Chronique : Mes entrevues marquantes

David Lemelin présente sa chronique Droit de citéDavid Lemelin (Photo : Archives Carrefour de Québec)

J’ai été journaliste pendant 12 ans, animateur télé d’émissions d’affaires publiques et j’anime encore à la radio, aujourd’hui. C’est donc près de 25 ans de métier. Alors, des entrevues, j’en ai mené des centaines. Parmi celles-ci, lesquelles se démarquent? Voici ma petite liste. Ça vous fera sourire, sans doute, et vous étonnera aussi, probablement.

Par David Lemelin

L’entrevue la plus authentique : Daniel Boucher

On est en 2009, le musicien passe au studio pour une tournée promo. On s’attend à du blabla formaté, à de la générosité calculée, à voir un « personnage » devant soi… pas du tout. Boucher, il est comme il a l’air : authentique, au pouce carré. Il te regarde dans les yeux, la conversation l’intéresse, il s’ouvre, il est candide, il est drôle, il a un plaisir contagieux… un moment agréable, d’un bout à l’autre. Je l’aimais déjà avant, comme artiste. Depuis, je suis un fan aussi du gars, bin simple, dans tout ce qu’il y a de remarquable dans ça, en ces temps où l’image et la superficialité sont prédominantes.

La plus stressante : Lucien Bouchard

Salon rouge à l’Assemblée nationale, on accueille le Rouge et Or football de l’Université Laval, victorieux de la Coupe Vanier. Il y a un « scrum » à l’arrivée du premier ministre Bouchard. On est autour de lui, je suis là, jeune journaliste, à tenir nerveusement le micro de TQS. Je me dis que je ne peux pas ne pas poser une question. Je suis là, donc je dois m’imposer. Je me lance, inquiet : « M. Bouchard, ne croyez-vous pas que les politiciens pourraient s’inspirer de jeunes aussi valeureux que ceux-là? » Quelle gaffe… La réplique vient, avec le ton sec qu’on connait : « On fait pas ça, on se sert pas des jeunes! Faut pas utiliser les jeunes au profit des politiciens! » Bang! Leçon de morale et professionnelle : ne pose pas de questions connes à un politicien en pleine possession de ses moyens…

La plus stimulante (intellectuellement) : Benoît Pelletier

L’ancien ministre libéral, constitutionnaliste de métier, était responsable des institutions démocratiques. J’ai donc, en entrevue, parlé pendant une heure avec lui à refaire le monde, à questionner à fond nos institutions, notre système, ses forces et ses faiblesses. Un échange nourrissant qui m’a valu des remerciements du ministre. Il n’avait pas, disait-il, souvent l’occasion d’avoir des échanges aussi stimulants, intellectuellement. Faut dire que dans les médias, télé surtout, la mode était au « clip » de 8 secondes. En 8 secondes, on ne réfléchit pas. On catapulte.

La plus étonnante : Andrée Boucher

Madame Boucher ne se cachait pas. Elle vous accueillait chez elle, si elle n’était pas à l’hôtel de ville. Ça donnait l’impression d’aller chez grand-maman : la cuisine était occupée, les biscuits sortaient du four. Elle vous en offrait. Je ne suis pas le seul, elle était comme ça. De très nombreux journalistes ont vécu la même chose. Elle est authentique et accessible. Et puis, quand le « kodak » démarre, BOUM! elle attaque! Les déclarations musclées et provocantes pleuvent. Tant mieux, c’est ce qu’on était venu chercher. Grand-maman s’était transformée en grand méchant loup…

La plus satisfaisante : Pierre Paradis

Nous sommes en 2001, le député libéral Pierre Paradis répond à mes questions, face à l’Assemblée nationale, concernant quelques dossiers chauds. Je suis un peu pressé, je connais mes dossiers, j’enchaine les questions à vive allure. Lorsque je termine, je crains un peu ce regard amusé, pensant qu’il me dira que je suis allé vite en affaire. Au contraire, il me lance un : « Toi, tu mitrailles bien! » Ça m’a fait du bien, honnêtement. Pour preuve : j’en parle encore.

La plus décevante : Bernard Landry

C’était la campagne « Restons forts » du Parti Québécois en 2003. Bernard Landry passe à Vox à mon émission, mais ça ne clique pas. Pourtant, j’aime écouter cet intellectuel de haut niveau. Mais, l’entrevue est beige, plate. Il est épuisé, je crois, et sentait sans doute, comme nous, que ça se présentait mal. Il a l’air de radoter, pas de communiquer. Ça m’a déçu parce qu’il est un des rares politiciens avec lesquels tu peux parler de n’importe quoi. C’est un érudit. Ainsi, au lieu d’un échange à la « Benoît Pelletier », j’ai plutôt droit à une cassette qui me laisse sur mon appétit. Une occasion ratée, malheureusement.

La plus déstabilisante : Louise Harel

Le regard vif et pétillant, une assurance qui donne l’impression que cette femme toute petite mesure deux mètres, Louise Harel, ministre des Affaires municipales, répond à mes questions. C’est très plaisant, même taquin sur les bords. Je ne sais trop quoi en penser. En ramassant nos affaires, la ministre glisse à son attachée qu’elle a apprécié le jeune journaliste. Me faire faire de l’œil, par une ministre. Hé bin!

La plus particulière : Pierre Falardeau

Il est en tournée promo avec Julie Poulin pour Gratton. Il passe nous voir à Rock Détente. Il ne le sait pas, mais je le vénère. Et je le connais assez pour savoir qu’il lui est sans doute pénible de faire la tournée des « rédios » commerciales pour vendre son Elvis. Il se prête au jeu, mais ce n’est pas son élément naturel. Il est hyper agréable et souriant, mais ça sent le malaise. Ça se passe super bien (Johanne Boivin est l’animatrice la plus pro que j’ai côtoyée dans ma vie), il quitte le studio après 4 minutes, comme prévu. Moi, je le regarde partir, déçu, parce que j’aurais ouvert les micros et discuté avec lui pendant trois heures.

La plus frustrante : Michel Audet

Nous sommes plusieurs dans le corridor à l’Assemblée nationale à attendre le ministre libéral du Développement économique. Deux heures, trois heures… puis enfin! On le voit approcher vers les membres de la presse. Je me lève, je m’étire, littéralement à bout d’attendre… et il passe en un coup de vent! « Pas de commentaires, bonne journée! », dira-t-il. J’ai sacré. Tout ça pour ça! Ça arrive souvent, certes. Mais, c’est jamais cool.

La plus vide : Sylvain Légaré

J’aurais pu donner le nom de Régis Labeaume, lorsqu’il était en campagne à la mairie, car ses propos manquaient sérieusement de profondeur lorsqu’il essayait de vendre la « ville innovante ». Mais, en termes de vide, c’est nettement le député de l’ADQ, Sylvain Légaré, qui remporte néanmoins la palme. « Il faut mettre la région en mode croissance », répétait-il en entrevue à Vox, autour de 2005, comme argument principal. Ok, mais encore? Comment on fait ça? « Bin… en mettant la région… en mode croissance… » Un supplice. Le gars est sympa, mais le contenu, c’est pas pour lui.  

Mon occasion ratée : Max Gros-Louis

Je n’étais pas prêt à répondre, alors qu’en général, je me tire fort bien d’affaire dans le « tac au tac ». J’ai un côté « snipper » que j’aime exploiter. Mais, lorsque le Grand chef Max Gros-Louis me répond qu’il ne voulait pas discuter avec le gouvernement du Québec, parce qu’il voulait négocier, « de Nation à Nation »… j’ai figé. Le souverainiste en moi était à la fois vexé et bouche bée. « Comment, le Québec n’est pas une Nation, selon vous? », aurais-je dû lui lancer, avec fermeté. Mais non. Presque 20 ans plus tard, il est trop tard.

La moins intéressante : Geneviève Marcon

Parfois, on travaille fort pour convaincre quelqu’un de venir à la télé répondre à des questions. La femme d’affaires Geneviève Marcon n’avait pas le goût. Mais, nous, à Vox, on estimait qu’une femme d’affaires aussi puissante dans le monde de l’immobilier à Québec devait avoir des choses à dire. Mais non. Elle n’avait rien à dire. Ce n’est pas sa faute, remarquez, la télé, ce n’est pas pour tout le monde. Elle avait raison de se méfier. J’ai donc bûché, travaillé pendant toute la demi-heure d’entrevue en ondes, sué à grosses gouttes en cherchant sans arrêt dans ma tête une autre question. Un bon interviewer ne fait pas ça : il n’a pas sa question en tête, il écoute et rebondit sur ce que l’invité lui livre. Mais, elle n’avait rien à raconter. C’était pénible. Plus jamais.

La plus étrange (et pourtant splendide): Jean Leloup 

Printemps 2009, j’anime une émission éphémère dans une station bidon, mais Jean Leloup est en tournée promo. Je l’accueille avec une intention ferme : le suivre dans sa folie. Je mets de côté les questions convenues habituelles et j’embarque avec lui dans son délire. Résultat : 12 minutes en ondes de pur délice! La créativité de Leloup se mêle à son esprit confus dans un discours qui nous mène jusqu’au bout de l’univers. Un trip d’acide en ondes! J’ai adoré. Et quand ça s’est terminé, Leloup a lâché un cri de joie de satisfaction, tellement il avait apprécié. Un grand moment de ma vie de journaliste.

La plus bizarre : Christian Légaré 

En 2007, un candidat à la mairie de Québec se démarque, mais pour les mauvaises raisons. Christian Légaré, propriétaire du Coin de la patate, décline son programme à mon micro : couper 300 cadres à la Ville pour n’en garder que 80, etc. Bref, du néolibéralisme sauvage de coin de table appliqué à un État. Un désastre. Évidemment, il n’avait aucune chance. Mais, la démocratie est ainsi faite : la parole est libre. Chose certaine, j’ai réalisé ce jour-là que cet homme portait bien son nom…

Le plus généreux : Martin Fontaine

Il débarque dans votre studio, vous lui dites que vous avez une guitare et le voilà en train de chanter du blues pour vous, en ondes, à transformer l’entrevue en party! Pas compliqué, souriant, expressif et volontaire, Martin Fontaine m’a fait forte impression, moi qui n’ai pourtant pas d’atomes crochus avec Elvis. Généreux, vraiment, et extrêmement entrainant. On aime!

Le plus plaisant : Claude Béchard/Stéphane Bédard

Un ex æquo ici : (feu) le député libéral Claude Béchard et l’ex-député péquiste Stéphane Bédard. Vous arrivez à l’entrevue, que vous soyez avec Béchard ou avec Bédard, ils vous serrent la main avec un large sourire, les blagues sortent toutes les 5 secondes, vous riez, vous n’arrivez plus à vous concentrer alors qu’on est censé parler de choses pourtant sérieuses. Ils sont comme ça. L’entrevue sera faite quand même et le résultat sera à la hauteur de vos attentes. Mais, l’avant et l’après-entrevue… c’est du bonbon!

Le plus cool : Gilles Valiquette

Qu’il est facile d’établir une connivence avec un artiste zen, ouvert, généreux. Gilles Valiquette est débarqué à mon studio, printemps 2009, dans le cadre d’une tournée promo. Il aime parler de musique, il aime le partager au micro, il ne joue pas de « game ». Gilles Valiquette m’a beaucoup plu par son attitude et son état d’esprit. Il avait sa guitare avec lui, il nous a chanté « live », sans hésiter « La vie en rose ». Que c’était beau! Oui, vraiment, il est cool, il est cool, il est cool…

L’entrevue qui me sert le plus : Madeleine Gauthier

En entrevue pour mon émission à Télé-Québec, la sociologue m’a fourni des arguments que j’emploie encore aujourd’hui sur la pauvreté, sur ce qu’il faut savoir de l’aide sociale, des préjugés, etc. Une grande dame qui m’a conforté dans mes impressions avec des données, des faits, qui a décortiqué une réalité masquée, ce qui évite d’avoir une vision simpliste de la pauvreté. Je lui en serai éternellement reconnaissant.

Celle qui me revient le plus souvent à l’esprit : Jean-Paul L’Allier

J’admire le maire de Québec. Il ne le sait pas, mais l’avoir en entrevue m’intimide. Je l’ai interviewé à maintes reprises, mais une fois, en particulier, me revient souvent à l’esprit. Nous étions dans son bureau, à la mairie, pour un bilan annuel. On se donne beaucoup de temps. Et cette fois, plus que jamais, l’humilité de cet homme, les deux pieds bien plantés sur Terre, me frappe. Il est à la fois hyper compétent, hyper expérimenté et humble. Il a confiance en lui, visiblement, mais ne croit pas avoir une couronne sur la tête. Décidément, peut-être l’humain le plus censé que j’ai croisé dans ma carrière. 

Celle que j’aurais aimé faire : René Lévesque

Bin oui! Le souverainiste que je suis aurait aimé pouvoir faire une entrevue avec LE nom le plus important de notre histoire collective. J’aurais aimé l’entendre rire, critiquer avec doigté, tout en démontrant une humilité spectaculaire. Certes, j’ai pu faire une entrevue avec Jacques Parizeau, ce qui me satisfait pleinement. Mais, Monsieur, c’était pas René. J’aurais adoré.

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