Je suis contre la transparence

Des fruits d'églantierDes fruits d'églantier. Photo : Pixabay

Je ne sais rien, je n’ai rien accompli et je n’ai aucune ambition. Vous ne me croirez peut-être pas, mais c’est comme ça que j’ai séduit ma fiancée. Je lui ai dit ça en la regardant droit dans les yeux, puis elle est tombée amoureuse, voilà tout.

Par Georges-Albert Beaudry

Bien entendu, cette histoire est complètement fausse. L’affirmation, elle, n’en est pas moins vraie. C’est pour ça que quand j’ai rencontré mon amoureuse, j’ai cru bon de lui mentir. C’était un jour pluvieux de juillet au Bassin-Louise. Des corbeilles de fleurs détrempées pendaient sous des abris inutiles, l’air étant si lourd qu’à lui seul il pouvait mouiller notre peau. Je crois que nous n’avions rien à dire, mais nous avons parlé quand même. À quelques reprises, j’ai pris je crois des libertés avec la vérité. J’avais un peu l’impression que c’était la chose à faire.  

Je lui mens encore des fois, pour toutes sortes de raisons insignifiantes. Souvent, elle s’en rend compte. Mais elle est gentille. Elle fait comme si elle ne remarquait pas. Il arrive qu’elle me mente aussi. Je le sais et je ne dis rien. 

Je mens aussi à mes parents, à mes amis, à mes collègues de travail, aux gens que je rencontre par hasard, aux filles de café, et surtout à mes enfants.

Toutes ces relations ont en commun qu’elles sont fondées sur un même accord, qui est la condition même de la vie en société. Nous devons accepter d’être immanquablement trompés par les autres, et de les tromper nous aussi à l’occasion.

Ainsi vous m’excuserez d’avoir cette opinion peu commune : je suis contre la transparence.

Ce mot est pourtant sur toutes les lèvres. Les spécialistes des relations interpersonnelles en vantent les mérites évidents. Les institutions internationales s’en réclament. Le monde de la finance en fait son slogan. Les théoriciens du management l’écrivent partout. La santé publique jure en faire preuve à chaque instant. Cela est sans compter les économistes, les organismes communautaires, les petits et les grands fonctionnaires, les gouvernements. Ajoutez-y tout le monde que vous connaissez, vous ne serez pas dans l’erreur.

Manifestement, être transparent, c’est bien.

Selon une idée qui court, la transparence est la condition sine qua non de la confiance entre les divers membres d’une société donnée. Mais il s’agit d’une bien drôle de confiance, et pour tout dire trop exigeante, car elle demande l’assurance de n’être jamais trompée.

Ainsi, cette confiance qu’on s’efforce de gagner en promettant jour après jour toute la vérité et rien que la vérité, n’est finalement que l’envers d’une méfiance excessive. Chacun l’admettra sans peine, puisqu’on parle tous les jours dans les journaux d’une « crise de la confiance » envers les institutions démocratiques.

Mais il n’y a aucun mal à se méfier. La méfiance est lucide. Elle remarque plus de choses que la confiance, trop naïve et trop bête parfois pour voir ce qu’il y a de plus clair.

Si donc confiance et méfiance ne vont jamais l’une sans l’autre, toute la question est de trouver le bon dosage. Jusqu’où peut-on faire confiance aux autres sans être dupe? Quelle est la limite au-delà de laquelle la méfiance devient déraisonnable?

Exiger de la personne dont on est amoureux une transparence totale passe manifestement les limites de ce qui est acceptable. L’amour a besoin de ses secrets et de ses mensonges. Faire confiance, c’est accepter de jouer ce jeu.

– À qui pensais-tu, ma chérie, lorsque tu rêvassais près du bel églantier?

– À toi mon amour, à qui d’autre?

Good. Dis-moi, on se fait venir du Pierrot pour souper? J’aurais envie d’une pizza. Il y a un spécial je pense.

Pareillement, exiger de nos dirigeants une transparence totale me semble relever de l’idiotie. Et je ne peux imaginer de plus grande sottise que de faire confiance à celui qui dit la main sur le cœur : « je n’ai rien à cacher ».

La politique a elle aussi besoin de ses secrets et de ses mensonges. Et il n’est rien de plus sain qu’un peuple qui se méfie de ses dirigeants, et qui le force ainsi à rester lui aussi sur ses gardes.

Tenez, le voilà le remède à la « crise démocratique ».  

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