Sur un mot de Richelieu  

Richelieu tramwayUn portrait du Cardinal de Richelieu.

À plusieurs reprises depuis le début de son mandat, le maire de Québec, Bruno Marchand, a déclaré sa volonté de « faire l’impossible ». En coulisse, plusieurs ont roulé les yeux et peut-être même soupiré de découragement en entendant cette formule qui est certainement un peu convenue.  

Par Gabriel Côté

Si la phrase a cet effet et qu’elle tombe ainsi à plat, c’est qu’elle ne s’adresse pas au public, mais aux acteurs politiques, et au premier chef au maire lui-même. Mais que se dit-il ?  

Bruno Marchand
Le maire de Québec, Bruno Marchand. Photo : Gabriel Côté

Il se rappelle en fait ce qu’est la politique par-delà les discours, les apparitions publiques, les lignes de communication, les joutes partisanes, etc. Car si elle est bien toutes ces choses, la politique est aussi l’élaboration de mesures et la mise en place de services qui vont bénéficier à la collectivité, prise dans un sens plus ou moins large selon les enjeux. Mais la réalité fait en sorte qu’il ne suffit pas de concevoir de « bonnes politiques » pour que celles-ci se concrétisent, et qu’il faut composer à chaque instant avec diverses variables.   

En ce sens, les hommes politiques doivent avoir l’imagination nécessaire pour entrevoir la suite possible des choses. On s’attend d’ailleurs à ce qu’ils aient la vue assez large et l’esprit assez fin pour voir venir les problèmes, et suffisamment de force pour y remédier avant qu’il ne soit trop tard. C’est d’ailleurs ce qui a fait dire à Richelieu que « la politique n’est pas l’art du possible, c’est de rendre possible ce qui est nécessaire ». 

*** 

Dans les dernières semaines, le maire a clairement fait savoir que le tramway est selon lui nécessaire non seulement pour améliorer la mobilité à Québec, mais en plus pour lutter contre les changements climatiques. Conscient du fait que le peu d’enthousiasme de la part de la population à l’endroit du projet en est le principal écueil, il a insisté dès le premier jour sur l’importance de « mieux le communiquer ». Bruno Marchand fait donc le pari que le moyen de réaliser le tramway est de convaincre les citoyens de la nécessité de celui-ci, et que le moyen de susciter cette conviction est de leur faire voir ce qu’il voit lui-même.  

Cette stratégie tombe sous le sens du point de vue de la théorie, mais est-ce une bonne approche « en pratique » ? C’est possible, mais ce n’est pas sûr.  

Photo : Ville de Québec

L’idée selon laquelle l’information est l’antidote aux opinions « déraisonnées » échoue malheureusement le test de la réalité. C’est encore plus vrai dans le contexte où une grande partie de notre attention, chaque jour, est mobilisée par les réseaux sociaux, qui tendent à accentuer nos biais cognitifs, tels que le biais d’ancrage (je reste convaincu par ma position initiale) et le biais de confirmation (je ne sélectionne que les informations confirmant ma première impression) en nous enfermant dans des « chambres d’écho » avec d’autres utilisateurs qui partagent les mêmes sensibilités que nous. Il s’agit certes d’un phénomène social qui existait avant l’apparition des réseaux sociaux, mais chacun conviendra que celui-ci a pris une ampleur démesurée avec leur arrivée et leur expansion au cours des dernières années. 

Or, il est vrai que la multiplication des efforts de communication a précisément pour objectif de briser ces chambres d’écho. Le problème, c’est que la démonstration du caractère erroné, inexact, faux, ou fallacieux de telle ou telle affirmation, n’est que de peu d’utilité. En fait, toute tentative de « recadrage » n’a peut-être pour effet que de renforcer les croyances qu’elle voudrait corriger et de polariser le débat. Un coup d’œil aux publications relatives au tramway sur la page Facebook de Bruno Marchand suffira à convaincre les sceptiques. 

***

Je ne souhaite en aucun cas suggérer que le maire de Québec devrait verser dans la démagogie à la seule fin de mousser les appuis au projet de transport en commun dont il est le porteur. Je veux seulement pointer du doigt la principale difficulté de la tâche qu’il s’est donnée ainsi que certaines limites de la stratégie qu’il a adoptée pour y parvenir.  

Même s’il n’y a pas de contradiction entre les deux, il faut admettre qu’informer, ce n’est pas inspirer. Chacun sait d’ailleurs que la posture du pédagogue n’est pas toujours la meilleure pour porter un message. C’est pourquoi sans doute les récents élans passionnés du maire ont eu un impact presque immédiat. Signe que les arguments ou les idées ne sont peut-être pas les plus susceptibles de faire éclater les chambres d’échos, et de rendre ainsi possible ce qui est nécessaire.

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