Par la force du vent, ou comment Bruno Marchand est devenu maire de Québec

Le nouveau maire Bruno MarchandLe nouveau maire de Québec, Bruno Marchand, à son entrée dans la salle lors de la soirée de sa victoire. Photo : Gabriel Côté

Pendant 52 jours, Le Carrefour a eu un accès exclusif au quartier général du parti de Bruno Marchand. Reportage au cœur des opérations qui ont mené à l’élection du nouveau maire de Québec.

Par Gabriel Côté

– Tout le monde est prêt ?

Pas de réponse, l’appel s’est perdu dans le bavardage ambiant.

– Ça va, tout le monde est prêt ?

– Oui Bruno, on y va.

Nous sommes le 16 septembre, soit un jour avant le déclenchement officiel de ce qui sera la plus longue campagne électorale municipale de l’histoire. Bruno Marchand a convoqué la presse pour présenter l’ensemble de ses candidats, et s’afficher ainsi comme le premier parti à avoir une équipe complète.

À ce moment-là, les esprits demeurent rivés sur les élections fédérales qui prennent fin quelques jours plus tard seulement. Plusieurs considèrent que la proximité des deux scrutins fera en sorte qu’il sera difficile de générer de l’intérêt pour la campagne municipale, parce qu’elle vient en deuxième, parce qu’elle est plus longue, enfin parce que c’est une campagne municipale.

Pour Bruno Marchand au contraire, une longue élection apparait comme un avantage. « Ça donne plus de temps pour se faire connaître. Nous avons un gros défi de notoriété, alors d’avoir plus de temps pour parler de nos idées et rejoindre les citoyens, ce n’est pas de trop », confie-t-il.

Et dans le grand ordre des choses, 52 jours paraissent bien courts à celui qui se prépare pour cette élection depuis beaucoup plus longtemps. Si la campagne est officiellement lancée ce jour-là, le travail de Bruno Marchand a quant à lui commencé près d’un an et demi plus tôt.

La genèse de Québec Forte et Fière

Au printemps 2020, le président-directeur général de Centraide Québec décide de former un groupe de réflexion sur l’avenir de la ville. Il convie des amis, des connaissances, des connaissances de connaissances pour discuter de ce qu’il « faudrait pour Québec », et pour former ce qu’il appellera souvent par la suite une vision de la Ville. Parmi ces gens figure Bruno-Pierre Cyr, qui deviendra le directeur de campagne de Québec Forte et Fière.

« Comme à peu près tout le monde au début de la pandémie, j’étais confiné chez moi, et le téléphone a sonné. C’était Bruno. Il m’invitait à réfléchir avec lui à ce qu’il serait possible de faire pour améliorer les choses à Québec. J’ai dit oui immédiatement. Au début, il n’était pas question de briguer la mairie, ni de former un nouveau parti politique. Toutes les options étaient sur la table. On a pensé créer un mouvement citoyen ou une association. Puis, on a considéré se joindre à une formation politique existante. Mais très vite on a réalisé que l’offre ne nous convenait pas. C’est un peu comme ça que Québec Forte et Fière est né », se rappelle Bruno-Pierre Cyr.  

Victor Marchand, le fils de Bruno Marchand, a beaucoup travaillé pendant la campagne électorale.

« Au début, mon père ne parlait pas de devenir maire », explique Victor Marchand, le fils de l’autre. « Il rencontrait du monde, il brassait des idées. Ce n’est que peu à peu que l’idée de se lancer dans la course à la mairie a pris forme, après plusieurs mois de réflexion. »

Qu’est-il ressorti de ces rencontres et de ces échanges ? « Simplement, que la ville avait besoin d’un nouveau leadership », glisse Bruno-Pierre Cyr. « On s’est vite rendu compte qu’on ne se reconnaissait ni dans l’administration en place, ni dans les alternatives qu’offraient les groupes d’opposition », ajoute-t-il.

D’une part, c’est que le long exercice du pouvoir avait fait son œuvre, et que l’administration Labeaume commençait à montrer des signes manifestes d’essoufflement, « pour le meilleur et pour le pire ». Avec certains adversaires de longue date, comme M. Yvon Bussières, on avait enterré la hache de guerre et on se montrait plus collaboratif, – ce n’était pas le cas avec les autres membres de l’opposition. Dans plusieurs projets, dont l’épineux dossier du tramway, le maire et son entourage donnaient l’impression, – justifiée ou non – de vouloir en finir au plus vite et de tourner les coins ronds. Et malgré la fatigue de plus en plus importante à mesure que les jours passaient, on ne voyait toujours que Régis Labeaume à l’avant-scène. Pendant 14 ans, c’était lui qui avait « mené le show », et cela n’allait certainement pas changer tant que ce serait lui le maire de Québec.  

D’autre part, c’est qu’une gouverne si ferme, si intransigeante, et si dure parfois avec l’opposition, – en coulisse, presque tout le monde parle d’une culture de l’intimidation à la Ville de Québec ; tout le monde le sait, et tout le monde se tait, comme c’est presque toujours le cas dans ce genre de situation – avait fait en sorte que l’érosion naturelle que produit le pouvoir sur ceux qui en sont proches s’était étendue jusqu’aux formations politiques adversaires de l’équipe du maire. « Pour des raisons évidentes, nos valeurs étaient trop différentes de celle de Québec 21 pour qu’une collaboration soit possible », relate Bruno Marchand. « Quant à Démocratie Québec, même si nous avons plusieurs points en commun sur le fond, il nous semblait que ce parti portait un trop lourd bagage, en raison de son histoire ». C’est que les défaites électorales successives et les railleries incessantes du maire avaient pour ainsi dire « vidé » Démocratie Québec : son aile la plus à gauche était partie de son côté pour former un autre parti, Transition Québec, d’autres membres s’en sont plutôt allés dans les rangs de Québec Forte et Fière, et d’autres encore ont tout simplement quitté la vie politique. Il vient un temps dans la vie des partis politiques qui ne parviennent jamais à prendre le pouvoir où l’idée même d’un redressement parait impossible.  

Ainsi, vers la fin de l’année 2020, divers constats s’imposent à Bruno Marchand et son entourage : (1) un nouveau leadership est nécessaire pour Québec, surtout dans le contexte de la relance post-covid ; (2) l’offre politique existante ne permet pas en aucune façon d’incarner ce nouveau leadership ; (3) il faudra donc mettre sur pied un nouveau parti politique, dans l’espoir de changer le décor et le ton sur la rue des Jardins.

Si cela est clair pour le président-directeur général de Centraide Québec, un nuage d’incertitude laisse une ombre de plus en plus volumineuse sur l’avenir du monde municipal dans la Capitale. Le 7 novembre 2020, à un an exactement des élections, Régis Labeaume ouvre la porte à la possibilité de ne pas se représenter. Dans les semaines qui suivent, la question revient à chaque sortie publique du maire, qui prend son temps pour annoncer sa décision. Toujours immensément populaire, il ne fait aucun doute dans l’esprit des observateurs que s’il se représente, il obtiendra facilement un nouveau mandat.

Dans toute la spéculation entourant la décision du maire, plusieurs supposent qu’advenant l’annonce de son départ, plusieurs personnalités se lanceront dans la course. Quant à Bruno Marchand, son idée est faite, il fera campagne que le maire brigue ou non les suffrages.

« C’était une source d’incertitude, car la décision de M. Labeaume aurait peut-être influencé notre façon de planifier notre campagne. Mais c’était clair pour moi que je me lançais, qu’il se présente ou non. On était prêt à lui donner la game de sa vie », se souvient Bruno Marchand.

Dès lors, la question est de savoir quand se lancer dans la course. Valait-il mieux attendre, ou non, que Régis Labeaume dévoile son jeu ?

« J’ai entendu plusieurs idées à propos de notre ‘’stratégie’’ de lancer notre campagne avant que le maire annonce ses couleurs », relate Bruno-Pierre Cyr. « Certains disent qu’on savait que Labeaume s’en allait, et qu’on voulait sortir avant qu’il le dise pour ne pas avoir l’air opportuniste. En réalité, ça prenait du temps, et le maire ne disait rien. De notre côté, on était prêt, alors on est allé, et c’est tout. Surtout, nous savions que nous aurions un défi de notoriété important, alors il était urgent de se manifester et de commencer à se faire connaître », précise le directeur de campagne de Québec Forte et Fière.

Celui qui aspire au poste de maire ne se tient pas dans une posture d’attente, pour voir si le vent est favorable ou non à sa cause. Il donne le pas et il impose le rythme qui est le sien. « C’est ce que j’ai essayé de faire dès l’annonce de ma candidature », note Bruno Marchand.  

Quelques semaines après l’entrée en scène de ce nouveau personnage en politique municipale, Régis Labeaume, lui, tirait sa révérence. Il était alors trop tôt pour comprendre ce qui s’était passé, mais on n’avait pas moins le vague sentiment qu’il venait bel et bien de se passer quelque chose.  

La précampagne  

Dans les mois qui précèdent le déclenchement des élections, un travail colossal attend Bruno Marchand et son équipe, qui ne comporte à ce moment qu’un petit groupe de personnes. Il faut alors non seulement mettre sur pied une équipe de 21 candidats, mais en plus réussir à donner au parti une véritable structure ainsi qu’une cellule stratégique.

Le noyau du parti – En quelques semaines tout au plus, Bruno Marchand allait former le noyau de base du parti. Avec son directeur de campagne, Bruno-Pierre Cyr, il cherche à réunir un groupe de gens « compétents et visionnaires ». Le poste stratégique le plus urgent à combler est celui d’attaché de presse.

« L’attaché de presse et le chef du parti doivent vraiment être sur la même longueur d’ondes, simplement parce que celui-ci est responsable de porter la voix du chef au quotidien, explique Bruno-Pierre Cyr. Il était donc très important que nous trouvions la bonne personne pour la job. »

La bonne personne pour la job s’est avérée être Thomas Gaudreault, qui avait travaillé par le passé auprès de Pascal Bérubé quand ce dernier était chef intérimaire du Parti Québécois. Lorsque Paul Saint-Pierre-Plamondon est devenu le chef de ce parti, Thomas Gaudreault est parti travailler ailleurs, à la Chambre de commerce de Québec. Il avait alors « un emploi qu’il aurait pu garder pendant 40 ans ».

L’attaché de presse de Québec Forte et Fière, Thomas Gaudreault. Photo : Gabriel Côté

« Je m’étais vraiment bien placé les pieds, et j’aimais ce que je faisais. Mais, à quelque part, la flamme politique brûlait encore en moi. C’est alors que j’ai été approché par les gens de Québec Forte et Fière, et j’ai accepté de rencontrer Bruno, question de voir si c’était un bon match », se souvient Thomas Gaudreault.

Comme presque tout le monde dans le parti, la rencontre a pris la forme d’une longue promenade. Chacun, d’ailleurs, a un certain plaisir à raconter sa « marche avec Bruno ».

« J’ai rejoint Bruno chez lui, par un jour du mois de juin où il faisait vraiment très chaud, se rappelle Thomas Gaudreault. Nous avons marché un peu dans son quartier, puis nous sommes allés sur le campus de l’Université Laval. La promenade a duré plusieurs heures. C’est spécial, mais l’entrevue se faisait un peu dans les deux sens. De mon côté, je voulais voir si Bruno serait en mesure de se faire dire non, car je ne suis pas du genre à faire oui de la tête et à conforter les autres dans ce qu’ils pensent. De son côté, Bruno voulait mesurer mes compétences et comprendre comment je voyais les choses. Il m’a dit qu’il était très à l’aise de se faire dire non, mais qu’il fallait toujours que je lui explique pourquoi. J’ai lâché mon emploi et j’ai rejoint Québec Forte et Fière ».

Un peu de la même manière, c’est-à-dire après avoir été mis en contact par un tiers et aussi après avoir eu une longue discussion, l’équipe des travailleurs de l’ombre de Québec Forte et Fière a pris forme. Jean-Simon Campbell, qui travaillait à la boîte de communication DACTYLO, a été embauché comme directeur des communications. Élainie Lepage a quant à elle été engagée comme spécialiste des réseaux sociaux. En parallèle s’est constitué un comité stratégique formé de personnalités issues de divers milieux, dont Luc Massicotte, conseiller à la stratégie numérique à l’Association québécoise de prévention du suicide, Clément Laberge, co-fondateur du réseau de spécialistes du numérique A10S, et François Paquet, qui a travaillé au bureau de la première ministre Pauline Marois. Au cours de sa campagne, le chef de Québec Forte et Fière sera également conseillé régulièrement par l’ancien député Libéral de la circonscription de Saint-Laurent, Jacques Dupuis.

Il était en effet essentiel pour Bruno Marchand de s’entourer d’une équipe très versée dans les communications, comme le rappelle son attaché de presse. « Pour faire campagne aujourd’hui, une bonne équipe de comm., c’est aussi essentiel que d’avoir une solide structure de sortie de vote. On ne peut pas gagner des élections sans une solide stratégie de communication », explique-t-il.   

Les objectifs de la précampagne ­– Tous les jours, cette équipe va se réunir pour préparer la stratégie générale de Québec Forte et Fière, et pour aider à la préparation des sorties de Bruno Marchand dans les médias.

Mais pendant que les beaux jours de l’été passent trop vite, rien n’est plus loin des préoccupations des gens que la politique municipale. Pour cette raison, bien des formations politiques ont été très discrètes tout au long de la saison estivale. Ce n’est pas un luxe que peut alors se permettre le plus jeune des partis politiques municipaux, même si l’on sait bien qu’il faut s’accorder au sentiment général de la population, et éviter de se faire achalant.

« Pendant que tout le monde ou à peu près était en vacances, nous avions deux objectifs dans notre mire », se souvient le directeur des communications de Québec Forte et Fière, Jean-Simon Campbell. « D’une part, il fallait faire connaître Bruno, qui pour l’immense majorité des gens demeuraient un inconnu, même quelques mois après l’annonce de sa candidature. Si le vote avait eu lieu au printemps, les sondages montrent qu’il n’aurait récolté que 2% des voix. En juin, nous avions progressé à 12%, mais nous étions encore loin de notre profit, et il fallait faire beaucoup d’efforts pour se faire connaître. D’autre part, nous devions recruter des bons candidats, pour montrer que Bruno Marchand était une figure rassembleuse, capable d’attirer des gens provenant de milieux différents et de les faire travailler ensemble en vue d’un même but. »

Alors donc que Bruno Marchand occupait de l’espace médiatique en enchaînant les sorties dans lesquelles il dévoilait lentement mais sûrement les éléments qui composent sa vision de la ville, le recrutement allait bon train, à l’arrière-scène.

« Au total, nous avons reçu une quarantaine de candidatures, dont une dizaine à peu près a été retenue. Nous avons aussi tendu plusieurs perches, parfois heureusement, parfois moins », explique l’attaché de presse du parti, Thomas Gaudreault. « Somme toute, nous n’avons pas eu de problème de recrutement, mais ça a été plus difficile dans certains districts, comme Maizerets-Lairet et Sainte-Thérèse-de-Lisieux, où certaines personnes se sont désistées pour des raisons personnelles. Dans certains cas aussi, il a été plus long d’avoir des réponses officielles de la part des candidats. »

Et la technique de recrutement employée par l’équipe de Bruno Marchand n’avait rien de féroce. « Contrairement à ce qui s’est peut-être fait ailleurs, on n’a jamais promis de place sur l’exécutif à personne. Simplement, Bruno allait marcher avec ceux qui voulaient être candidats dans leur quartier, pour voir si ça pouvait fonctionner de part et d’autre », ajoute Thomas Gaudreault.

Parmi les événements importants de ces premiers mois, le recrutement du conseiller municipal de Saint-Roch – Saint-Sauveur, Pierre-Luc Lachance, fut peut-être le coup le plus éclatant de cette précampagne.

Insatisfait, Pierre-Luc Lachance avait claqué la porte au parti du maire quelques jours seulement après l’annonce de la candidature de Bruno Marchand à la mairie de Québec, le 27 avril. Malgré des rumeurs persistantes, les deux hommes assurent qu’aucun échange entre eux n’a précipité le départ d’Équipe Labeaume du conseiller municipal de Saint-Roch – Saint-Sauveur.

« Je ne me reconnaissais plus dans la façon de faire de Régis Labeaume, alors je suis parti et je considérais plusieurs options, dont celle de ne pas me présenter à nouveau. Mais j’ai croisé Bruno et il m’a invité à aller marcher pour discuter. Il m’est apparu tout de suite comme le genre de leader dont Québec a besoin, – c’est un gars à l’écoute, qui ne croit pas à l’approche top-down qui est plutôt celle du maire Labeaume. Comme moi, il valorise l’agilité, l’intelligence et l’échange. Après notre marche, j’ai dit à Bruno que je voulais prendre quelques jours pour y penser, mais ma décision était déjà prise : j’allais me présenter avec Québec Forte et Fière », raconte Pierre-Luc Lachance.

Alors, moins de trois semaines après son départ d’Équipe Labeaume, le 19 mai, les journaux annoncent que le conseiller municipal qui était depuis peu un électron libre venait de joindre les rangs de Bruno Marchand.

Jean-Simon Campbell explique la portée de cet événement. « En convaincant Pierre-Luc de se joindre à nous, on a tapé en plein dans le mille : ça nous a donné une bonne visibilité et une présence à l’Hôtel de Ville, en même temps que ça a envoyé le signal, dès nos premières apparitions publiques, que Bruno est un vrai leader, capable de rassembler. »

Le directeur des communications de Québec Forte et Fière, Jean-Simon Campbell.
Photo : Gabriel Côté

Le nerf de la guerre – Outre l’enjeu de la notoriété et celui du recrutement, les têtes pensantes de Québec Forte et Fière ont une autre préoccupation tout aussi importante d’avril à septembre. Il s’agit bien évidemment de la question du financement. Car si on a déjà vu de nouveaux partis se trouver au pouvoir par la force des choses, il faut reconnaître que la difficulté de l’exploit est plus grande si on est non seulement moins expérimenté, mais aussi plus pauvre que ses adversaires.

Or, justement, la loi encadrant le financement des partis politiques plaçait d’emblée Québec Forte et Fière dans cette situation pour le moins problématique. Dans les municipalités de 20 000 personnes ou plus, – il va sans dire que Québec se qualifier largement avec ses 542 000 habitants – les partis politiques ayant reçu plus de 1% des suffrages lors de la dernière élection reçoivent un montant distribué proportionnellement au pourcentage des votes valides obtenus par chacun d’entre eux. C’est un désavantage manifeste pour les nouveaux partis, qui ne peuvent compter que sur les dons qu’ils sont en mesure de percevoir. En d’autres termes, pour espérer mener une bataille plus ou moins à armes égales, il fallait au parti de Bruno Marchand récolter significativement plus de dons qu’Équipe Marie-Josée Savard, Québec 21 ou Démocratie Québec.

Mais en tant qu’ancien président-directeur général de Centraide Québec, Bruno Marchand dispose d’une expérience considérable en levée de fond. « On peut dire que ça nous a considérablement aidé », confie Bruno-Pierre Cyr, en souriant et en replaçant ses lunettes, un geste qui le caractérise. « Dans les premiers temps, ce n’était pas toujours facile pour les solliciteurs et les candidats, quand il venait le temps d’aller chercher des sous auprès des gens qui ne faisaient pas partie du premier ou du second ‘’cercle naturel’’ – comme les amis, la famille, les collègues de travail. Mais au moment de lancer la campagne, nous avions déjà récolté 100 000$ environ. Ce qui était suffisant pour avoir une bonne quantité de pancartes, pour imprimer des feuillets, et pour avoir un petit budget publicité pour chacun des candidats. Cet argent nous a aussi permis de tourner et de diffuser une publicité à la télévision », raconte-t-il.

Au terme de la campagne électorale, le parti de Bruno Marchand aura récolté plus de 130 000 $, ce qui beaucoup plus que le montant amassé par Équipe Marie-Josée Savard (environ 87 000 $), et près du triple de la somme des dons versés à Québec 21 (environ 43 000 $).

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Le financement allant bon train et le recrutement ayant été complété avant les autres formations politiques, l’entourage de Bruno Marchand commençait la campagne électorale avec l’impression d’avoir « le vent dans les voiles ». L’humeur générale était à la fête, à la confiance, bref à un enthousiasme débordant et peut-être encore quelque peu naïf. 

Affronter le vent : les premiers jours de campagne

Le mercredi 22 septembre, le premier jour de l’automne, ressemble encore à s’y méprendre à l’été. L’équipe de Bruno Marchand a convoqué les journalistes à la « place limouloise » afin de présenter les dix améliorations proposées par son parti pour le projet de tramway. Au coin du chemin de la Canardière et de la troisième avenue, ça bourdonne de monde et plusieurs curieux s’arrêtent pour observer ce qui a attiré tant de caméras, de micros, de journalistes. « Tout ça a l’air bien important. Ce sont des politiciens ? » demande un homme dont la porte d’entrée donne exactement à l’endroit où se forme l’attroupement, sorti spécialement pour l’occasion.

Par hasard, un de ces curieux glisse un mot à un homme en veston qui a tout l’air de savoir ce qu’il fait là – il s’agit d’Olivier Lemieux, journaliste à Radio-Canada. Il est impossible de savoir en toute certitude ce que dit alors ce bon monsieur, mais quelques instants plus tard, ce même journaliste demande à Bruno Marchand s’il serait ouvert à l’idée d’un modèle de redevances sur les projets immobiliers le long du tracé du tramway, comme cela se fait à Montréal.  

Le candidat à la mairie ne parait pas déstabilisé par la question, et il affiche un air radieux au moment de répondre. « Si les gens voient une appréciation de la valeur de leur immeuble, qu’il soit commercial ou résidentiel, je pense qu’il y a une question d’équité pour compenser pour des éléments qui sont venus par notre action collective », dit-il, en ajoutant presque immédiatement : « je ne suis pas en train de dire qu’on va le faire, je suis en train de dire qu’on va l’étudier ». Derrière lui, tous les candidats présents continuent de sourire et de regarder leur chef avec admiration, un peu comme les enfants regardent parfois leurs parents. Puis, le groupe se dissipe, somme toute content que tant de journalistes portent de l’intérêt pour les idées du parti.

Dans les heures qui suivent, les adversaires de Québec Forte et Fière y vont aux toasts. Marie-Josée Savard critique la « taxe Marchand » et jure n’avoir même jamais considéré une telle mesure (elle se rétractera moins de 24 heures plus tard) ; Jean-François Gosselin dit que c’est la « cerise sur le sundae », car les citoyens vivront non seulement dans le travaux pendant plusieurs années, mais en plus ça leur coûtera plus cher ; Jean Rousseau, quant à lui, accuse Bruno Marchand de miner l’acceptabilité sociale du projet avec la mesure qu’il propose.

Dans les rangs de Québec Forte et Fière, et en particulier chez les candidats, le fait de se retrouver concrètement et pour la première fois au milieu des tirs groupés des adversaires provoque une véritable crise. À la réunion du caucus qui a lieu le soir même, chacun d’eux partagera sa vision de ce qu’il conviendrait de faire pour se sortir du trou. « C’était notre premier ‘’scandale’’ à l’interne », se souvient Thomas Gaudreault. « Plusieurs candidats vivaient leur première tempête, et pour beaucoup, ça a été un gros wake up call. Certains l’ont même carrément avalé de travers. Dans ce genre de situation, tout le monde a sa propre idée de ce qu’il faut faire. Ça nous a forcé à faire une mise à niveau. On a écouté toutes les propositions, et on a essayé d’obtenir quelque chose qui ressemblait à un consensus. »

Les candidats de Québec Forte et Fière sont réunis autour d'une table
L’équipe de Québec Forte et Fière à la réunion du caucus, le soir du 22 septembre, quelques heures seulement après que Bruno Marchand a mentionné l’idée d’une redevance.
Photo : Gabriel Côté

Selon le directeur des communications du parti, Jean-Simon Campbell, la crise dépasse alors la simple gestion de points de vue parfois opposés les uns aux autres. « Le jour où Bruno a répondu à cette question, on n’avait aucune idée de la forme que pouvait prendre la mesure. Nous étions presque dans le néant complet, mais Jérôme Couture, qui est un spécialiste de la fiscalité municipale, nous a rappelé qu’en 2017, le gouvernement avait permis aux villes de percevoir des redevances pour payer un projet d’infrastructure. Il nous a expliqué comment ça marchait, et sans lui, peut-être que nous ne nous serions pas sortis du trou aussi vite. »

Dans les jours qui ont suivi, les journalistes ont talonné Bruno Marchand au sujet de la redevance, et il a su répondre avec assez de confiance peut-être pour rendre cette idée plus compréhensible et plus acceptable pour les électeurs.

Pour Élainie Lepage, la spécialiste des réseaux sociaux du parti, cet épisode n’a pas eu que des impacts négatifs sur la campagne de Québec Forte et Fière. « Je crois que ça a montré qu’on était capable de travailler ensemble et de s’en sortir. Avant que ça brasse un peu, plusieurs d’entre nous étions un peu naïf – on pensait peut-être que le charisme de Bruno suffirait pour nous faire gagner les élections. C’est là que tout le monde a compris qu’il allait falloir se battre pour gagner. »

Élainie Lepage, responsable des réseaux sociaux pour Québec Forte et Fière
La responsable des réseaux sociaux, Élainie Lepage.
Photo : Gabriel Côté

Victor Marchand croit même que le chapitre des redevances a eu un effet positif sur la campagne. « On était aux prises avec un défi de notoriété, et on avait devant nous une maudite grosse pente à monter. Le commentaire sur les redevances, ça nous a propulsé à l’avant-scène, et au final, ça a contribué à nous faire connaître », relate-t-il.  

Quant à Bruno Marchand, il maintient qu’il ne regrette pas d’avoir abordé ce sujet. « C’est le genre de campagne qu’on voulait faire : pas de bullshit, on répond aux questions qu’on nous pose, et ça se peut qu’on se mette les pieds dans les plats à l’occasion. Et avec le recul, cet événement a été bénéfique pour la cohésion de l’équipe. C’est à travers les épreuves que se forge le caractère. On était peut-être très confortable dans nos illusions au début de la campagne, mais on est meilleur quand les illusions tombent et qu’on réussit à affronter la vraie affaire ».

Ainsi, après quelques jours de campagne seulement, l’euphorie s’est dissipée et l’excès de confiance, qui aurait pu être néfaste s’il n’avait été enrayé que plus tard, a fait place à une organisation plus solide, parce que plus lucide.  

Au cœur de la campagne

Depuis la « crise des redevances », les adversaires de Bruno Marchand sont moins inquiets. Dans les locaux d’Équipe Marie-Josée Savard et de Québec 21, avant les points de presse, on rigole allègrement de la bourde commise par le dernier venu en politique municipale. Quand les caméras tournent, le ton se fait plus sérieux, et on dénonce de toute part l’inexpérience de Marchand et sa méconnaissance de l’appareil municipal.

Le rapport aux médias – Du côté de Québec Forte et Fière, le processus de préparation des sorties n’a pas changé d’un iota en apparence, mais il se fait bel et bien de façon plus serrée. De même qu’en mer, l’homme oriente sa voile et manie le gouvernail de façon à avancer contre le vent par la force même de celui-ci, Bruno Marchand et son entourage sont déterminés à tirer avantage de ce qui parait pour l’heure une gaffe.

Une photo prise pendant « la quotidienne ». En haut : François Paquet, Élainie Lepage et Jean-Simon Campbell. En bas, Clément Laberge, Luc Massicotte et Bruno Marchand.

Chaque matin à l’aurore, le comité central formé de Thomas Gaudreault, Jean-Simon Campbell, Élainie Lepage, Clément Laberge, François Paquet et Luc Massicotte, tient une réunion quotidienne afin de déterminer les orientations stratégiques du parti, à la lumière notamment de ce que rapportent les candidats de leur travail sur le terrain. C’est aussi, et surtout, l’occasion de préparer le chef à toutes les questions qui pourraient survenir au courant de la journée, à la lumière des évènements récents et du déroulement général de la campagne.

« L’idée c’est de toujours trouver le moyen de faire passer notre message à travers les sujets du jour », explique très prosaïquement Jean-Simon Campbell.

Personne dans l’entourage de Bruno Marchand ne s’indigne de la couverture que le parti reçoit dans les médias, ce qui est remarquable si l’on considère certaines remarques tenues par certains autres candidats au cours de la campagne. Jean Rousseau, par exemple, qui s’est toujours targué d’être le « candidat du contenu » a déploré à maintes occasions la couverture « trop superficielle » de ses annonces. Du côté de Québec 21, plusieurs considèrent avoir les médias contre eux, comme en témoigne la sortie très remarquée du chef de cabinet Richard Côté vers la fin de la campagne, qui accusait les journalistes de vouloir « détruire le projet de métro-léger ». À l’occasion d’un panel avec les journalistes, même Marie-Josée Savard a glissé qu’elle est parfois insatisfaite de la couverture des journalistes, qui ne s’attardent pas suffisamment au contenu et qui préfèrent donner dans le sensationnalisme.  

Une partie de l’équipe de Québec Forte et Fière. De gauche à droite, Victor Marchand, Bruno-Pierre Cyr, Élainie Lepage et Jean-Simon Campbell.

Pour le chef de Québec Forte et Fière, il en va tout autrement. « La relation avec les médias, c’est une danse, un tango, explique Bruno Marchand. Les journaux suivent un narratif qui est le leur et qui intéresse leurs lecteurs – ils savent ce qu’ils font. De notre côté, nous avons aussi un narratif qu’on essaie de faire passer. Alors tout est une question d’équilibre : il faut accepter de se prêter au jeu des journalistes, sinon on ne bénéficiera pas d’une bonne couverture. Toutefois, en commentant l’actualité, il faut parvenir à au moins insinuer le narratif qui est le nôtre. Qui plus est, il arrive qu’on réussisse à imposer le sujet du jour, et ça c’est très bon car on force alors tout le monde à commenter ce qu’on a fait ou ce qu’on a dit. À vrai dire, c’est ce qu’on tente tout le temps de faire, même si on n’y arrive pas toujours. »

Ainsi, en établissant son plan de campagne, la cellule stratégique du parti a fait de son mieux pour que ce plan soit souple ou « agile », pour reprendre une expression qui plait beaucoup à Bruno Marchand et à son candidat Pierre-Luc Lachance.

Un premier débat, un premier sondage – Dans les jours qui précèdent le débat organisé par la chambre des commerces, le tout premier d’une campagne dans laquelle il n’y a pas eu de manque de ce côté, Québec Forte et Fière fait des sorties qui s’adressent plus directement aux gens d’affaires et aux entrepreneurs. « On voulait attiser d’abord leur intérêt, et on comptait sur une bonne performance de Bruno au débat pour les gagner à notre cause », souffle Thomas Gaudreault.

Bruno Marchand lit ses notes
Bruno Marchand, lors d’une simulation de débat au Cégep Sainte-Foy en vue du débat du 5 octobre. Photo : Élainie Lepage

C’est le soir du 5 octobre qu’a lieu ce débat. Dans le local électoral de Québec Forte et Fière, Victor Marchand, Bruno-Pierre Cyr, Élainie Lepage et Jean-Simon Campbell sont réunis pour suivre l’évènement. « Notre objectif avec ce débat est de nous positionner dans le peloton de tête, avec Gosselin et Savard », explique Bruno-Pierre Cyr, le directeur de campagne.

Il y a une énergie palpable dans la petite salle à l’arrière du local électoral du parti. Bruno-Pierre Cyr passe le débat debout à faire des aller-retour, et il crie à l’occasion, pour se réjouir, pour se plaindre, pour essayer de donner un conseil à son chef qui se trouve dans l’écran. Sur la table, on se passe un sac de bretzels et des bières Corona.

Bruno-Pierre Cyr et des collègues de Québec Forte et Fière
Bruno-Pierre Cyr allait et venait d’un bout à l’autre de la pièce pendant le premier débat de la campagne. Aussi sur la photo, Élainie Lepage, Jean-Simon Campbell et Victor Marchand.
Photo : Gabriel Côté

Ancien conseiller de Jean-François Lisée, Bruno-Pierre Cyr a l’habitude des débats, mais cela ne l’empêche pas d’être particulièrement nerveux. « Je suis plus stressé qu’avec Lisée, parce que je me suis plus investi personnellement dans cette campagne. Ce parti-là, ce projet-là, je suis de ceux qui le portent au bout de leurs bras depuis le jour un », confie le directeur de campagne.

Tout le monde semble surpris par l’aisance de Marie-Josée Savard. Mais, après la joute, ce qui ressort c’est que le groupe est satisfait de la performance de Bruno Marchand. « Je pense que ça suffira pour nous placer dans le top 3 », glisse Bruno-Pierre Cyr. « Il lisait un peu trop, et ça se voyait qu’il était nerveux, il se forçait un peu pour sourire », ajoute Jean-Simon Campbell. « On va travailler ça pour le prochain! »  

Une semaine plus tard, un autre nuage passe sur la campagne de Québec Forte et Fière. Un sondage Le Soleil/FM93/Navigator place Bruno Marchand en troisième position derrière Marie-Josée Savard et Jean-François Gosselin, avec 12% des intentions de vote. L’enquête a été menée en majeure partie avant le débat du 5 octobre, mais comme les coups de sonde sont curieusement très rares dans cette campagne électorale, plusieurs personnes au sein du parti sont déçues des chiffres et des analyses qu’ils lisent ce jour-là dans les journaux.

« Quand j’ai vu la méthodologie, je me suis dit : ‘’ 500 personnes… cr***, ce n’est pas un sondage, c’est un vox-pop. Comment ça se fait qu’ils publient ça?’’ », relate Thomas Gaudreault.

« Sur le coup, en voyant ça, ça a été un choc », se rappelle Florent Tanlet, candidat du parti dans Limoilou. « Mais en considérant que Marie-Josée Savard et Jean-François Gosselin ont l’air de plafonner, et surtout en voyant le nombre d’indécis, ça remet les choses en perspective. »

« Ça ne correspond vraiment pas à ce qu’on sent sur le terrain », confie Bruno Marchand ce jour-là. « Je demeure convaincu qu’on va gagner. Le vent qui nous pousse, il n’est pas fake ». Pendant qu’il prononçait ces mots, on le sentait un peu moins sûr de lui qu’à l’habitude.

En marge d’un point de presse quelques jours plus tard, un candidat d’Équipe Marie-Josée Savard ironise sur la réaction du chef de Québec Forte et Fière. « Il mène une campagne très mécanique, très prévisible, je dirais même presque théorique : il se dit qu’il a tout fait comme il faut, et là, il ne comprend pas que les résultats ne suivent pas. C’est exactement de cette façon qu’on perd des élections. »

Quoiqu’on puisse bien dire, avec trois semaines de campagne à faire, rien n’est encore joué. Mais le débat qui doit avoir lieu le mercredi 20 octobre à Radio-Canada vient de gagner en importance. « Il va nous falloir une bonne performance si on espère gagner », glisse Bruno-Pierre Cyr, du ton de celui qui sait qu’il profère une évidence.

Le second débat – Il fait plutôt gris et plutôt froid le 21 octobre au matin. Les journaux annoncent que le débat de la veille n’a pas eu de véritable gagnant, mais que la candidate qui est en tête dans les intentions de vote, Marie-Josée Savard, n’a pas été à la hauteur des attentes.

« Le spin négatif contre Marie-Josée Savard est une bonne nouvelle pour nous », souligne Jean-Simon Campbell, quelque peu soulagé. En effet, l’ambiance qui régnait dans le local électoral de Québec Forte et Fière la veille au soir était plutôt ambigüe. On semblait content que Bruno Marchand « n’ait pas fait d’erreur », mais on trouvait surtout qu’il n’avait pas réussi à prendre assez de place.

Selon le principal intéressé, il s’agissait précisément de la stratégie qui avait été établie pour ce débat. « Nous avons misé sur les ‘’45 secondes’’ ainsi que sur les introductions et les conclusions. Nous voulions mettre l’accent sur les idées, et se tenir à l’écart des conflits inutiles et du verbiage », explique Bruno Marchand.

Pourtant, pendant le débat, l’ambiance était bien différente de celle qui régnait le 5 octobre. Cette fois, pas de sac de bretzels ni de corona. Alors que Victor Marchand relie son ordinateur à la télévision à l’aide d’un câble HDMI, Bruno-Pierre Cyr signe des procurations et des documents officiels en silence. Quelques minutes plus tard, le calme apparent fait place à l’agitation que chacun dissimulait tant bien que mal, révélant du même coup l’état d’esprit qui règne dans la war room de Québec Forte et Fière. Victor se lève presque chaque fois que son père est la cible d’une attaque ou d’un commentaire ; quant au coloré directeur de campagne de Québec Forte et Fière, il tape dans les murs en implorant son chef de prendre la parole quand celui-ci paraissait trop effacé. Jean-Simon Campbell écoute attentivement, mais il hoche la tête en faisant une moue qui laisse transparaitre une forme d’agacement. Le débat ne se déroule pas exactement comme il l’aurait souhaité.  

« On était prêt pour les parties ‘’préparées’’ du débat. Bruno n’avait pas de texte, seulement des points formes, il n’a pas lu contrairement à d’autres candidats, et il semblait naturel et en contrôle de ses idées. Toutefois, il y a eu un manque au niveau de la capacité à prendre sa place dans les échanges. C’est une chose dont on n’avait pas parlé pendant la préparation au débat – on s’est préparé à répondre aux attaques qu’on aurait pu nous lancer, mais on n’a rien prévu pour provoquer des échanges », note Jean-Simon Campbell.   

La question que se posent les chroniqueurs le 21 octobre n’est pas si éloignée d’une inquiétude qui résonne en sourdine dans l’esprit des stratèges de Québec Forte et Fière : la performance de leur chef est loin d’être un échec, mais permettra-t-elle de propulser son parti, alors troisième dans les intentions de vote, vers l’avant à 18 jours du scrutin ?  

Sortir les gants – La crainte que l’impulsion ne vienne pas, qu’elle ne soit pas assez forte, ou encore qu’elle n’arrive que trop tard semble avoir nécessité un changement ou un recadrage stratégique de la part de Bruno Marchand et de son entourage. En effet, dans les jours qui suivent le débat de Radio-Canada, l’ancien PDG de Centraide-Québec passe à l’offensive. Ses deux cibles sont Marie-Josée Savard et Jean-François Gosselin. À propos de l’une, Bruno Marchand souligne à répétition les échecs dans la gestion des dossiers relatifs au patrimoine – Marie-Josée Savard, rappelons-le, a été critiquée par le vérificateur général de la ville qui a dénoncé un manque de leadership en cette matière ; à propos de l’autre, il multiplie les critiques sur le projet de métro-léger, qui selon lui se démarque par son « manque de nuance et de crédibilité ».  

Quand on lui mentionne les sorties de Démocratie Québec ou de Transition Québec, le chef garde généralement le silence. Lors d’une réunion du caucus, il est sans appel : « il ne faut pas s’occuper de ce que DQ et TQ font, ce sont des marginaux ».

De plus en plus, la campagne prend des allures de combat au nom de la transparence. Assez comiquement, chaque parti assure être plus propre et plus ouvert que les autres. Chacun insinue que ses adversaires « ne disent pas tout », qu’ils « cachent quelque chose ». Dans ce petit jeu, Québec Forte et Fière a l’avantage d’être un nouveau parti et de n’avoir pas, contrairement à d’autres, à trainer le poids d’un bilan. Mais les autres partis réussissent tout de même à virer la situation sous un jour qui les avantage, en déclarant que Bruno Marchand ne serait qu’un « produit de marketing », ce qui n’est pas loin de suggérer qu’il serait une marionnette contrôlée par on-ne-sait-pas-qui. Le chef de Québec Forte et Fière retourne à son tour cette idée pour son compte : « mes adversaires trouvent que je me vends bien, alors c’est un compliment. Ça veut dire que je mets bien mes idées en valeur et que celles-ci sont attrayantes pour l’électorat », plaisante-t-il.

C’est le propre des campagnes où s’affrontent plusieurs joueurs de force à peu près égale, et dont les différences sont d’une telle subtilité qu’il devient extrêmement difficile de les départager au poids. Il faut alors se rabattre sur le monde incertain des apparences, et cela conduit inévitablement le débat sur des questions de second ordre telle que « la manière de faire de la politique ». Et une victoire est impensable pour celui qui n’accepte pas de jouer le jeu imposé par les circonstances. « Gagner une élection et gouverner, ce sont deux choses bien différentes », reconnait d’ailleurs Bruno Marchand.

Ce qui fait la singularité de cette campagne à la mairie, c’est que non seulement il a pu par moment être difficile de distinguer entre les options qui s’offraient aux électeurs, mais qu’en plus, très peu de sondages ont été faits, ce qui a rendu difficile de mesurer la portée réelle des confrontations entre les différents candidats.

L’onde et le rivage – C’est ainsi que le mercredi 27 octobre, à la réunion hebdomadaire du caucus de Québec Forte et Fière, Bruno Marchand affiche un air très sérieux. Avant son arrivée dans la salle des Chevaliers de Colomb à Lac-Saint-Charles, les candidats discutent avec la même légèreté qu’on adopte lorsqu’on parle à des collègues de travail à l’extérieur du bureau. Catherine Morissette a son café du Tim Hortons – elle n’est pas la seule – et elle distribue à qui veut bien en prendre des Timbits glacés au miel. À l’entrée du chef, qui se permet de montrer sa fatigue lors de ces réunions « parce qu’on peut se le permettre en famille », tout le monde gagne lentement sa place, et le désordre relatif qui régnait jusque-là se dissipe aussi naturellement que le brouillard sous l’effet du soleil.

L'équipe de Québec Forte et Fière en réunion
L’équipe de Québec Forte et Fière dans la salle des Chevaliers de Colomb à Lac-Saint-Charles, le 27 octobre, peu avant l’arrivée de leur chef. Photo : Gabriel Côté

Bruno Marchand sait qu’un sondage paraîtra le lendemain, et il prépare ses troupes à toute éventualité, et en particulier à un scénario où son parti n’aurait pas bougé dans les intentions de vote. « Ça prend du temps, après qu’une pierre tombe à l’eau, pour que l’onde parvienne au rivage, dit-il à ses candidats. Nous, on est sur le terrain, alors on voit les éclaboussures, mais il se peut que ceux qui sont plus loin et qui commencent tout juste à s’intéresser un peu à la campagne voient les choses différemment. N’oubliez pas, ça prend du temps à l’onde pour se rendre au rivage. » Mais il termine son intervention sur une note d’humour, destinée à mettre ses candidats en confiance. « Si on n’a pas monté du tout, on se prépare tous à aller travailler à la boulangerie avec Éric pendant le temps des fêtes ».

Quelques instants plus tard, en entrevue, le candidat à la mairie explique qu’il ne croit pas que le sondage sera mauvais. « Je voulais m’assurer que personne ne soit découragé peu importe le résultat du sondage, explique-t-il. Il faut qu’on soit prêt à tout donner dans les 10 prochains jours, peu importe les circonstances ».

Le dernier droit

Les rues sont à peu près vides en cette fin de semaine d’Halloween. Il pleut, il fait froid, ça s’annonce mal pour le vote par anticipation. Pourtant, au cours de la fin de semaine, c’est tout de même 55 015 personnes qui se déplacent aux urnes, ce qui représente 13,4% des électeurs, une proportion un peu plus faible qu’en 2017 (13,7%) et qu’en 2013 (14,4%).

Un taux de participation bas est généralement un mauvais présage pour les partis qui misent sur le changement. « Que les gens aient un peu moins voté par anticipation cette année que lors des élections précédentes n’est pas nécessairement le signe d’un désengagement de la part des électeurs », souligne Bruno Marchand. « C’est peut-être l’indice qu’il y a encore beaucoup d’indécis, et notre travail pendant le dernier droit de cette campagne, c’est justement de convaincre ces gens-là de nous choisir. »

De fait, 39% des répondants du sondage Léger publié quelques jours auparavant ont déclaré que leur choix n’était pas encore définitif. Ce coup de sonde révélait aussi un bond de près de 10% dans les intentions de vote pour Bruno Marchand. Dans les rangs de Québec Forte et Fière, on sent alors que l’onde commence enfin à se rendre à la rive. Pour Jean-Simon Campbell, ce résultat n’est pas une surprise. « C’est exactement ce à quoi on s’attendait, pas plus, pas moins », remarque-t-il.

Mais Bruno Marchand demeure à dix points de Marie-Josée Savard, qui se maintient assez confortablement en première position. Thomas Gaudreault est toutefois convaincu que les appuis à la dauphine du maire Labeaume sont plus fragiles que ne le laisse croire le sondage. « On voit que sa base est constituée principalement par le vote des personnes âgées. Mais il y a beaucoup moins de bureaux de vote dans les RPA (résidences pour personnes âgées) cette année, alors ce sera plus difficile pour son équipe de faire sortir le vote. Ils devront consacrer beaucoup de ressources la semaine prochaine pour faire en sorte que beaucoup de monde vote par la poste », dit-il avec confiance.  

Dans les derniers jours de campagne, le plan de Québec Forte et Fière est de relayer au second plan le « contenu » en tant que tel, et de se concentrer à projeter une certaine image de Bruno Marchand. Le principal intéressé justifie cette décision par la fatigue des électeurs. « Les gens sont las d’entendre parler de politique municipale. Il ne faut pas les pousser à bout », remarque-t-il.

En réalité, les raisons de ce recadrage stratégique sont plus profondes. Sur le terrain, des candidats réalisent que la question du tramway leur nuit considérablement. « Le tramway, ce n’est pas trop fort dans mon coin », glisse Maxime Dion, candidat dans Robert-Giffard. « Moi, je me fais manger par le tramway », lance Marie-Josée Asselin. « Si ce n’était que de moi, je ne parlerais plus du tout de transport d’ici la fin de la campagne », suggère Mélissa Coulombe-Leduc.

Dans les jours qui suivent ces échanges, Bruno Marchand fera une sortie dans les médias pour expliquer qu’il est pour un tramway à Québec, mais pas à n’importe quel prix. Cette déclaration choque bien des gens, qui se demandent à quoi le chef de Québec Forte et Fière a bien pu penser. « C’est une erreur. Il laisse le vote protram à Marie-Josée Savard. C’est le dernier clou dans le cercueil de sa campagne », confie un membre actif d’un autre parti.

Mais le candidat à la mairie ne s’en fait pas trop avec ce que peuvent penser ses adversaires ni les journalistes. Il maintient qu’il a toujours essayé d’être le candidat de la nuance et de l’intelligence, et que cette sortie est cohérente avec son approche générale. « Mais surtout, ajoute-t-il, c’est une passe que je fais à mes candidats, pour qu’ils aient quelque chose avec quoi travailler dans leur porte-à-porte quand on leur parle du tramway. Anyway, il se trouvera du monde pour dire que c’est une position électoraliste, donc qui peut récolter des votes, alors que d’autres diront que c’est une mauvaise décision stratégique. »     

S’il s’impose déjà comme le candidat de la nuance, les stratèges de Québec Forte et Fière souhaitent en plus que Bruno Marchand soit perçu dans les derniers jours de campagne comme celui qui ferait le meilleur représentant de la ville dans les relations avec les gens d’affaires et avec les autres paliers de gouvernement, que ce soit au provincial, au fédéral ou même à l’international. « Simplement, on veut que les gens voient que c’est Bruno qui a le plus l’étoffe d’un maire parmi les choix qui s’offrent à eux », explique Jean-Simon Campbell.

Ainsi, une trentaine de personnalités issues des milieux politiques, économiques et communautaires donneront leur appui à Québec Forte et Fière le 31 octobre ; le 2 novembre, Bruno Marchand annoncera sa volonté de réactiver le bureau international et d’améliorer les relations entre la Ville et l’administration aéroportuaire ; enfin, le 5 novembre, le candidat à la mairie réitèrera son souhait de rétablir la relation entre l’administration municipale et les employés de la ville.

« Le contenu de ces annonces est secondaire, convient le directeur des communications du parti. C’est ou bien de la ‘’redite’’, ou bien de subtiles modifications de choses qui se font plus ou moins déjà à la Ville, ou qui se faisaient dans un passé récent et qu’on propose de ramener sous une forme un peu différente. Toute l’importance de ces sorties résidait dans l’image qu’elles nous ont permis de projeter de Bruno, en opposition on l’espère avec la façon dont nos adversaires sont peut-être perçus par le public », ajoute Jean-Simon Campbell.

Or, rien ne se déroule jamais exactement comme prévu. Même si les choses vont très bien pendant le dernier droit de la campagne pour Québec Forte et Fière, – le dernier sondage, paru le 6 novembre, révèle que les appuis de Bruno Marchand bondissent de dix points en dix jours et confirme la possibilité d’une victoire le lendemain pour le plus jeune parti politique municipal – c’est le chef de Québec 21, Jean-François Gosselin qui réussit à occuper le plus d’espace médiatique, et à dicter en quelque sorte la trame narrative de la campagne. Le 1er novembre, il lance un ultimatum à ses deux principaux adversaires, Bruno Marchand et Marie-Josée Savard : ils doivent prouver aux électeurs qu’ils sont sans tache, en publiant la liste de leurs donateurs ainsi que leur déclaration d’impôt.

C’est que le chef de Québec 21 regarde les montants amassés par ses rivaux, – en particulier par Québec Forte et Fière – d’un œil très sceptique. Le 3 novembre, il suggère même qu’il est « impossible » d’avoir récolté autant de dons. Son chef de cabinet, Richard Côté, un vieux loup de la politique municipale à Québec déclare ce jour-là sur le ton de la juste indignation qu’il n’a « jamais vu ça ».

Dans l’entourage de Bruno Marchand, ces insinuations et ces demandes ne provoquent aucune inquiétude. « C’est une vraie tempête dans un verre d’eau », dit Thomas Gaudreault avec découragement.

De fait, les attaques de Jean-François Gosselin feront long feu, pour deux raisons.

D’une part, Québec 21 n’arrive pas à se sortir d’un certain embarras causé par le fait de remettre toujours à plus tard la publication de leur seule étude à propos de leur projet de métro-léger, et les journalistes les talonnent tous les jours à ce sujet. Le parti de Jean-François Gosselin ne parvient donc pas à contrôler entièrement son message, et son appel à la transparence tombe non seulement à plat, mais se retourne carrément contre lui. Il s’agit d’un cas classique de « poutre dans l’œil ».

Et d’autre part, il s’avère que la publication des documents que voulait dévoiler au grand jour Jean-François Gosselin ne révèle aucun scandale. Surprise : il n’y a pas de Denis Coderre dans la course à la mairie de Québec. Au bout du compte, l’ultimatum désespéré de Québec 21 et le scepticisme indigné de son chef n’auront que mieux fait briller le parti de Bruno Marchand, en permettant à celui-ci de montrer qu’il avait en effet « fait l’impossible » en récoltant autant de dons.

Bref, en voulant dévoiler des « cachoteries » et prendre le contrôle de la dernière semaine de campagne, Jean-François Gosselin aura joué, sans le savoir, le jeu de Bruno Marchand, en lui donnant l’occasion de se montrer sous un jour plus efficace et plus rassembleur que les autres.

Un jour avant le vote, le 6 novembre, le chef de Québec Forte et Fière fait du terrain. Au cours de la journée, dans ce qu’il conviendrait d’appeler son sprint final, il fera le tour des 21 districts de la ville pour aller une dernière fois à la rencontre des électeurs. « La vibe est incroyable sur le terrain », confie Thomas Gaudreault, encouragé par la publication du sondage qui place Bruno Marchand au coude à coude avec Marie-Josée Savard. Sous un ciel dégagé et dans l’air frais d’un soir d’automne, les membres de Québec Forte et Fière rentrent chez eux, fatigués et fébriles. Sur les branches dénudées, quelques feuilles à la couleur incertaine continuent de s’accrocher, mais la douceur d’un vent presque imperceptible suffit, d’heure en heure, à les faire tomber les unes après les autres, dans le silence et l’anonymat.

Le soir du vote

Il est 18h30 le jour du scrutin, et l’ambiance est plutôt tendue dans la salle de réception du manège militaire de Québec, même si seulement une poignée de personnes est présente. Les derniers chiffres connus quant au taux de participation sont plus bas qu’on ne l’aurait envisagé dans le camp de Québec Forte et Fière. Une heure plus tôt, il n’y avait que 36% des électeurs qui s’étaient présentés aux urnes, soit environ 5% de moins qu’au même moment en 2017.

« Nous sommes très surpris, nous ne nous attendions pas à ça », confient Thomas Gaudreault et Élainie Lepage. « Un taux de vote très bas, ce n’est pas bon pour nous. »

Le chef, Bruno Marchand, est dans sa suite au Château Laurier à quelques pas seulement du manège militaire, avec quelques membres de sa garde rapprochée, dont Clément Laberge.

Bruno Marchand et Clément Laberge
Bruno Marchand et Clément Laberge au Château-Laurier, à quelques heures de la fermeture des bureaux de vote. C’est dans cette suite que Bruno Marchand passera sa soirée, entouré des membres de son comité stratégique et de sa conjointe.

Plus tôt dans la journée, il a rédigé un discours de victoire. Un membre de son équipe de communication a aussi préparé pour lui un discours en cas de défaite, que le candidat à la mairie ne consultera finalement jamais.

« On a travaillé sur trois discours pendant la soirée », relate Jean-Simon Campbell, le directeur des communications du parti. « On est parti avec un discours victorieux, puis on a fait une ébauche d’un discours dans lequel on demandait un recomptage, et enfin on a retravaillé notre premier discours pour l’adapter au fil des évènements de la soirée. »

Bruno Marchand et Jean-Simon Campbell, analysant les résultats pendant le dépouillement du vote et travaillant sur différentes versions du discours qui sera prononcé en fin de soirée.
Photo : Courtoisie

Cette soirée en effet n’a rien d’ordinaire. À 20h29, on annonce très prématurément la victoire de Marie-Josée Savard. Au quartier général de Bruno Marchand, c’est un véritable choc. « Si on perd, on ne perdra pas par cette marge », confie le chef du parti à sa garde rapprochée. À ce moment, personne ne savait que cette soirée électorale s’avérerait particulièrement excitante, et pour tout dire, hors du commun.

Le choc est le même au rassemblement de Québec Forte et Fière. Au manège militaire, il n’y a pas un son, à part la musique qui continue de faire vibrer les haut-parleurs. Le caractère festif de la musique contribue à révéler la déception qui est sur tous les visages. « Ouin, ben, on s’en va, c’était le fun », souffle avec désespoir un sympathisant qui vient tout juste de faire son entrée dans la salle.

Le rassemblement de Québec Forte et Fière au Manège Militaire
Tout le monde est silencieux au rassemblement de Québec Forte et Fière après l’annonce hâtive de la victoire de Marie-Josée Savard. Photo : Gabriel Côté

Le candidat de Saint-Roch–Saint-Sauveur, Pierre-Luc Lachance, dont c’est le quarantième anniversaire, parcourt la salle de réception, salue les journalistes, échange à propos des résultats et de sa vision générale des choses. Dans son district, la course est serrée entre lui et son adversaire d’Équipe Marie-Josée Savard, Paul-Christian Nolin. À chaque boîte de scrutin qui est dépouillée, le meneur change.

En plus de Pierre-Luc Lachance en basse-ville de Québec, les militants de Québec Forte et Fière s’accrochent à l’espoir de faire élire Mélissa Coulombe-Leduc, dans Cap-aux-diamants, et Catherine Vallières-Roland, la colistière de Bruno Marchand, dans Montcalm—Saint-Sacrement. À 20h45, elles mènent toutes les deux. Dans Sillery—Saint Louis, Maude Mercier Larouche chauffe sérieusement Émilie Villeneuve.

Prudemment, Bruno Marchand n’est pas prêt à descendre tout de suite pour concéder la victoire. Le contraste est frappant avec Marie-Josée Savard, qui prononce très rapidement un discours de victoire devant ses troupes rassemblées à l’Impérial.  

Le candidat du parti dans Saint-Rodrigue, Charles Pagé, a la mine plutôt basse, ce qui contraste avec le naturel ouvert et bonhomme que tous lui reconnaissent. Celui qui a quitté son emploi de cadre à la Ville de Québec pour faire campagne aux côtés de Bruno Marchand est très surpris de la marge par laquelle Marie-Josée Savard mène, et aussi de la marge par laquelle certains des candidats du parti de la dauphine du maire Labeaume dominent dans leur district respectif. « On ne se lance pas dans une campagne électorale en se disant que c’est sûr qu’on va l’emporter, mais là, je dois dire que je suis particulièrement surpris des chiffres que je vois. »

À 21h15, l’avance de Marie-Josée Savard est encore substantielle, mais elle commence à fondre quelque peu. Bruno Marchand, lui, comme pendant la campagne, remonte un peu et il approche lentement mais sûrement la barre des 30%. Une lueur d’espoir continue de briller dans le regard de plusieurs sympathisants, mais Thomas Gaudreault refuse d’entretenir des illusions qu’il pense vaines. Je crois qu’on va remonter peu à peu, mais ça ne sera pas suffisant. »

Sept minutes plus tard, Pierre Luc-Lachance monte sur scène pour annoncer la venue du chef d’ici quelques instants. Il livre un petit discours pour essayer de motiver les troupes, mais cela reste sans effet. Personne dans son bon sens ne croit que la remontée de Bruno Marchand, qui commence à se dessiner, sera suffisante pour combler la marge qui le sépare déjà de Marie-Josée Savard.

Pourtant, dans plusieurs districts, les avances des candidats de celle qui a été déclaré mairesse élue ne cessent de fondre. À 21h36, dans Louis XIV, Donald « Archy » Beaudry, qui avait une avance très confortable quelques minutes plus tôt, ne mène plus que par une soixantaine de votes, et Marie-Pierre Boucher le chauffe sérieusement. Dans Loretteville—Les Châtels, Marie-Josée Asselin a aussi pris les devants face à Émilie Robitaille, de l’équipe de Marie-Josée Savard.

Le rassemblement d'Équipe Marie-Josée Savard s'est tenu à l'Impérial
Au rassemblement de Marie-Josée Savard, on sent de plus en plus d’inquiétude à mesure que la soirée avance. Photo : Sophie Williamson

À 21h45, l’ambiance au rassemblement de Marie-Josée Savard a changé du tout au tout. On est passé de la frénésie à une joie tranquille. Les mines ne sont pas basses, mais tous les regards sont rivés sur les écrans qui permettent de suivre l’évolution des résultats. On sort fumer des cigarettes, et on espère tacitement que la remontée de Marchand s’arrête un peu trop tôt. L’inquiétude croit de minute en minute.

Parallèlement, le scénario d’une victoire semble de plus en plus possible au rassemblement de Québec Forte et Fière. La foule est en liesse quand Bruno Marchand atteint 31%, et que Marie-Josée Savard descend à 33% seulement.

Journalistes au rassemblement de Québec Forte et Fière
Les journalistes ne s’attendaient pas à une telle soirée au rassemblement de Québec Forte et Fière. Photo : Gabriel Côté

Les journalistes n’en croient tout simplement pas leurs yeux. Tout le monde se demande comment une telle bourde a pu être commise par des médias habituellement prudent tels que Radio-Canada et TVA. Chez les membres de la presse qui sont présents, le sentiment général est à l’incrédulité et la perplexité.

À 22h40, il n’y a plus que quarante votes qui séparent Bruno Marchand et Marie-Josée Savard. Au Manège militaire de Québec, plus personne ne doute de la victoire de l’ex-président directeur général de Centraide Québec. À cet instant précis, l’élection de Mélissa Coulombe-Leduc, de Pierre-Luc Lachance, de Catherine Vallières-Roland, de Marie-Pierre Boucher, et de Marie-Josée Asselin est confirmée. Un peu plus tard dans la soirée, on confirmera aussi celle de Maude Mercier-Larouche. En six mois, une force politique est née à Québec.

Trois minutes plus tard, tout le monde se lève spontanément debout quand Bruno Marchand prend les devants pour la première fois de la soirée.

L'attaché de presse de Québec Forte et Fière, Thomas Gaudreault, est très émotif
L’attaché de presse de Québec Forte et Fière, Thomas Gaudreault, est très émotif alors que la victoire de Bruno Marchand se concrétise.
Photo : Gabriel Côté

Thomas Gaudreault pleure de joie. Les candidats du parti le serrent dans leur bras, en lui disant : « c’est toi qui as fait ça, Thomas, c’est toi qui as fait ça. »

Dans les minutes qui précèdent l’arrivée de Bruno Marchand au rassemblement, l’ambiance est de plus en plus décontractée. Ceux qui ont été élus reçoivent les félicitations de tous, et les candidats défaits acceptent leur sort, consolés qu’ils sont par la victoire de leur chef.

Pendant son discours, Bruno Marchand fait preuve de nuance, comme il l’a fait tout au long de la campagne. Conscient de son statut minoritaire à l’Hôtel de Ville, – Équipe Marie-Josée Savard a fait élire dix conseillers, Québec Forte et Fière six, Québec 21 quatre et Transition Québec un seul – le nouveau maire de Québec offre une main tendue à l’opposition. Au cours des prochaines semaines, il entend collaborer de près avec les élus des autres formations politiques.

Victor Marchand ne contient pas sa joie : « Sérieusement, ça ne pouvait pas être plus malade que ça, c’est juste parfait. »

Élainie Lepage tout sourire
La spécialiste des réseaux sociaux de Québec Forte et Fière, Élainie Lepage, est aux anges alors que Bruno Marchand dépasse Marie-Josée Savard dans les votes obtenus.
Photo : Gabriel Côté

Élainie Lepage dit être « sans mot », mais elle en trouve quand même quelques-uns pour qualifier son état d’esprit : « c’est comme si je m’étais mariée et que j’avais divorcé le même jour, puis que j’avais eu mon premier enfant après que l’on m’ait dit que je ne pourrais jamais en avoir », dit-elle en riant, les larmes aux yeux.  

Très prosaïquement, le directeur de campagne de Québec Forte et Fière, Bruno-Pierre Cyr, souligne qu’il « passe une très belle soirée ».

***

Après 52 jours de campagne, le panorama politique a complétement changé à Québec. Jean-François Gosselin ne sera plus chef de Québec 21, mais il siégera tout de même à l’hôtel de ville. N’ayant pas désigné de colistier, Marie-Josée Savard se trouve, par la force des choses, exclue du conseil municipal.

C’est une belle nuit d’automne dans la vieille-capitale, les feuilles brunâtres tombent doucement des arbres sur Grande Allée. Toute la campagne, on a fait grand cas du vent de changement que Bruno Marchand disait sentir sur le terrain. On se trompait certainement en s’imaginant une bourrasque violente qui emporte tout sur son passage. Car parfois, aucun coup de vent n’est nécessaire pour décrocher les vieilles feuilles des branches où elles s’accrochent tant bien que mal, le seul contact de l’air suffit. Et toujours, le temps fait son œuvre sans égard pour nos vains projets. Quand en effet un changement est dans l’air, même très subtilement, on ne peut rien faire pour l’empêcher de se produire.

Il s’agit seulement d’être prêt.

1 commentaire sur "Par la force du vent, ou comment Bruno Marchand est devenu maire de Québec"

  1. Vincent Morissette | Nov 20, 2021 at 15 h 42 min | Répondre

    Je vous remercie, Monsieur, pour la qualité de votre texte. Je vous remercie, puisque celui-ci montre un quotidien qui est trop souvent caché derrière des annonces et des apparitions dans les médias, derrière les rouages d’un système politique que si peu connaissent réellement et qui contribue, d’une certaine façon, à ce que les femmes et les hommes politiques soient perçus comme des individus hors de portée. Il y a tant de travail, tant d’espoirs, tant d’énergie mise de l’avant dans de telles avantures, et ce, peu importe le parti politique. Et s’il faut des personnes d’une rare compétence pour assumer les responsabilités associées à l’exercice du pouvoir, leurs aspirations bien humaines et concrètes, elles, nous relient toutes et tous. Votre article donne un visage concret et accessible à la politique, et en cela, il constitut un service rendu à notre démocratie, qui en a bien besoin. Chapeau bas.

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