Une ville déséquilibrée

villeUne carte de la ville de Québec. Photo : Capture d'écran, google maps.

Je me souviens à quel point on se moquait de Jean-François Gosselin pendant la campagne électorale quand il répétait que l’élection serait un référendum sur le projet de tramway. 

Par Gabriel Côté

Aujourd’hui pourtant, il s’agit d’une vérité acceptée par à peu près tout le monde qui s’occupe de politique municipale à Québec. Et si le maire s’explique la position de Québec 21 par l’exigence de « vivre avec les décisions qu’ils ont prises en campagne », le chef de l’opposition officielle, Claude Villeneuve, dit tout haut ce que bien des gens se chuchotent probablement dans les corridors de l’Hôtel de Ville : « il est temps pour Québec 21 de prendre acte du résultat des dernières élections. »

M. Villeneuve va même jusqu’à se demander : « Si ça soulève tant d’inquiétudes, si les gens rejettent autant ce projet-là, comment ça se fait que Québec 21 ait juste fait 24 % aux dernières élections ? »

Que chacun se le tienne donc pour dit : de l’avis presque général, il s’agissait bel et bien d’une élection référendaire. 

Tout le monde est libre d’interpréter les résultats d’une élection comme il le souhaite, mais c’est le taux de participation anémique qui demeure la donnée la plus frappante et sans doute la plus importante à considérer. 

L’analyse habituelle veut que la tendance à la baisse dans le taux de participation aux scrutins municipaux soit un symptôme d’une « crise de la démocratie », qui s’expliquerait par une perte de confiance de la population envers les institutions. 

Voici l’arbre. Derrière, il y a une forêt. 

Il me semble que la population de Québec pratique depuis très longtemps un certain scepticisme à l’endroit des dirigeants, qui se manifeste entre autres choses par l’absence d’illusions, par un réalisme élémentaire et un souci de ne pas se laisser tromper. 

« Monsieur-Madame-Tout-le-Monde » ne croit pas que les gens puissent agir de façon complètement désintéressée, et quand vient le temps d’expliquer les actes d’autrui, et à plus forte raison ceux des politiciens, c’est le motif le plus égoïste qui lui paraît d’emblée le plus raisonnable. Et, s’il est persuadé que tout dans les coulisses se déroule malhonnêtement, il est malgré tout résigné, ou du moins, il n’est pas violemment indigné. 

Voilà pourquoi l’explication de la perte de confiance envers les institutions démocratiques me paraît superficielle, et au fond, stérile : l’âge d’or où existait une relation de confiance mutuelle entre le peuple et les dirigeants paraît à bien des égards une fiction de l’esprit.

La conséquence de ce constat, à l’échelle de la ville, c’est que les élus municipaux n’ont pas (ou pas seulement) à chercher à regagner la confiance des gens pour leur redonner le goût de participer à la vie publique. 

Le problème est ailleurs, dans le jeu des forces qui par leur interaction forment la ville : le peuple, le politique, l’administration.

À grands traits, on pourrait dire que le rôle de la population est d’inspirer, de surveiller, voire de congédier ; celui des politiques est de gouverner, et de prendre des décisions en essayant autant que possible d’éviter le pire ; enfin, celui de l’Administration est d’assurer le fonctionnement régulier des rouages de la Ville. 

Chacune de ces tâches exige certaines qualités. Les citoyens doivent avoir du jugement, les fonctionnaires doivent être compétents, et les élus doivent avoir assez d’esprit politique pour concilier les opinions des citoyens et les exigences de l’administration. 

Tout le dossier du tramway révèle le merveilleux déséquilibre entre ces trois « ordres » à Québec. 

En ne se présentant pas aux urnes, la population ne remplit pas l’ensemble de ses fonctions, et elle envoie ainsi des signaux trop ambigus aux élus, qui ont alors la marge de manœuvre nécessaire pour justifier leur conduite d’une façon et de son contraire. On peut tout aussi bien déclarer le tramway légitime, en s’appuyant sur le résultat de l’élection, qu’illégitime, en s’appuyant sur les sondages. 

Comme les politiques doivent prendre en compte non seulement le sentiment des électeurs, mais celui de l’ensemble de la population, dans la mesure où tout le monde paye des taxes, ils avancent toujours sur un sol très instable. D’un côté, les électeurs exigent d’eux qu’ils tiennent leurs promesses ; de l’autre, la tenue de ces promesses risque dans certains cas d’exciter la colère de pas mal de monde, assez du moins pour faire en sorte que les élus aient le sentiment constant de marcher sur des œufs. Car si les gens ne sont pas sortis voter, rien n’empêche que leur insatisfaction atteigne un niveau suffisant pour qu’ils le fassent au prochain scrutin. 

Enfin, en tant qu’elle est le socle stable qui assure la bonne conduite des dossiers, l’administration profite de l’instabilité de politique pour prendre plus de place. Cela se fait naturellement et sans mauvaises intentions. 

Tout aussi naturellement, les élus tendent alors à s’appuyer sur l’expertise de l’administration pour gouverner. Et si par miracle ils échappent au culte de l’expert (qui est proprement l’un des vices de notre époque), ils risquent de verser dans l’autre extrême et de se nourrir non plus de compétence, mais de passion. 

Pour en revenir à mon sujet, c’est folie de penser que des présentations d’experts, toutes vulgarisées qu’elles soient, feront changer l’opinion publique à propos d’un projet comme celui de tramway, comme c’est folie de croire qu’il suffit de s’appuyer sur l’avis de spécialistes pour élaborer de bonnes politiques. C’est méconnaitre non seulement le caractère de la population, mais encore la nature de la relation entre le peuple, les politiques et la fonction publique. Faire porter le blâme à la population en lui disant qu’elle n’avait qu’à aller voter ne me paraît pas non plus très efficace.  

On demande à juste titre aux politiciens populistes d’aller se renseigner auprès d’experts avant de venir faire leur petit numéro – et généralement, ils font la sourde oreille, et c’est très dommage. Mais on ne demande pas assez aux autres d’aller se retremper dans la réalité de la population.

Savoir équilibrer ces deux ordres est tout le génie du bon politique. Et cela demande de se départir de la bouée de sauvetage de la technique, et de « nager » tout simplement. En un mot : on gouverne par la personnalité, pas par des recettes.  

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