Chronique : Carpe Diem

David Lemelin présente sa chronique Droit de citéDavid Lemelin (Photo : Archives Carrefour de Québec)

Par David Lemelin

J’ai visité les Mosaïcultures, plantées dans le superbe domaine du Bois-de-Coulonge, surplombant le fleuve tout au bout des plaines d’Abraham.

C’est là, plus bas, que débarquaient, il y a presque 263 ans, le général Wolfe et ses potes pour conquérir ce territoire occupé par un peuple sans culture et sans histoire. 

Deux siècles et demi plus tard, c’est par la culture des plantes que la conquête se fit. 

De fait, cette exposition-hommage à la vie, franchement, atteint la cible : 200 œuvres magistrales, des thématiques efficacement mises en scène qui font que, très tôt, le visiteur se rend compte que s’il en arrache à tailler sa haie, certains artistes se montrent bougrement plus habiles que lui.

Ainsi, avec des herbages, quelques pousses, une structure et de l’imagination à revendre, on peut faire mieux qu’une plate-bande sans intérêt en donnant l’impression, par exemple, qu’une baleine s’enfonce dans la mer sous nos yeux ou encore que des éléphants se sont arrêtés là pour diner. C’est féérique.

Personnellement, la scène du sublime film d’animation « L’homme qui plantait des arbres » où on admire Elzéard Bouffier, un genou au sol, qui poursuit sa besogne m’a figée d’admiration.

Pourtant, deux choses ont perturbé mon périple dans cet univers surréel.

La première : le prix. Plus de 20 dollars pour faire le tour, ça va.

Mais, quand j’ai vu la liste des commanditaires et partenaires (Industrielle Alliance, Gouvernement du Canada, Gouvernement du Québec, Ville de Québec, Loto Québec, Nation Huronne-Wendat, Commission de la capitale nationale du Québec, QSL, TVA, Beneva, Océan, Port de Québec, VIA, le RTC, WKND, etc. etc.), je me suis dit : ou bien cette exposition est hors de prix et c’est normal de payer autant, ou bien tout ce beau monde en met fort peu, mais juste assez pour qu’on se sente obligé de les remercier, laissant aux simples citoyens le devoir de payer la note.

Ça, c’est mon côté cynique.

La deuxième : les cellulaires.

C’est frappant de constater à quel point le tourisme se traduit aujourd’hui par la jouissance par média interposé. Y’a pas la moitié des gens qui regardaient directement les œuvres.

La majorité des gens prenaient des photos, cellulaire à la main, souvent pour faire un selfie inefficace devant une œuvre gigantesque qui ne permet pas d’inclure à la fois un égo et une girafe en herbe.

J’étais pantois.

Ce ne sont pas les individus eux-mêmes qui m’ont dérangé.

C’est le constat : notre société nous colle désormais un cellulaire à la main, et c’est avec lui que l’on vit.

C’est avec lui que l’on paye, que l’on communique, que l’on parle, que l’on achète, que l’on aime, que l’on choisit, que l’on s’informe, que l’on rit.

Et c’est par lui que l’on regarde, que l’on apprécie.

Fort peu de gens avaient les yeux ouverts, les mains dans les poches, le cœur battant à l’unisson de ce que cette nature artistique leur offrait.

La société de consommation emmagasine les souvenirs qu’on admire, plus tard, en les faisant défiler rapidement au bout du doigt.

La vie réelle se fond dans le virtuel. L’humain qui fait pourtant partie du vivant, de la nature, a créé une barrière technologique et il n’y aura pas de retour en arrière. Il est trop tard.

Qu’on me comprenne bien : je ne bougonne pas. Je constate.

Moi aussi, j’ai cette tendance. Et c’est pourquoi je fais cet effort aussi libérateur qu’exaltant de laisser mon appareil au fond de ma poche. Essayez, vous verrez. Pour vrai.

Et pour vous aider, rappelez-vous les mots de monsieur Keating, du merveilleux film « La Société des poètes disparus » : carpe diem. Cueille le jour, profite de l’instant présent.

Alors, reprenons vos enseignements, Ô capitaine! Mon capitaine! Et réapprenons à profiter de l’instant présent. À vivre avec nos yeux, nos sens, ce qu’on trouve sur cette planète, pendant qu’on y est pour vrai. Réellement.

Alors, profitons.

Là. Maintenant.

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