Les stigmates des Autres

Il y a quelques mois, j’ai écouté le documentaire La cité des autres[1] du jeune réalisateur québécois d’origine rwandaise Justice M. Rutikara. On y parle de la réalité des habitants du secteur St-Pie X à Limoilou. On y retrouve le plus important HLM de Québec, à deux pas de l’autoroute 40. Y cohabitent une diversité impressionnante de personnes dont une grande proportion de jeunes.

Par Karim Chahine

Le documentariste donne la parole à quelques-uns de ces jeunes. Ils et elles parlent de leur quotidien, de leurs rêves, de leurs arts, de leurs sports, de leur passé et de leur avenir. Justice M. Rutikara évoque aussi le passé du quartier, alors qu’il était plutôt connu sous le nom de Bardy. Pendant longtemps, St-Pie X était le lieu des autres. Celui des dangereux, des pauvres, des immigrants, des criminels, etc. Le cinéaste nous montre bien que les stéréotypes ne correspondent pas à la réalité. Pas seulement à travers sa lentille, mais aussi à travers la perception des jeunes, des intervenants sociaux ou de l’agent de sécurité.

Je n’ai pas cessé de penser à ce documentaire dans les derniers mois, et ce, pour deux raisons bien concrètes. D’abord, on y voit intervenir Hamed Sandra Adam, qui a été candidat dans le district de Maizerets-Lairet pour Transition Québec lors des plus récentes élections municipales. Il a terminé deuxième, à 532 voix de Claude Villeneuve.

Lors d’une sortie faite dans le cadre de la récente campagne électorale, il avait présenté ses idées pour repenser les interventions policières : « En tant qu’homme noir à Québec, le profilage racial, je le vois, je le vis. En tant qu’intervenant social, je vois les initiatives qui fonctionnent bien et qui devraient être mieux soutenues et financées. » M. Adam n’est qu’une voix parmi d’autres qui, depuis des années, tentent de changer les choses.

Le second élément qui m’a rappelé ce documentaire, c’est l’arrestation violente de Pacifique Niyokwizera. C’est un jeune de Limoilou. Ce lieu vers lequel les policiers de Québec l’ont brutalement ramené en lui disant de « retournez à Vanier dans [ses] blocs ».

« De toute façon vous habitez tous dans des HLM », aurait rajouté un des policiers pour justifier on ne sait trop quoi.

Ce documentaire et ces arrestations brutales nous ramènent inévitablement à cette question de l’altérité. À la fois celle que l’on constate, mais surtout celle qui est subite et qui est imposée.

La cité des autres. Quel beau titre pour ce documentaire ! Il capture pleinement cette exclusion systématique dont souffrent certaines personnes. On veut tellement les exclure qu’on va jusqu’à les enfermer dans une cité imaginaire. Bien que la cité soit ancrée spatialement au nord de Limoilou, c’est aussi à un lieu social beaucoup plus grand auquel on fait référence : la pauvreté et l’exclusion.

À court d’imagination, on a nommé cette cité de la façon la plus anonyme possible, celle des autres. Cette espace d’exclusion s’opère à la fois dans la trame urbaine et dans les esprits des gens. Collectivement, nous avons un problème si cette exclusion s’enracine dans l’esprit des représentants de l’état, armées et détenteurs d’un pouvoir discrétionnaire leur conférant une autorité sur tous les citoyens et citoyennes.

Cette différence, certains la vivent malgré eux. Oui, de jeunes blancs ont déjà vécu des arrestations aussi violentes. On en a la preuve avec les vidéos de certaines arrestations qui continuent à faire les manchettes. Néanmoins, on peut dire avec une quasi-certitude qu’ils n’ont pas été associés à un lieu et au statut économique particulier. C’est comme si, en étant noir, on portait son statut socio-économique comme un stigmate. Stigmate, un mot qui, en latin, signifie littéralement « marques faites au fer ».

Alors que j’avais encore en tête les images brutales de l’arrestation de Pacifique et de ses amis, je suis allé réécouter le documentaire de Justice pour me redonner un peu d’espoir. D’ailleurs, dans un autre de ses courts-métrages, ce dernier évoque que son père lui a donné ce nom, car il trouvait qu’il n’y a n’avait pas assez de justice dans ce monde. « Tout est dans tout » comme on dit.


[1] Le documentaire est disponible sur la plateforme tou.tv de Radio-Canada par le lien suivant : https://ici.tou.tv/la-cite-des-autres/S01E01?lectureauto=1

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