Une sortie chez Pharmaprix

Photo : pixabay

C’est par un complet hasard que je me suis retrouvé dans les allées d’un Pharmaprix à Charlesbourg samedi dernier. 

Par Georges-Albert Beaudry

Tout de suite je me suis rappelé ces vers de Michel Houellebecq : 

D’abord j’ai trébuché dans un congélateur.

Je me suis mis à pleurer et j’avais un peu peur.

Quelqu’un a grommelé que je cassais l’ambiance;

Pour avoir l’air normal j’ai repris mon avance. 

Sans avoir moi-même trébuché et fondu en larmes, j’ai été comme désorienté dans ce lieu que je connais pourtant, pour avoir visité dans mes jeunes années de nombreux établissements de cette chaîne. 

Surtout, depuis le début de la pandémie, les pharmacies sont devenues rien de moins qu’un deuxième foyer pour moi. Je me sens habituellement à mon aise dans les rayonnages, où l’on croise toujours des gens de tous âges. 

Mais samedi, quelque chose avait changé. Les flèches qui orientaient jusqu’à tout récemment le trafic dans les allées avaient été retirées. Des clients oisifs erraient donc sans but, le dos légèrement courbé, peut-être, par le poids de la liberté. Chacun croisait lentement les autres, échangeant au passage des regards brutaux qui détonnaient un peu avec la chanson qui criait dans les hauts-parleurs : « On est rendu là », de Zagata. 

Sans m’enfarger, j’ai trouvé rapidement ce que je cherchais. Dieu merci, les panneaux suspendus au plafond sont toujours là pour montrer la voie aux étourdis comme moi.

Mais le pire était à venir. Il se produisit, au moment de payer mes achats, une chose à laquelle rien de tout ce que j’ai vécu à présent ne m’avait préparé. Les caisses, appelons-les « traditionnelles », venaient d’être remplacées par des « caisses libre-service », avec écran tactile et tout. 

Avant moi, je vis deux hommes et une femme, tous les trois plutôt âgés, vivre l’expérience désagréable d’être dépassés par l’époque dans leurs tentatives infructueuses de payer leur papier de toilette, leurs grosses bouteilles de coke, et leurs peppermints,. Tout cela évidemment se faisait sous le regard plein de jugement des deux adolescents chargés de porter secours aux clients qui auraient du mal avec les machines. 

Ces deux adolescents sont sans doute, au quotidien, de vrais modèles d’initiative. Mais ils ne sont pas motivés par le petit salaire qu’ils reçoivent, ni par la bêtise des tâches qu’on leur demande d’accomplir, ni non plus par le fait que leur patron est en train d’essayer de les remplacer par des machines. Alors, si on ne leur demande pas explicitement de l’aide, ils ne prennent pas les devants, et sans approuver leur conduite, je dois vous dire que je les comprends un peu. 

Les vieux, gênés peut-être d’appeler des ados au secours, envoyaient malgré tout des signaux clairs. On les entendait souffler, à rythme régulier : « Voyons, c’est quoi ça, batinse ».

Quand ce fut mon tour, j’eus mois aussi beaucoup de mal à compléter l’opération, qui prit finalement au moins de deux à trois fois le temps que prend une transaction « normale » à une caisse opérée par un être humain.   

J’avais oublié quelque chose, mais j’ai préféré remettre ça à plus tard. Vous me remarquerez sans doute, si vous êtes là, la prochaine fois que j’entrerai dans une pharmacie. J’aurai une lanterne et je crierai à travers les rayonnages : « y a-t-il un homme ici ? »

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