L’enseignement musical ou la pédagogie de la motivation : entrevue avec Julie Mathieu

Julie MathieuJulie Mathieu enseigne la musique à l'école Jean-de-Brébeuf. Photo : Courtoisie

Saxophoniste professionnelle au sein de l’Ensemble vent et percussion de Québec et enseignante chevronnée dans le programme de concentration musique à l’école Brébeuf, Julie Mathieu transmet sa passion depuis près de vingt ans aux jeunes de Limoilou.

Par Chantal Lévesque

Nous l’avons rencontrée il y a quelques semaines pour découvrir les réalités, les bienfaits et les enjeux de l’enseignement de la musique au secondaire.

Comment décrivez-vous la concentration musique de Brébeuf aux amateurs de musique qui se demandent si ce programme conviendrait à son adolescent?

Pour faire un topo de la concentration musique, on est axé depuis toujours sur la pédagogie par projet. On apprend à l’intérieur d’un projet. Tout ce qu’on fait, on va le présenter quelque part, on va l’utiliser pour un concert, un concours, un camp musical, une vidéo, une production. L’aspect de motivation est toujours très présent, ça permet à l’élève de voir où ça va aboutir. On n’apprend pas pour un examen, on apprend pour une production. 

À Brébeuf, ce que tu vas vivre, c’est le « trip de gang ». Évoluer avec d’autres, être en contact avec les mêmes personnes pendant cinq ans, développer des relations d’amitié, bénéficier des forces de chacun. Et toi, tu vas aussi apporter quelque chose à quelqu’un d’autre. On n’est plus dans la compétition, on est dans la coopération.

Comment voyez-vous votre rôle auprès de jeunes? De quoi ont-ils besoin?

Moi, je me vois comme une facilitatrice. On met en place un département, des spécialistes, des répétitions, des ensembles sur l’heure du midi; ici le parascolaire est super fort, mais l’élève doit faire le travail lui-même. Je ne peux pas aller souffler dans son saxophone et appuyer sur les touches à sa place. On est là pour guider, ils font le travail.

Je trouve que l’analogie de la randonnée en montagne avec l’apprentissage de la musique est éloquente. Il faut travailler fort, ce n’est pas toujours facile, mais quand tu arrives en haut et que tu as la vue, tu oublies presque tout le reste. Tu vis le moment présent, le regard sur le paysage, le panorama. Je trouve ça extraordinaire. 

« Je trouve que l’analogie de la randonnée en montagne avec l’apprentissage de la musique est éloquente. »

Selon moi, le plus important, c’est de développer la fierté. Tu ne peux pas devenir fier sans fournir un effort. C’est impossible. Si tu ne t’es pas entraîné, qu’est-ce que ça donne de gagner une médaille olympique. Ce sont tous les sacrifices et les efforts pour se rendre qui comptent. La récompense à la fin, le concert, le concours, le voyage, voilà le résultat des efforts. Quand on réussit une pièce qui était si difficile, les jeunes s’applaudissent. On était tous ensemble, on a vécu ce moment-là ensemble. Et la fierté, ça ne s’achète pas. La musique est un merveilleux moyen pour y arriver. 

Quels sont les enjeux auxquels l’enseignement musical fait face actuellement?

J’en vois deux principaux, d’abord le manque de reconnaissance de la musique et le manque de relève d’enseignants. Je déplore que les enseignants doivent se battre constamment pour faire valoir la pertinence des cours de musique à l’école. Tout ce que la musique apporte sur le plan du corps et du cerveau, ce n’est pourtant plus à prouver. L’analyse de la partition, la structure, le rythme, ce sont des maths. Le déchiffrage de la partition interpelle le côté gauche, et le côté droit est relié à l’émotion et au côté sensoriel. On prend ce qu’on a analysé pour le rendre beau. Ensuite, avec tous les autres musiciens, par les nuances, l’articulation, le phrasé, regarder un chef et déduire ses signes pour interpréter, toutes les connexions se font dans le corps. Il faut de la motricité fine, la posture, le focus : l’énergie du cerveau et l’énergie du corps fusionnent. 

Julie Mathieu en action.
Photo : courtoisie

Les gens qui font de la musique conservent leur sens cognitif tout au long de leur vie. La grand-mère de mon conjoint fête ses 101 ans et elle joue encore du piano. Elle a fait un concert dans son CHSLD il y a quelques mois avec une violoncelliste. C’était phénoménal de la voir aller, elle a les doigts « tout croches » et n’arrive plus à toucher les pédales. Pourtant, elle se souvient de tout ce qu’elle a appris dans sa jeunesse au conservatoire. Elle trouve que ses doigts accrochent et que ses notes sont raccourcies, parce qu’elle n’atteint plus les pédales. Elle a 101 ans et toute sa tête. Elle est encore dans la réalité, grâce probablement aux connexions dans le cerveau qui ont été nourries toute sa vie. Voilà l’importance de l’éducation musicale.

L’autre grand enjeu, c’est la relève. La musique a perdu beaucoup de plumes ces dernières années dans plusieurs écoles du Québec. Il y a des endroits où il y avait quatre enseignants de musique à temps plein qui en comptent maintenant un seul. La pénurie de main-d’œuvre en enseignement se fait sentir. Aussi, on commence à voir des enseignants en musique qui n’ont pas leurs études en éducation musicale. Il existe beaucoup de musiciens, mais il faudrait les former pour enseigner. Ce n’est pas tout de savoir jouer la musique, il faut l’enseigner et l’organiser, être le facilitateur, et c’est très exigeant. Sans soutien, ils peuvent se décourager rapidement et quitter la voie de l’enseignement. On voit des tâches qui ne sont pas prises à la rentrée en septembre, surtout au primaire. Qu’est-ce que ça va avoir comme incidence? La musique sera retirée des programmes et ça sera très difficile à ramener. En d’autres termes, on se bat pour qu’il y ait de la musique, mais on n’a personne pour l’enseigner. Si je tombe malade, je ne sais pas qui me remplacera. 

Avez-vous des solutions à proposer pour aider les enseignants à faire briller la musique en milieu scolaire?

Dans les écoles, il manque de matériel sur lequel on peut se reposer pour enseigner. J’ai donc développé un contenu de formation musicale l’année passée. J’ai ce désir de faire quelque chose à mon image, mais ça demande du temps. Avec la pandémie, comme ce n’est pas simple de faire de la musique à distance, des groupes d’enseignants se sont créés sur les réseaux sociaux, et je suis allée y mettre mon petit grain de sel. Les gens ont vraiment bien réagi. J’ai monté une situation d’apprentissage, et je l’ai présenté sur le site du RÉCIT, un organisme qui diffuse des situations d’apprentissage et du contenu clé en main pour les enseignants en musique dans toute la province. Ma situation d’apprentissage s’est promenée partout au Québec. Par exemple, quelques enseignants ont dit sur Facebook qu’ils commençaient l’année avec ma situation. C’est génial de voir que ça plaît et que les heures investies peuvent servir ailleurs. 

On a aussi un projet encore un peu secret avec l’Ensemble vent et percussion de Québec. Tant qu’à ne pas pouvoir jouer depuis deux ans, on a mis en place un comité pédagogique. On a une mission depuis toujours d’essayer d’être un modèle pour les écoles secondaires et les harmonies scolaires. À Brébeuf, j’ai la chance d’avoir un département de musique avec une équipe. Pour les enseignants qui sont seuls dans leur école et qui vivent ces chamboulements, ça doit être épouvantable. Cette chance que j’ai d’être bien entourée, il faut la redonner. 

Les réseaux sociaux et la technologie se sont taillé une place majeure dans nos vies au fil des dernières années. Quels sont les avantages et les désavantages que vous constatez dans l’enseignement et chez les jeunes?

Les réseaux sociaux nous permettent de diffuser les bons coups et d’amener « virtuellement » les parents avec nous. On reçoit une rétroaction des gens et on a même vu un engouement sur certaines vidéos. C’est stimulant pour les jeunes et pour nous. On travaille fort et c’est gratifiant quand on voit que notre vidéo a fait le tour du quartier, de la province et même du monde, et que des gens qu’on ne connaît pas ont pris le temps de regarder et de laisser un commentaire. 

Pour ce qui est des réseaux sociaux et des jeunes, je dis souvent que je suis vraiment contente de ne pas avoir eu ça quand j’étais adolescente, parce que je me serais peut-être égarée. C’est souvent une source de conflit, on doit intervenir auprès des jeunes à cause de choses qui s’écrivent et qui s’enveniment. Je constate également une dépendance à l’appareil, le téléphone, c’est ce qui me préoccupe le plus, c’est rendu le prolongement d’eux-mêmes. Ils entrent dans le cours, ils sont dessus, ils sortent, ils sont dessus. L’école a du mal à contrôler ce nouveau phénomène. On a installé des supports dans l’ensemble des locaux. Si tu n’es pas capable de le laisser dans ton casier, tu le déposes, et juste pour ça, il faut s’obstiner. Aussitôt qu’il y a un petit moment où leur attention n’est pas captée, c’est le réflexe d’aller sur le téléphone, de faire un petit jeu. Le jeu vidéo, c’est un fléau. C’est un enjeu de taille, mais ce n’est pas seulement au secondaire. Est-ce qu’on peut interdire le téléphone à l’école? C’est rendu un outil de la vie courante. Tu confisques un appareil, et le parent retontit sur l’heure du midi. Les élèves sont surstimulés par les vidéos. Je ne veux pas employer le mot « lâcheté », mais c’est facile de visionner des vidéos en série. Je m’installe, j’en regarde un, il va en arriver un autre. Ce sont les algorithmes qui contrôlent ce qu’on regarde, et les jeunes n’ont pas nécessairement la maturité pour juger des tenants et aboutissants. 

Heureusement, il y a des ateliers dans les écoles qui se créent sur l’anxiété, un autre nouveau fléau. Ces quinze dernières années, je dirais que c’est ça qui prend le plus de place dans l’évolution des élèves. Il peut s’agir de l’anxiété de performance ou par rapport à des parents qui se sont séparés. Plus rien ne va, l’angoisse, l’anxiété prend toute la place. Je trouve que les conséquences sont de plus en plus graves. Des élèves paralysés, qui ne peuvent plus aller à l’école, ou hospitalisés, absents plusieurs fois dans l’année. C’est très préoccupant. Est-ce que c’est causé par trop de jeux vidéo, trop d’appareils intelligents, trop d’exposition à toute sorte d’affaires? Il faudrait creuser la question.

Brébeuf offrait déjà une pléthore de projets pour les élèves avant votre arrivée. Vous avez instauré des comédies musicales depuis une douzaine d’années pour lesquelles vous avez mérité plusieurs prix. Qu’est-ce qui vous a poussée vers cette aventure?

Durant ma deuxième année à Brébeuf, avec une amie enseignante de français qui était également une ancienne élève de Brébeuf, on se disait qu’il serait intéressant de monter un spectacle vocal et musical. Le vocal, c’est ce qu’il y a de plus inné, d’accessible à tous. On pensait qu’il devait y avoir plein de jeunes qui aiment chanter et qui savent chanter. On en a parlé à mon collègue André Garneau, qui nous a dirigées vers Susie Carrier. Elle avait déjà monté une comédie musicale à Brébeuf. Elle a aimé notre idée et a littéralement défoncé toutes les portes pour nous. Elle enseignait ici depuis des années déjà et n’avait pas la langue dans sa poche. Elle a trouvé un budget et expliqué aux autres enseignants que ce serait important d’investir dans le projet. Ça a fonctionné. On a fait un premier spectacle et on n’a jamais arrêté. C’est du parascolaire pour tout le monde. C’est sûr qu’il y a une grosse partie de bénévolat, on ne se le cachera pas. On n’a pas le choix d’investir du temps. 

La beauté de cette initiative, c’est de rassembler des élèves du régulier, de la concentration sport, de la concentration musique, de la francisation, de la première à la cinquième secondaire, dans un projet de grande envergure pour cinq représentations à la salle Sylvain-Lelièvre. Tout le monde est bienvenu. C’est vraiment le partage d’année en année qui est intéressant, parce qu’un élève de première sera en contact avec des élèves de cinquième, qui ont fait d’autres projets et qui ont acquis de l’expérience tout au long de leur secondaire. Je trouve hyper profitable d’avoir des mentors qui redonnent aux plus jeunes. 

Avez-vous des conseils pour les adultes qui aimeraient se lancer dans l’apprentissage d’un instrument de musique?

D’abord, il faut se trouver un instrument avec lequel on est à l’aise physiquement. Par exemple, je suis un peu petite pour la contrebasse. J’ai déjà essayé la guitare et j’ai eu une tendinite. J’ai choisi le ukulélé à la place, j’ai davantage le goût de le sortir. Parce que le plus difficile dans l’apprentissage d’un instrument, c’est de le sortir. On dit à nos élèves que c’est préférable de pratiquer 20 minutes chaque jour que deux heures le samedi. Ensuite, je recommande de prendre un professeur pour bien comprendre les concepts de la théorie musicale. Il va également nous montrer la bonne technique pour ne pas prendre de faux plis dès le départ. Le professeur permet d’avancer plus vite et nous motive à pratiquer pour le cours suivant. Finalement, je conseille de se trouver un petit projet, comme mettre une nouvelle pièce sur mon réseau social, faire une petite démonstration au prochain souper de famille, apprendre un extrait à mon enfant pour lui montrer que la musique peut être simple. C’est encore mieux avec d’autres gens pour rester motiver.

En rafale

Qui est votre chanteuse ou chanteur préférés?

Mon idole, Paul McCartney. Je suis une grande fan des Beatles, mais Paul s’est mon « pref », ses chansons, sa voix, son charisme. C’est un grand « show off » aussi. Je l’ai vu deux fois en concert et c’est une grande idole. Aussi, chez nous, c’est Daniel Bélanger et Richard Desjardins qui retiennent mon attention pour leur musicalité et leur poésie.

Quel style de musique vous interpelle le plus?

Le Motown. C’est une musique incroyable, mais ce sont tous les arts de la scène qui sont combinés, et c’est vraiment tout un « show ».

Quelle est votre chanson « quétaine » préférée?

Je pense aux BB! Malgré l’accent mis sur leur look pour plaire à la gente féminine, ils ont écrit de la belle musique. J’adore la chanson Tu ne sauras jamais, qui présente une grande démonstration vocale de Patrick Bourgeois.

Y a-t-il une chanson que tu aimes « scraper» au karaoké?

Ça pourrait être It’s raining men, du groupe The Weather Girls, ou un duo Donna Summer et Barbra Streisand, Enough is enough. Ça, ça se « scrape » facilement! Ce sont deux grandes chanteuses, et j’adore les voix. 

Quelle est la meilleure salle de spectacle à Québec?

Pour l’acoustique, c’est le Palais Montcalm. Mais pour le côté intime, j’aime beaucoup le théâtre Petit Champlain. 

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