Lancement de la BD sur René Lévesque : penser le grand homme derrière le politicien

De gauche à droite : Luc Sanschagrin (dessinateur), Marc Tessier (directeur et scénographe) et Marc Pageau (dessinateur). Crédit photo : Sophie Williamson.

Ce mercredi soir avait lieu le lancement de René Lévesque – Quelque chose comme un grand homme, bande dessinée collective publiée chez Moelle Graphik, à la Ninkasi-Bar et Bistro.

Nous nous sommes entretenus avec Marc Tessier, directeur et scénariste, pour comprendre les motivations et les objectifs de son projet. Les dessinateurs Luc Sanschagrin ainsi que Marc Pageau étaient aussi présents pour offrir des dédicaces aux lecteurs.

Les origines du projet

Le projet de bande dessinée sur René Lévesque a débuté il y a cinq ans. Marc Tessier raconte que l’idée vient d’un devoir qu’il avait demandé à ses élèves en scénarisation à l’Université du Québec en Outaouais. « Je donnais comme contrainte d’insérer le fantôme de René Lévesque dans leur récit, relate-t-il. À partir de là son fantôme m’a hanté : je me suis demandé ce que je connaissais vraiment de René Lévesque. »

Marc Tessier a eu 18 ans lors du deuxième référendum. « Comme j’ai perdu, après je me suis dit : la politique fuck off », lance-t-il. Il s’est toutefois mis à lire sur René Lévesque il y a cinq ans pour s’informer, en commençant par la biographie de Pierre Godin.

Ce qui l’a particulièrement fasciné est le passé de Lévesque, dont son travail comme journaliste, avant de devenir le politicien que nous connaissons. Marc Tessier a ainsi voulu partager ses nouvelles découvertes.

Une originalité de sa bande dessinée est sans doute le fait qu’elle a été réalisé par un collectif, soit plus de vingt dessinateurs. Chacun ajoute des éléments extérieurs ou nouveaux au script et à la trame narrative.

« L’essentiel de René Lévesque demeure le même, mais il est personnifié différemment selon le dessinateur », affirme Marc Tessier.

Cette démarche a selon lui permis de mythifier René Lévesque et de laisser place à une pluralité de visions. « Chacun a son René Lévesque, mais pas tout le monde à son Jean Charest par exemple », lance-t-il.

Derrière le politicien

Nous pouvons nous demander si Marc Tessier a cherché à s’éloigner de la figure politique pour présenter un modèle moins connu, peut-être plus intime.

« Je suis bien critique de la politique et beaucoup de gens sont cyniques, débute-t-il. Je me suis demandé ce qui fait que René Lévesque est différent. En tant que scénariste, il faut tracer une espèce de profil psychologique et il faut s’investir aussi. »

Le fait que le référendum ne soit pas abordé dans la BD, sauf par le biais de l’épisode de la nuit des longs couteaux, est sans équivoque. « Je ne pouvais pas être objectif », admet à cet égard Marc Tessier.

« Je me sentais trop impliqué émotionnellement, poursuit-il. Le discours en général m’attristait. »

René Lévesque comme figure humaniste

« L’idée du livre était de faire un portrait complet, que les gens comprennent pourquoi il est différent des autres politiciens », affirme Marc Tessier. C’est pourquoi il est remonté jusqu’aux vingt ans de René Lévesque, lorsqu’il entre dans le camp de concentration et qu’il est « choqué de voir des choses affreuses ».

Marc Tessier explique que c’est l’humanisme ou l’ouverture aux autres de Lévesque qu’il a surtout voulu mettre en lumière à travers les 13 chapitres. Il a voulu « le montrer dans ses qualités et ses défauts », soit « le montrer humain ».

« Je pense que tous les Québécois qui voyagent sont des ambassadeurs de qui nous sommes, poursuit-il. Je préfère des Québécois qui sont ouverts sur le monde. Il faut accepter les autres et ne pas se fermer. »

C’est cette ouverture qui fait selon lui « l’esprit de René Lévesque ». « Je pense que ce sont des valeurs qui vont passer à travers des modes, des tendances ou des partis politiques, explique Marc Tessier. Il y a des choses essentielles dans l’être humain qui sont importantes à valoriser. Je voulais montrer un Québécois ouvert, moderne et peut-être inspirer les gens à prendre une chance et à voter différemment. Mais ça c’est un vœu pieux. » 

Nous sommes à même de se demander s’il n’y a pas un lien entre cet humanisme et le nationalisme de René Lévesque. Autrement dit, est-ce que ces valeurs essentielles sont liées à une certaine vision du politique et ne peuvent finalement pas être pensées sans elle ?

« Pour ça il faut lire l’histoire », lance Marc Tessier. Il avance que ce n’est pas tellement un « sentiment nationaliste », mais un « sentiment d’exploitation », soit celui « d’être un peuple sous-valorisé » qui aurait surtout motivé Lévesque. Marc Tessier avoue en tout cas qu’il préfère ce message.

Le dessin et la mémoire

Quels sont les avantages de la BD sur les documentaires télévisés ou sur les livres ? « Le dessin a une force émotionnelle, débute Marc Tessier. On a donc un contact intime avec René Lévesque par la bande dessinée. C’est un médium qui est interactif puisqu’il demande l’investissement du lecteur. » 

Il explique par ailleurs que le dessin permet de montrer tout sans devoir se limiter à un budget, comme à la télévision ou au cinéma. Par ailleurs, la bande dessinée permet de rejoindre à la fois un plus grand public, mais aussi d’intéresser certains lecteurs réticents à cette forme d’expression artistique.

Marc Tessier admet par ailleurs qu’il trouve « qu’on ne se souvient plus ». « Il y avait donc un devoir de mémoire en rendant Lévesque contemporain », soutient le scénographe. Il s’agissait selon lui « de montrer l’homme derrière le boulevard ».

Il avoue avoir sous-estimé le « pouvoir » de Lévesque, sentant même « qu’il n’est jamais parti, mais qu’il est encore là ». « Je pense qu’il est encore là parce qu’on a pas trouvé quelqu’un à sa hauteur … », poursuit-il en se gardant d’achever sa phrase, ne voulant pas faire de la politique.

Dessins par Marc Pageau. Crédit photo : Sophie Williamson.

Luc Sanschagrin et la nuit des longs couteaux

Le jeune bédéiste Luc Sanschagrin explique que la figure de René Lévesque lui fait penser à son père. « Pour lui, surtout durant le premier référendum, c’était quelque chose de gros, débute-t-il. Ça été une révolution pour les gens de cette époque, mais je crois que ça nous touche tous. » 

Luc Sanschagrin raconte que le scénario écrit par Marc Tessier pour parler d’un évènement aussi politiquement chargé que la nuit des longs couteaux lui a permis de débuter ses dessins « tout naturellement ».

Ce chapitre était conçu comme une pièce de théâtre. « L’idée m’est venu d’un metteur en scène de théâtre, Guy Sprung, qui est un des rares anglophones en faveur de l’indépendance du Québec et qui a mis en scène beaucoup de pièces de théâtre politiques, explique Marc Tessier. Ça m’a donné l’idée de faire ça : parce que c’était un jeu de masques. La symbolique était là, sans compter la dimension humoristique des dessins de Luc. »

Penser l’histoire à partir du présent

Jean-François Boulé, chercheur et maître dans le domaine des arts, aborde dans sa préface la question du point de vue historique, soit le fait que notre manière de raconter le passé dépend d’une certaine actualité.

Il propose de penser ce rapport comme proprement fictif ; c’est-à-dire que nous fixons les évènements marquants du passé à l’aide de fictions, de récits racontés et partagés dans le temps.

La compréhension de l’histoire se fait en somme selon lui toujours à partir d’un présent. L’histoire comme fiction se présente toujours dans l’actuel.

C’est ce dont témoigne selon nous l’intérêt de Marc Tessier pour une figure contemporaine de René Lévesque ou pour un portrait qui aborde un trait davantage universel et multiculturel, soit son humanisme.

Marc Tessier raconte les histoires de Lévesque à partir et en un sens pour le présent, par devoir de mémoire.

Quelque chose comme un accès à l’homme

Marc Tessier semble donc s’être intéressé à un personnage à partir d’un point de vue qui se sait et se prend en charge comme partiel. Autrement dit, le personnage ne correspond jamais totalement à l’homme réel. L’homme fuit, échappe toujours à la fiction.

Il ne fait que se montrer selon une perspective, d’où la pertinence de faire appel à plusieurs collaborateurs. Cette démarche nous fait comprendre et voir le caractère fragmentaire et situé de notre vision de René Lévesque.

En même temps, elle nous permet d’approcher davantage de l’homme tel qu’il était à son époque. La mise en scène du caractère fictif de l’histoire nous permet d’éviter une mystification univoque.

Le mythe de René Lévesque comme « ti-poil » ou comme « héros politique québécois » se dissout pour laisser place à « quelque chose comme un grand homme », dans toute la complexité de son caractère.

La bande-dessinée sur Lévesque montre finalement que dans tout geste et récit historiques, l’imagination y est pour beaucoup. Elle permet, en montrant que la fiction, la caricature ou l’image voile toujours partiellement la réalité historique, de donner un meilleur accès à cette réalité même. Tous ses dessins donneraient peut-être à voir quelque chose comme « un plus vrai René Lévesque ».

Tous les exemplaires chez le distributeur ont été liquidé hier. Chez Renaud-Bray, 300 copies ont été vendues, ce qui laisse présager que les lecteurs devront se dépêcher pour mettre la main sur la BD.

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