Impressions citadines par Catherine Dorion : «Tu m’aides, je t’aide»

«Tu m’aides, je t’aide»

«Bonjour, j’ai pris trop de drogue dans ma vie…» C’est son accroche.

– J’ai pas de liquide, j’en retirerai en payant mon café, je t’achète un journal en sortant si t’es encore là?

– Ah ben achète-moi donc un café à la place de me payer le journal. Mon travailleur social arrive juste à onze heures pis il paye pas le café.

Et le camelot de La Quête quitte son shift de vente et entre se réchauffer en dedans. Je lui paye son grand café filtre.

– Garde ton journal : le café que je te paye vaut moins que quatre piasses.

– Non, non, prends-le.

– Non, non, non. Ah, tiens, je le connais le rappeur que vous avez mis en page couverture, c’est Webster.

– Tu vois? Tu le veux. Tu le prends. Tu m’aides, je t’aide.

«Tu m’aides, je t’aide.» D’un ton péremptoire. Une loi.

Et j’ai eu comme un étrange manque. Une soudaine envie que cette loi veuille dire autre chose que ces retours d’ascenseur entre chefs d’entreprise et politiciens ou entre HSBC et ces riches qui ne voulaient pas payer de taxes. Que ceux qui occupent le haut du pavé comprennent qu’aucune fortune, aucune position sociale ne se maintient sans tous ces humains en dessous. Que personne n’amasse autant de richesse sans accumuler en même temps une dette équivalente envers la société qui lui a accordé cette influence et cette puissance. Pourquoi devine-t-on si rarement l’héritage de cette vieille loi communautaire, «tu m’aides, je t’aide», dans l’attitude des puissants d’aujourd’hui? C’est quoi? Ils s’en foutent? Ils prennent et c’est tout? Mais qui les a élevés, ce monde-là?

Je sais qu’il est naïf d’imaginer que le monde ressemble à ces vieux contes chinois où un roi riche et puissant est obsédé par le bien-être de ses sujets et par les manières dont il pourrait se sacrifier pour eux (tout ça malgré une inégalité de conditions matérielles qui ne semble pas lui faire un pli sur la poche). Voilà quelque chose de plus réaliste : des rois tout aussi riches et puissants qui se contre-crissent de leurs sujets, qui provoquent des famines et des guerres et qui saupoudrent la misère partout où cela s’avère nécessaire à l’accumulation de l’or dans leurs coffres. À peu près la définition de la barbarie, finalement.

En attendant, la devise «tu m’aides, je t’aide» continue d’avoir cours dans les cercles de démunis. Il reste encore quelques poches de civilisation ici et là.

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