L’autre défilé du carnaval

Ce camion était présent toute la fin de semaine près de l'Assemblée nationale du Québec. (Crédit photo : Simon Bélanger)

Les bruits assourdissants des klaxons et l’odeur de diesel qui flottait autour du boulevard René-Lévesque pendant la fin de semaine ont tôt fait de rappeler aux citoyens de la haute-ville de Québec qu’une manifestation inhabituelle se déroulait dans leur cour.

Par Simon Bélanger

Il fallait être particulièrement dur d’oreille pour ne pas porter attention au concert de trompettes provenant des cabines de tous ces camionneurs stationnés entre l’Assemblée nationale et le Grand Théâtre de Québec.

Faute de pouvoir compter sur un défilé (pour une deuxième année consécutive), les chars allégoriques ont été remplacés, le temps d’un week-end, par un défilé de mastodontes routiers, sur lesquels on pouvait lire, parmi les slogans les plus populaires : « F*ck Legault! », « F*ck Trudeau! » et « Liberté! / Freedom! ».

Récit du samedi

Le premier élément frappant, lorsqu’on entre dans l’autobus 801, c’est qu’on semble vivre un samedi matin bien régulier, alors que lors de manifestations d’une telle importance, les autobus sont davantage bondés. Il était facile de reconnaître la poignée de passagers se dirigeant vers la colline parlementaire, comme ceux-ci posaient davantage de questions sur le trajet au chauffeur (« allez-vous vers le parlement ? »).

Plus on approche de l’avenue Honoré-Mercier, plus les klaxons se rapprochent et plus on remarque de camionnettes qui font flotter des drapeaux du Canada, du Québec et, parfois, des États-Unis.

Le concert est bien commencé en débarquant près de l’Assemblée nationale. Et c’est parti pour la journée!

L’invitation lancée par Bernard « Rambo » Gauthier et Kevin « Big » Grenier a semblé convaincre un nombre assez important de camionneurs et d’automobilistes, qui font entendre tous les décibels pouvant être produits par leurs véhicules.

Vers 10h30 samedi matin, le convoi routier occupe la voie de droite du boulevard René-Lévesque, depuis la colline parlementaire jusqu’à la rue Eymard, correspondant à un peu plus de 200 véhicules en provenance des ponts. D’autres reviennent sur leurs pas dans le sens inverse, question de se trouver une place pour stationner la voiture dans les rues avoisinantes, pour les participants qui n’arrivaient pas en camion.

En marchant sur le boulevard René-Lévesque en direction ouest, tous ces gens croisés au volant semblent croire participer à un mouvement plus grand qu’eux-mêmes. La joie et l’exaltation qui se dégagent de tous ces gens, qui répondent par des klaxons aux encouragements des piétons se dirigeant vers la colline parlementaire, font contraste avec certains message plus agressifs ou vulgaires présents sur leurs pancartes.

Deux amoncellements de foules sont présents dans les environs du parlement. Pour bien entendre les klaxons et sentir le parfum ambiant d’essence, un premier groupe marche sur le trottoir, dans un sens et dans l’autre, pour se taper dans les mains, comme s’ils se passaient le témoin et participaient à une interminable course à relais.

Un deuxième groupe se trouve près de la fontaine de Tourny, entre le Palais de Bonhomme et une scène installée devant l’Hôtel du Parlement, alors qu’une manifestation plaidant pour la fin de l’urgence sanitaire était déjà organisée, bien avant l’annonce d’un convoi.

Fourre-tout idéologique

C’est d’ailleurs ici qu’on prend conscience de la variété de croyances qui, à première vue, ne semblent avoir aucun lien les uns avec les autres. C’est ainsi qu’on a pu entendre, sur la même scène, Bernard « Rambo » Gauthier et son langage pour le moins coloré, ainsi que Stéphanie Trottier, qui a animé une méditation et demandé aux « travailleurs de lumière » d’ouvrir un portail énergétique. Pendant qu’un collaborateur fait brûler de la sauge, Mme Trottier invite les gens à tourner dans le sens antihoraire autour de la fontaine.

À travers les pancartes présentes, on assiste aussi à une variété de groupes et de revendications disparates, mais la liberté semble être en tête de liste des demandes. Les demandes à la démission de François Legault et de Justin Trudeau sont aussi bien populaires, de même que celles appelant à la fin du passeport vaccinal et du port du masque obligatoire, alors que quelques enfants tiennent des pancartes « laissez-nous respirer ! ».

(Une pensée fugace vers les manifestants en basse-ville opposés à la hausse de la limite d’émissions de particules de nickel nous vient alors en tête, alors qu’on respire les émanations provenant des camions stationnés sur le boulevard René-Lévesque.)

Quelques jeunes s’affichent aussi avec des bâtons de hockey avec le message « on veut jouer ! », un mouvement de plus en plus populaire dans les groupes sportifs, qui plaide pour un retour des compétitions et des matchs.

Certains parents ont aussi préparé des pancartes pour les enfants, avec les slogans habituels envoyant paître les deux premiers ministres, qui leur auraient sans doute valu une visite à la direction de l’école si les jeunes avaient écrit cela dans leurs devoirs.

D’autres récriminations visent les médias, qui seraient, selon eux, au service du pouvoir. On peut aussi lire quelques pancartes qui prônent l’immunité naturelle ou pour l’utilisation de l’ivermectine, un médicament controversé dont l’efficacité pour lutter contre la Covid-19 n’a pas été prouvée.

On aperçoit aussi un drapeau de QAnon, cette mouvance conspirationniste d’extrême-droite qui croit que l’ancien président des États-Unis Donald Trump mène une guerre secrète contre l’état profond (Deep State) et que des élites politiques, médiatiques et politiques s’adonnent à de la pédophilie et des rituels sataniques.

Au moins deux drapeaux représentant les couleurs de la reine auto-proclamée du Canada, Romana Didulo, sont aussi présents. Cette femme, actuellement présente parmi les protestataires d’Ottawa et accompagnée de plusieurs de ses fidèles, a été arrêtée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 2021. Elle invite ses disciples à agresser le personnel qui vaccine et incite à tuer les politiciens qui prônent la vaccination.

Des membres des Farfadaas, ce groupe d’opposants aux mesures sanitaires qui ont récupéré l’image des groupes de motards criminalisés sont aussi présents, dont Keven Bilodeau, organisateur du convoi de la Beauce et coorganisateur du Festival des Gaulois, qui s’est tenu à Saint-Benoît-Labre au mois d’août dernier. La Meute, un groupe d’extrême-droite, qui s’était fait connaitre pour ses positions contre l’islam radical et l’immigration illégale, a aussi tenté un retour timide.    

À travers les protestataires, nous remarquons un petit groupe de contre-manifestants, associés aux pages Observatoire des délires conspirationnistes du Québec. Tous bien masqués, ils sont d’abord positionnés devant l’hôtel Hilton et demandent de klaxonner pour la vaccination. Pas intimidé, on en aperçoit aussi un, seul sur un terre-plein de l’avenue Honoré-Mercier, avec une pancarte comparant la grosseur des camions à un autre type d’engin masculin…

Un peu plus tard, au milieu d’une foule bien compacte marchant sur le trottoir près des camions stationnés sur le boulevard René-Lévesque, nous apercevons aussi, au loin, deux personnes portant un masque N95, qui jurent un peu dans le paysage. Les deux insolents se baladent en faisant semblant de lire un livre intitulé « How to piss off the village idiot » (comment fâcher l’idiot du village).

Reprendre ses sens

Après avoir assisté à tout ce déploiement, il était presque nécessaire de s’éloigner un peu des foules et du bruit assourdissant des klaxons. Les tympans sont fortement sollicités et la température glaciale invitent à rentrer se réchauffer un peu. C’est dans un établissement de restauration de la Côte du Palais qu’on comprend un peu ce à quoi on vient d’assister.

Alors qu’un employé vérifie les passeports vaccinaux des gens dans la file, un curieux demande à son voisin (manifestant et adéquatement vacciné), qui traîne une pancarte avec une citation de Gandhi, comment c’était et s’il y avait beaucoup de monde.

Celui-ci répond qu’il y avait plusieurs personnes, sans donner de chiffre (c’est effectivement difficile d’évaluer). Mais c’est la suite qui est importante.

« Ça parait qu’on a besoin de se rassembler. Les gens ont envie de se voir pis de fêter », a dit cet homme derrière son masque.

Les presque deux ans de vie sous restrictions sanitaires semblent peser de plus en plus lourd dans la population. Une partie de celle-ci a voulu se réunir à Québec pour envoyer un message de ras-le-bol aux deux premiers ministres.

Et c’est cette manifestation/party que veut reproduire Rambo dans deux semaines à Québec.   

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