La couleur de la neige

neigePhoto : Gabriel Côté

C’est de quelle couleur, la neige, Béatrice ?

« C’est blanc et jaune. »

J’ai bien ri, mais j’ai maudit en moi-même les chats des voisins qui viennent pisser dans la cour. Tout l’été, ça sent mauvais, et tout l’hiver je dois surveiller les enfants pour ne pas qu’ils goûtent à la belle neige jaune. 

Après avoir cherché d’un bref coup d’oeil le coupable, en vain, je dis au revoir aux enfants, j’enlève la neige qui recouvre mon vélo, puis je le range pour l’hiver. Je consulte la météo, il neigera la semaine prochaine, donc je sors mes skis de fond, ma cire et ma lampe frontale.

L’an passé, je n’ai pas skié une seule fois, mais mes skis étaient prêts, comme ils le sont cette année.   

Je me fais un café, il est froid car j’ai versé trop de lait dedans par accident, puis je vais devant mon ordinateur pour consulter mes courriels. Rien d’intéressant, sauf d’intrigants messages à propos du « vendredi fou ». Tout l’avant-midi, j’allais recevoir « en temps réel » des données sur les dépenses des canadiens en cette journée spéciale. 

À 10h, heure de l’est, 705 000 transactions avaient été effectuées. « En début de journée, le Québec a enregistré un pic de 100$ dépensés par seconde ». À 11h30, le nombre de transactions enregistrées a grimpé à 1,2 million, et le pic de dépense par seconde a atteint 109$.    

J’apprends dans les mêmes communiqués l’existence d’une autre journée particulière : le Cyberlundi.

Dehors, il continue de neiger à gros flocons. Un groupe d’enfant marche lentement en tenant une corde, sous la surveillance de deux jeunes femmes qui me semblent plus inattentives qu’à leur habitude. Quelques gamins essaient d’attraper des flocons, mais l’un d’eux, un libre penseur, s’est saisi d’une vieille branche, qu’il porte au même moment vers sa bouche. 

Fatigué par la lumière de l’écran de mon portable, je sors marcher moi aussi. Devant l’Alimentation G.D., sur la 3e Avenue, je croise le même homme avec une moustache, des lunettes fumées et de grands cheveux gris écrasés sous une casquette, que je vois tous les jours au même endroit. Aujourd’hui non plus, je n’ai pas de monnaie, mais je me demande si les quelques dollars qu’il dépensera peut-être plus tard dans la journée seront comptabilisés dans les données du vendredi fou. 

Je passe par le parc d’Iberville, il n’y a personne, puis je traverse la rivière sur le boulevard Jean-Lesage. De l’autre côté du viaduc, je bifurque pour passer en-dessous, là où il y a une piste cyclable. 

Sous les deux ponts qui passent par-dessus ce petit chemin, on peut facilement monter sur des structures en béton. Un homme est allongé là sur une pile de boîtes de carton humides. Il est là tous les jours, d’ailleurs, du moins depuis qu’il a commencé à faire plus froid. Des fois, il doit changer ses boîtes de carton. Je ne serais pas surpris qu’il se les fasse piquer de temps en temps, et qu’il doive en trouver d’autres.

Près du site de l’ancien marché du Vieux-port, deux chats se courent après sur la neige mouillée, sans que j’arrive à comprendre pourquoi exactement. 

C’est drôle, quand je pense à la première neige, c’est toujours une image romantique d’un beau tapis blanc, presque immaculé, qui me vient en tête tout d’abord. Puis vient la fin du mois de novembre, et je me souviens que ce que je croyais tout blanc est aussi jaune, brun et gris. 

G.C.

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