Jean-François Lessard et le théâtre comme « manière de poser les bonnes questions »

Jean-François LessardJean-François Lessard. Crédit photo : Hélène Bouffard.

Dès ce mercredi, la pièce de théâtre d’Entr’actes, Ailleurs que maintenant, écrite et mise en scène par Jean-François Lessard, sera présentée au complexe Méduse.

En collaboration avec Québec BD et Les Productions Recto-Verso, la pièce traite de la question de la pluralité humaine, plus précisément des thèmes de la fuite de soi, de l’alter ego, du deuil, de la marginalité et de la violence.

Jean-François Lessard, directeur artistique pour Entr’actes, auteur et metteur en scène de la pièce, nous invite à réfléchir sur ces enjeux qui l’occupent depuis six ans et se sont matérialisés dans Ailleurs que maintenant.

Devenir le directeur d’Entr’actes

Jean-François Lessard travaille dans le milieu du théâtre depuis une trentaine d’années. Il a fait un baccalauréat en théâtre axé sur la mise en scène.

« J’ai fait une maitrise qui portait sur la rencontre entre le théâtre et la musique, raconte-t-il. J’ai été engagé comme professeur dans des écoles et tranquillement, j’ai commencé mes premiers projets à Premier Acte et au Périscope. Je suis à la direction artistique d’Entr’actes depuis 2002. »

Jean-François Lessard chapeaute tous les volets, soit le volet loisir et professionnel ainsi que les ateliers. Il explique qu’il cohabite avec l’idée d’écrire depuis le tournant des années 2000.

Les thèmes de la fuite et de l’identité parallèle

Ailleurs que maintenant est né il y a six ans de la collaboration d’interprètes et de concepteurs. C’est Jean-François Lessard qui a fourni l’idée de départ ; soit sa volonté de parler des identités parallèles ou des alter ego.

« C’est des gens qui décident que leur vie au quotidien n’est pas satisfaisante et ils ont envie de faire ou d’être autre chose, explique-t-il. On a parlé des avatars numériques, mais c’était difficile à théâtraliser. Il y a eu l’idée des real life superheroes qui s’est imposée. Certains peuvent aussi avoir des identités parallèles, mais on ne sait pas si c’est voulu ou non. Ça nous amène à la question de la fugue dissociative, qui est un thème psychiatrique. »

Il explique que c’est plus exactement le thème de la disparition qui l’a toujours touchée. La question de la marginalité s’est ainsi imposée à l’auteur en cours de rédaction. C’est parce que ceux qui désirent une identité parallèle « ne sont pas à l’aise dans le monde qu’on leur propose » qu’ils sortent de la norme.

« La pièce est devenue sociologique et même politique, poursuit Jean-François Lessard. Est-ce qu’on a envie de vivre ailleurs que maintenant ? La réponse est oui. Est-ce qu’on a envie de vivre dans un monde qui exclut et se fait la guerre, un monde pas très vert ? La réalité nous donne envie de nous créer des fictions et c’est une forme de marginalité. »

Selon lui, le monde est chaotique et finalement un espace difficilement habitable. « On est dans une société très violente et dans un monde qui est étouffant », ajoute-t-il.

La marginalité ainsi que le besoin de fuir ou de se réfugier dans un alter ego sont donc universels selon lui. Tous vivent un certain malaise par rapport à la société et leur identité propre.

Ailleurs que maintenant : différentes figures de la différence

Jean-François Lessard raconte que le personnage de sa dernière pièce, Mateo et la suite du monde, disait dès le début qu’il vivait avec le syndrome d’asperger.

« Beaucoup de gens venaient me voir et me disaient qu’ils s’étaient identifiés à lui, continue-t-il. Dans Ailleurs que maintenant, on ne nomme pas d’handicap, on ne fait pas de diagnostic. » 

Le metteur en scène précise que l’histoire de sa nouvelle pièce parle d’une femme, Cindy, qui est en deuil suite au meurtre de son ex-copain, une injustice qui n’est pas résolue.

« Dans une expérience de deuil, souvent on se met à l’écart, explique-t-il. C’est une forme de marginalité. Un autre personnage est un gars qui n’a pas fini son secondaire. Ce n’est pas handicap, mais c’est une autre forme de marginalité. »

Normand, un autre personnage qui vit le deuil, parle au public et confie son désir de partir au loin, « un lointain qu’on imagine cosmique ». Il fuit donc dans un alter ego, celui du cosmonaute, en se préparant à partir visiter l’espace.

« C’est comme toujours entre le réel et le fictif, ajoute Jean-François Lessard. Revêtir une autre identité c’est un peu fuir la sienne et le monde au quotidien dans lequel on vit. »

Le théâtre comme manière de questionner

L’art ou le théâtre peut-il être une solution ou une manière de répondre au « chaos du monde » ou à cette « mécanique chaotique » que le metteur en scène thématise dans ses pièces ?

« On est là pour poser des questions et aussi pour montrer un exemple d’inclusion, de gens qui ont appris à travailler ensemble malgré leurs différences, affirme-t-il. L’idée d’une société inclusive ce n’est pas juste pour bien paraître ou parce que le mot diversité est à la monde. Derrière l’idée d’inclusion il y a une philosophie d’acceptation de l’autre qui est pacifique, une philosophie qui trouve ce qui nous rassemble. » 

Le théâtre, donc Entr’actes, a comme mission fondamentale selon Jean-François Lessard de proposer au public des questions, puisqu’il ne règle pas les problèmes. L’art n’étant pas « la solution à tous les maux », son rôle social et politique est selon lui de poser les bonnes questions.

« On n’est pas dans le doctrinaire au théâtre, ni dans le religieux, soutient-il. Les gens font leur propre chemin. La pièce Ailleurs que maintenant est conçu en sorte que les gens sortent et en discutent. »

Entr’actes montre tout de même l’exemple par rapport à l’idéal de la diversité et ne se contente pas que de questionner. « Ce n’est pas juste une sentence, affirme à cet égard le directeur artistique. On le fait parce qu’on a réussi à se rencontrer. »

L’alliance ludique de la BD et du théâtre

Au départ, il n’était pas question d’utiliser le médium de la bande-dessinée.

« Tous les personnages avaient leur univers rêvé et parallèle, explique le metteur en scène. Une façon de le faire vivre c’était par le costume et la musique, mais on a commencé à associer des images qu’on projetait en vidéo. On s’est dit à un moment que c’était peut-être de la bande-dessinée. »

En 2009, il a donc approché le bédéiste Guillaume Demers. Ensuite est venu plus clair l’orientation de la BD dans la pièce.

« Normand, celui qui part, est quelqu’un qui dessine sa vie à défaut d’en avoir une, précise Jean-François Demers. L’histoire qu’il raconte il la dessine et on en voit des images. La BD aide à amener cet univers parallèle. Elle ouvre la porte à la rêverie en créant des lieux diversifiés. C’est comme si nos personnages se promenaient. Parfois, on voit aussi ce qui se passe dans la tête des personnages. »

Cet usage de deux médiums différents permet selon le directeur artistique d’ajouter une dimension à la narration et dit quelque chose d’un point de vue dramaturgique. La structure de la pièce est aussi cinématographique, puisque ce sont 35 scènes qui s’enchaînent en seulement 1h40.

Ailleurs que maintenant est présenté à la salle multi du complexe Méduse du 30 mars au 16 avril. Les représentations sont du mercredi au samedi à 19h30.

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