Le Mikes de la Malbaie

Des glaces sur le Saint-LaurentDes glaces sur le Saint-Laurent. Photo : Alain Bureau

Les œufs bénédictine ne me tentaient pas, j’ai pris l’assiette brunch, ça me semblait une valeur sûre.   

Ça venait avec un jus d’orange ou un café. J’ai opté pour le café, sans lait ni sucre, mais avec du miel s’il-vous-plait. « Ah bon, vraiment ? », m’a apostrophé le serveur. Ma blonde, elle, est replongée dans son menu. Elle a fait comme si elle n’avait rien entendu.    

C’est vrai, je n’avais jamais même eu l’idée de mettre du miel dans mon café, mais après tout j’étais au Mikes de la Malbaie, alors pourquoi pas.   

En réalité, je venais de lire une jolie phrase de Philippe Lançon, dans le Charlie Hebdo. Il avait, écrivait-il, « ajouté une cuillerée de miel du village » à son café. Ça m’a donné le goût, mais finalement il n’y avait pas de miel du village au Mikes de la Malbaie, juste des petits cartons dans l’assiette de confiture.  

C’était la dernière journée avant les rénovations, nous a appris le serveur. Les banquettes étaient bien enfoncées, un peu déchirées, et c’était bon de s’y asseoir. Quant à la salle à manger, elle était clairement divisée en deux parties. C’était une cicatrice de l’époque de tolérance où les fumeurs avaient leur section à eux. Dans les dernières années, comme partout ailleurs, c’était devenu une sorte de « salon privé », qu’on pouvait possiblement réserver pour l’anniversaire de grand-papa.   

Le Mikes de la Malbaie
Photo : Google maps.

À la table d’à côté, un homme expliquait ce qu’il ferait avec son argent s’il gagnait un dollar de plus de l’heure. Il pourrait alors peut-être réparer sa voiture, ou prendre des vacances, mais pour aller où exactement, ça il ne le savait pas. Il déciderait en temps et lieux de toute façon, enfin il demeurait prudent dans sa rêverie. 

À la télévision, il y avait du golf. Ça avait l’air d’aller pas trop mal pour le Canadien Corey Conners, qui menait par deux coups. Il y a quelque chose d’hypotisant dans le golf à la télévision. Les longs plans qui suivent la balle dans les airs, suivis par l’atterrissage soudain, le rebond, le roulement de la balle jusqu’à l’arrêt complet, la pause, et la révélation de la valeur du coup par la réaction du joueur y sont pour quelque chose.  

– Tu ne bois pas ton café au miel ? me lança ma blonde avec une ironie grinçante, mais affectueuse.

– Oui, oui, c’est juste que le Canadien menait par deux coups, et là son adversaire a l’air de revenir. Les derniers trous seront importants.

– Donne-moi tes cretons, tu n’aimes même pas ça.  

Le café était tiède, mais pas absolument mauvais. J’ai déclaré que l’expérience n’était pas concluante, qu’il me faudrait du miel du village pour vraiment me faire une tête. Le serveur a dit qu’il allait passer le mot à son patron pour voir s’ils pourraient en avoir à la réouverture, j’ai convenu que c’était une bonne idée, puis j’ai demandé la facture. Les assiettes étaient vides, ça semblait la chose à faire. 

Il devait être environ quatorze heures. Le restaurant n’accueillait plus de nouveaux clients, et nous avons dû traverser la « section fumeur » pour sortir par une autre porte. À l’extérieur, il y avait des camions. Des travailleurs s’employaient déjà à vider le Mikes de la Malbaie. 

Derrière eux, un vent considérable agitait les eaux du fleuve, que le soleil faisait scintiller. « C’est impossible, me dit ma blonde, de fixer un point très longtemps quand on regarde l’eau. Les petites vagues se perdent rapidement dans le remous, et c’est ça d’ailleurs qui fait qu’on aime regarder le fleuve : on essaie de le saisir ou d’en arrêter le mouvement, mais on sait qu’on ne peut pas le garder. » 

L’homme du restaurant qui exposait plus tôt ses modestes projets se tenait debout, au milieu du stationnement, les yeux rivés sur les flots de la rivière Malbaie. Quelques secondes plus tard, il est parti, sa voiture faisait en effet un drôle de bruit, c’était remarquable.  

G.C.

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