L’âme de la ville (II) : on n’est pas doués pour le changement

La rivière Saint-Charles en 1980Une photo de la rivière Saint-Charles en 1980. Crédit photo : Archives de la Ville de Québec

Avant d’entreprendre la description de la misère propre à la ville de Québec, je voudrais dire quelques mots au sujet de la raison qui selon moi l’explique. 

Par Georges-Albert Beaudry

Elle tient, en réalité, en une seule ligne : on y est peu doué pour le changement, et on n’est pas au courant. Il ne serait pas si mal en effet d’être comme on est si on l’acceptait; mais c’est toujours un vice de se détester soi-même et de s’efforcer d’être ce qu’on n’est pas. 

Ne dit-on pas que le comble du malheur est de rechercher des éloges en se présentant au monde masqué? C’est quelque chose que tout le monde sait. Les compliments reçus à tort ne sont rien, sinon des insultes ; on peut s’en nourrir tant qu’on ne se connaît pas. Dès qu’on est un tant soit peu lucide, toutefois, les fausses approbations perdent leur attrait. Pour tout dire, elles deviennent même dégoûtantes. 

Or, depuis quelques années déjà, on se targue à Québec d’être une ville « moderne », un terreau fertile pour « l’innovation », bref un endroit où les « choses se passent ». 

Je concède volontiers qu’en surface, des milliers de petits évènements ont lieu au quotidien. Des entreprises ouvrent, d’autres ferment. On se rend au travail et on fait sa besogne. En tant normal, il y a chez nous autant de divertissements honnêtes qu’on en peut trouver dans n’importe quelle autre ville. On danse, on boit, on consomme. On va sur les places publiques, pour célébrer les jours de fêtes ou pour manifester contre l’injustice quand on sent sa main se serrer sur notre épaule. 

Mais tout ceci ne fait rien à l’affaire. Plus qu’ailleurs, ce qu’on fait à Québec est susceptible d’être défait dans un avenir proche; ce qu’on projette est susceptible d’avorter.

Et que cela soit clair : je ne fais pas ici de critique, seulement un constat.

On est proprement les spécialistes de la pelletée de terre symbolique. Mais contrairement à ce qu’on croit, le « symbole » n’est pas le signe que les choses démarrent enfin. C’est plutôt l’indice troublé d’un rêve incertain : on voudrait faire quelque chose, mais on sent bien que tout est précaire, que rien n’est sûr, et que de toute façon ça n’a pas d’importance. 

Nos tergiversations et nos amusants débats le montrent assez. J’en donnerai deux exemples.

Dans les années 1970, on a voulu régler un problème de rats sur les berges de la rivière Saint-Charles. On a donc bétonné les berges à la grandeur. Cela fut comme on peut le deviner un investissement majeur. L’objectif a d’ailleurs été atteint, et le problème de rats a été réglé. Mais le béton a causé d’autres ennuis : plus rien n’arrivait à vivre dans la rivière, et l’inefficacité de notre système d’égoûts a rempli notre belle rivière de coliformes fécaux. 

En conséquence, on a renaturalisé les berges et assaini les eaux de la Saint-Charles entre 1996 et 2008, ce qui fut aussi un investissement majeur. 

Au bout du compte, on s’est affairé pendant plus de trente ans, on a dépensé une quantité phénoménale d’énergie et d’argent pour… rien du tout. 

Il me semble que nous sommes actuellement pris dans un processus plus long, qui a commencé au milieu des années 1950. Des architectes et des urbanistes ont alors songé qu’il serait une bonne idée de diviser la ville en vastes ilôts, chacun devant être dédié à un seul usage. Dormir (dans des quartiers résidentiels), travailler (dans les zones urbaines), consommer (dans des centres commerciaux) et circuler (sur des routes). On appelle cette jolie idée le « fonctionnalisme ». 

C’est à cette idée que l’on doit notamment les Galeries de la Capitale, Place Sainte-Foy, Place Fleur de Lys, la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency et le prolongement de l’autoroute Laurentienne. On avait aussi à cette époque le projet farfelu de construire un tunnel entre Québec et Lévis. 

Sans doute aveuglés par la mode fonctionnaliste, les preneurs de décision n’ont pas alors songé que les gens apprécient vivre pas trop loin de l’endroit où ils gagnent leur vie, et que les lieux où l’on consomme sont pour certains des lieux de travail, bref que la division de la ville en fonction des diverses activités des citoyens n’est une belle idée qu’en théorie, car en pratique « tout est dans tout ». Le rêve fonctionnaliste s’est donc effondré. Des quartiers se sont construits autour des centres commerciaux et on s’est retrouvé avec un problème d’étalement urbain. 

Aujourd’hui, on a une conscience aigue des erreurs du passé. Place Fleur-de-Lys est en train de mourir de sa belle mort, des citoyens se mobilisent pour reconvertir l’autoroute Laurentienne en boulevard urbain. 

Aujourd’hui, les modes ont changé, et on aimerait bien chez les urbanistes revenir en arrière. N’entend-on pas certains parler de « cicatrices » pour désigner ce qui reste des dérives du passé ? 

Outre ces cicatrices et les problèmes environnementaux et sociaux causés par l’étalement urbain, il me semble qu’on a conservé du dernier siècle quelque chose de moins visible et de plus solide.

On regarde notre ville non comme ce qu’elle est, mais comme ce qu’elle devrait être. Autrement dit, comme pour nos aïeux, notre ville n’est pas pour nous une ville, mais un concept urbain.

Mais comment savoir si nos idées, nos goûts, nos « visions » de la ville – la notion de « ville intelligente » me vient en tête – sont plus lucides que ne l’étaient celles des bons fonctionnalistes? 

***

Ceux qui s’intéressent aux tergiversations en matière de développement urbain à Québec trouveront leur compte sur ce site Web.

Lire la première chronique consacrée à l’âme de la ville.

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