Courrier des lecteurs : Pourquoi abattons-nous les frênes sains ?

Agrile du frêneDes arbres marqués pour abattage le long de la Saint-Charles, en novembre 2021 (Jean Cazes/Monquartier.quebec).

La Ville de Québec a adopté une stratégie de gestion de l’agrile du frêne qui réunit l’utilisation d’un traitement associé à des abattages préventifs. Afin de ne pas hypothéquer la forêt urbaine d’un seul tenant, les abattages calculés sont compensés par des plantations continues d’essences diversifiées. Jusqu’ici tout allait bien. Malheureusement, la Ville semble avoir perdu la bataille et l’épidémie ne pourra être contrôlée malgré les efforts louables du service de foresterie.

Or, plusieurs ont noté que la Ville abat désormais de manière systématique, ce qui ne s’apparente plus à l’approche raisonnée. Ces abattages se sont imposés partout : pour les arbres de rue, pour le tramway et même dans les boisés. L’efficacité de ces coupes étant devenue discutable, les élus devraient interroger les services au sujet de cette destruction. Voyons pourquoi.

Même si les villes de Montréal et de Gatineau n’ont eu d’autre choix que de se résigner à la perte de leurs frênes, Québec n’est pas dans la même situation. La logique derrière l’abattage préventif était d’éviter l’hécatombe et de maintenir un équilibre entre le traitement, la perte calculée et les plantations. Mais cela supposait que l’on puisse sauver des frênes, parce que plusieurs sont traités et que l’invasion est sous contrôle. Mais si la Ville a perdu la partie, il n’y a donc rien à gagner à abattre la totalité des arbres sains !

En effet, on ne devrait jamais abattre d’arbres sains sous prétexte qu’ils seront un jour victime d’un ravageur. En procédant ainsi, on affaiblit la forêt urbaine tout en privant certains individus de développer un avantage évolutif permettant à l’espèce de résister un jour à l’agrile du frêne.

Par ailleurs, nos frênes sains offrent d’importants services écologiques tout en participant à la canopée. S’ils ne sont pas dangereux, leur existence n’est pas problématique. Pourquoi abattre des arbres s’ils ne nuisent pas et que, de toute façon, l’abattage n’éradiquerait pas le ravageur ?

Enfin, la Ville a abattu une quantité phénoménale de frênes à la Pointe-de-Sainte-Foy : au Boisé de Marly (quelques 830 arbres), au Boisé des Compagnons et dans le Parc Cartier-Roberval. Or, des frênes vieillissants ou morts participent à la biodiversité en devenant des arbres à cavités qui hébergent plusieurs espèces ou en se décomposant sur un sol ainsi enrichi. S’ils ne sont pas dangereux et sont utiles, on ne devrait donc pas abattre les frênes sains de nos boisés urbains.

Et si l’on ajoute à cela qu’il coûte cher d’abattre des arbres qui offrent des services écologiques, qu’il faut collectivement payer pour planter des arbres qui ne compenseront pas la perte des arbres abattus, on comprend pourquoi les citoyens s’attachent aux arbres qui restent ! 

Or, afin de ne pas jouer les gérants d’estrades dans une discussion qui recouvre des aspects techniques, j’ai consulté trois experts dont je résumerai les avis avant de conclure.

Un professeur d’écologie forestière d’une université montréalaise m’écrit ceci : « Pourquoi abattent-ils massivement? Probablement pour retirer les larves et limiter les dégâts. Est-ce que ça va marcher? Probablement pas. Est-ce que les impacts des abattages massifs en forêt sont pires que la maladie? Probablement que oui. »

Un spécialiste d’arboriculture urbaine doute aussi de cette stratégie : « J’ai comme l’impression que la Ville de Québec ne sait plus comment gérer les frênes. Nous savons qu’ils ne font pas vraiment confiance au Treeazin, mais comme l’épidémie est beaucoup plus lente qu’ils le croyaient, ils ne savent pas vraiment comment gérer la problématique. Pendant ce temps, le pourcentage de la canopée est en baisse malgré leur plan qui propose de l’augmenter »

En ce qui a trait aux boisés, un chercheur en foresterie a confirmé mes hypothèses par le détail :

« J’ai noté les coupes rases de frênes au boisé Tequenonday et qui a le statut de boisé protégé. J’y ai constaté ce printemps la coupe quasi totale de frênes bien vivants provoquant ainsi d’importantes trouées dans le couvert avec des traces importantes de passages de camions ou de la machinerie dans un milieu humide fragile

Effectivement, on peut penser que si on doit abattre tous les frênes existants parce que la guerre serait perdue, on devrait au moins étaler la coupe dans le temps, au fur et à mesure que des sujets meurent. J’imagine qu’il est plus économique pour la Ville de faire table rase… [Mais cela ne permettrait pas] d’apprécier si certains sujets seraient plus résistants ou auraient été épargnés ou moins attaqués.

Cela dit, complète ce spécialiste, cette stratégie de coupe rase ne laisse alors pas le temps à des regarnis d’arbres dans les milieux affectés (par plantation) ou par la régénération naturelle, de combler les trouées résultant de l’abattage. Je ne peux pas commenter outre mesure… [Mais] si on fait table rase, ce n’est plus une stratégie préventive… »

En somme, la Ville pourrait revoir sa stratégie avant l’automne, car notre forêt urbaine décline : la canopée recule malgré les objectifs de la Vision de l’arbre. À ce propos, n’oublions pas le développement annoncé du secteur Chaudière et l’implantation du tramway, cela sans rien dire de la coupe injustifiée d’un milier d’arbres (si on les compte tous, toutes essences confondues) planifiée sur le campus de l’Université Laval pour le pôle d’échange du tramway. 

C’est d’ailleurs ce que dénoncent les Amis du Boisé Neilson : nous coupons trop d’arbres, sans informer les citoyens et sans avoir justifié publiquement ces abattages. Autrement dit : la forêt urbaine n’est pas encore reconnue comme un patrimoine naturel commun appartenant à toute la communauté. Pourtant, en contexte de crise climatique, chaque arbre compte ! Pourquoi ne pas sauver nos derniers frênes sains de l’abominable et assourdissante tronçonneuse ?

Daniel Desroches, Les Amis du Boisé Neilson

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