Vanessa Bell : « Le rôle de la poésie est peut-être d’enlever les règles du monde »

Vanessa BellVanessa Bell. Crédit photo : Chloé Charnonnier.

Vanessa Bell fait depuis peu partie du Répertoire culture-éducation, ce qui signifie que ses textes peuvent être enseignés de l’école primaire à l’université. 

Vanessa Bell oeuvre dans le milieu de la littérature depuis 15 ans comme « poète, autrice, performeuse et animatrice ». Depuis une dizaine d’années, elle écrit plus professionnellement et en 2019, elle a publié son premier recueil, De rivières (La Peuplade). 

Nous nous sommes donc entretenus avec l’artiste pour en savoir plus sur sa pratique littéraire et son rapport à l’éducation. 

Comment décrirais-tu ta poésie? 

« Souvent on m’appose l’étiquette d’éco-féministe et c’est pas quelque chose que je revendique ni que je refuse. Mes écrits sont très engagés politiquement et sont féministes, mais aussi tournés vers le territoire. Moi je ne me limite pas, je fais ce que j’ai envie. Je ne m’identifie pas à un courant, mais je sais ce que j’aime exploiter, c’est-à-dire tout ce qui touche l’idée de la filiation, les femmes, la transmission. C’est à la fois quelque chose de féministe et de féminin et qui touche à la question du territoire. »

Y-a-t’il un message que tu veux faire passer à travers ton écriture?

« Je dirais que c’est plus un besoin d’écrire sur certains sujets que des valeurs que je voudrais défendre. Quand j’écris un texte, c’est que ça vient du ventre et qu’il y a la nécessité de l’écrire, de le partager et de le réfléchir en communauté. Chaque auteur travaille avec les valeurs qui l’habitent, mais je ne m’inscris pas comme une militante politique. 

Pour moi le féminisme se vit au jour le jour. Pour la poésie, c’est quelque chose qui m’habite et qui se traduit dans mes intentions d’écriture, mais je ne le fais pas forcément consciemment. »

Que représente pour toi la poésie, comment conçois-tu son rôle? 

« Pour moi la poésie c’est une manière d’être au monde. Sans la poésie, ma vie n’a pas de valeur. Je ne sais pas comment regarder le monde autrement. La poésie c’est une manière de dire le monde. Quant à son rôle, c’est une question qui me dépasse. Ça serait peut-être d’enlever les règles du monde pour se rappeler qu’on est des êtres sensibles d’abord et avant tout. 

C’est ce que j’aime de la poésie actuelle c’est le fait qu’il n’y ait pas les règles qu’on s’était dotées pour décider si un texte est de la poésie ou pas. En poésie, tu n’es pas obligé de tout comprendre. » 

Puisque tu fais maintenant partie du corpus scolaire, comment conçois-tu l’enseignement de la littérature? 

« Ma responsabilité est davantage du domaine de l’accès. Quand je vais dans les classes, je rappelle que ce n’est pas important de tout comprendre. J’utilise une analogie avec la musique : quand j’écoute une pièce d’un album et que je ne l’aime pas, je ne me dis pas que la musique ce n’est pas pour moi. Il faut se donner la même chance avec la poésie.

Après, moi mon travail défend toujours l’écriture des femmes. En ce sens là, la deuxième chose que je trouve importante en cadre scolaire, c’est la question de la représentativité. Si on ne se voit pas et on ne se lit pas, comment on peut savoir que ça nous est accessible ? C’est pour ça que j’ai écris « L’anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000-2020 », soit dans une visée éducative et d’accessibilité. » 

Dans quel domaine dirais-tu que tu as une spécialité?

« Ce qui est inhabituel dans mon parcours, c’est que je n’ai pas fait d’études supérieures. J’ai commencé un baccalauréat en littérature que je n’ai jamais terminé. Pour moi c’était trop long. J’aime ça être en mouvement. Je me suis créée une spécialisation qui est l’art actuel. Je suis spécialisée dans le ici et le maintenant. J’aime beaucoup les choses très champ gauche. J’aime beaucoup l’expérimentation, les gens qui osent, les projets qui vont au-delà de ce qui est attendu. J’aime la déroute.

La poésie ce n’est pas nécessairement ce qui s’est fait il y a 200 ans. Ça peut être bien je ne le renie pas, mais il faut aller à la rencontre de ce qui se fait présentement. On vit au Québec un petit âge d’or au niveau de la poésie. Il est peut-être temps qu’on arrête de penser que c’est de second ordre et qu’on s’intéresse à cette petite révolution qui se passe chez nous. » 

Comment reconnais-tu un texte ou une œuvre qui est déroutante? 

« Moi ce qui m’intéresse c’est surtout l’aspect formel, quand les codes sont détournés et quand on ne sait pas comment classer le livre. On voit la déroute quand on est surpris en lisant un texte. Ça peut être quand le rythme est interrompu par exemple. Moi je suis fortement impressionnée quand la forme est brisée. On le voit de plus en plus en littérature québécoise ; il se fait ce qui n’est pas attendu ou ce qui devrait être fait. La nouvelle génération d’écrivain(e)s se dit : je peux jouer avec tout ça, alors pourquoi je me cantonnerais à une seule chose? » 

Dirais-tu qu’il y a quelque chose chez toi d’anarchiste avec ce désir de faire éclater les codes? 

« Mon copain dit souvent que je suis très punk, alors oui tout à fait. Je ne suis pas quelqu’un qui respecte beaucoup les conventions. Ce n’est pas parce que je trouve que ce n’est pas important. Mon souhait n’est pas de tout brûler, mais dans ma manière de faire de la littérature, c’est vrai que je fais ce que j’ai envie. C’est peut-être parce que ce qui m’habite est singulier.

En se laissant le droit d’écrire les textes qui viennent à nous il y a une possibilité d’être dans le champ gauche. C’est plutôt une question de transparence avec soi-même. Il y a peut-être même une forme de sadisme ; aller à la rencontre de soi dans toute notre vulnérabilité. Moi c’est la seule manière que j’ai trouvé de faire de la création. » 

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