociaux. Un bordel, garanti!

Par David Lemelin

De l’agressivité au menu, des commentaires incroyables (dans le sens de : j’peux pas croire que quelqu’un écrive ça), de la haine au kilomètre carré pour un mode de transport qui, pourtant, ne fait aucun bruit, ne déplace à peu près pas d’air et qui ne mange que quelques pouces sur une chaussée de plusieurs mètres.

Pourquoi ça verse automatiquement dans l’excès? Pourquoi les réactions sont reptiliennes et brutales? Je l’ignore. Mais, ça ne me fait pas rire du tout.

Évidemment, on répliquera que certains cyclistes ne manquent pas de mépris, regardant de haut sur leurs selles perchées les automobilistes plus bas, qu’ils assimilent parfois à des reliques précolombiennes.

Oui, c’est vrai. C’est pas chic.

Mais, je n’ai pas trouvé de comparable à ce qui se déverse contre les cyclistes en termes de brutalité et de médiocrité intellectuelle. C’est sidérant!

Par exemple, quelqu’un publie une photo de deux cyclistes à un coin de rue, à la lumière, sur la chaussée. L’auteur déplore alors que les deux vélos ne se trouvent pas sur la piste cyclable que l’on aperçoit, vide, à leur droite. Et à partir de là, dans les commentaires, ça dérape…

(Je vous épargne les nombreuses fautes de français, les sacres et les injures.)

Une dame pense avoir l’argument qui tue : « à quoi ça sert d’investir dans une belle piste cyclable? » Un autre qui va dans le même sens : « Dites-le que vous ne voulez pas de pistes cyclables, on va arrêter de dépenser des millions là-dessus. »

Ou encore : « Le respect se joue dans les deux sens ». Et puis, à un défenseur des cyclistes, un homme réplique : « Monsieur le roi! »

Ça se traite de cabochon, ça rigole au nez des arguments lancés… la raison ne participe pas au débat : elle l’observe, de loin. Très loin.

Or, que dit la loi?

Concernant le cycliste qui circule hors de la piste cyclable, que dit le Code de la sécurité routière du Québec?

Y’a rien qui l’oblige.

Mieux : l’article 492 qui obligeait le cycliste à emprunter la voie cyclable a été abrogé en 2010. Tout ce qu’il y a comme obligation, c’est de circuler à l’extrême droite de la chaussée, sauf pour un virage à gauche ou en cas de nécessité.

Ah oui, certes, le cas de nécessité est un concept flou qui peut conduire à des interprétations créatives…

Mais, du reste, vous pouvez pomper du gaz, péter les plombs, décapiter un arbre… les cyclistes ont le droit de circuler sur votre route. Ça, c’est clair. Le débat est clos.

Bien sûr, le jugement demeure essentiel pour choisir ce qui convient le mieux. Le cycliste doit voir à sa sécurité et à la convivialité de son parcours. Il doit être prudent en toute circonstance. Ça peut déplaire… mais il a le droit.

Alors, quoi?

On va le dire, sans niaiser : ce qui dérange, c’est de partager la route. Partager ce terrain privé, ce chemin exclusif pensé, conçu et dépensé pour l’auto. C’est un royaume, croyait-on, pour la voiture-reine qu’on utilise en solo.

Je ne crois pas que ce soit la faute des automobilistes qui pensent ainsi, remarquez. Du moins, pas tous.

Depuis toujours, on leur chante que la liberté commence par un char qui roule sur l’asphalte. C’est comme ça depuis les années 1950. Cette vision a été encouragée par la publicité, le monde de l’auto, le fric qui s’y fait, les médias, etc. Alors, quand « on viole » ton espace privé… ça fâche!

Les gars de la radio savent d’ailleurs pousser sur ce bouton. Qui n’a pas entendu ces remarques invitant les auditeurs à frapper les cyclistes ou à leur passer dessus? Je vous envie si vous n’avez rien entendu de tout ça…

En vérité, la route n’est qu’un ruban goudronné qui a été déroulé pour relier les villes et villages, souvent en prenant soin d’en déchirer le cœur. Il ne sert qu’aux déplacements, ce qui inclut auto, vélo, autobus, camions, piétons, ratons, etc.

Y’a pas de rois ou de reines, mais qu’une nécessaire entente à y avoir entre les usagers. Et pour cela, il faut commencer par accepter le principe de base : la route, ça se partage, comme dit la pub.

Hé oui! La liberté, c’est aussi ça. Si on confine les vélos sur les pistes cyclables, on n’est plus libres : on fait de la discrimination. La liberté n’existe pas lorsqu’on crée des privilèges.

Je vous l’ai tu dis pour le droit ou non de circuler sur la route pour les cyclistes?

Le débat est clos.

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