Éric Bédard nous parle de l’historien Jacques Lacoursière

L'historien Éric BédardL'historien Éric Bédard. Photo courtoisie.

À la suite du décès de l’historien Jacques Lacoursière à l’âge de 89 ans survenu mardi, nous nous sommes entretenus avec Éric Bédard. 

Lui-même historien de profession, Éric Bédard nous offre le portrait d’un intellectuel « non universitaire », populaire et vulgarisateur, et nous explique les raisons de son grand succès. 

Parlez-nous un peu du travail d’historien de Jacques Lacoursière. 

« Jacques Lacoursière est un homme qui s’est consacré à la diffusion et au partage de l’histoire du Québec. Ce n’est pas quelqu’un qui se destinait à faire une œuvre d’historien classique et universitaire. Il voulait faire œuvre de pédagogue ou de « passeur ». 

Moi-même, il n’avait pas beaucoup de livres d’histoire dans ma maison. C’est à mon école primaire, à l’âge de dix ans, que je découvre par hasard le journal pédagogique « Le Boréal express » que je trouvais sympathique et ludique. Ce journal fût le premier grand succès de Jacques Lacoursière. 

Sa troisième grande réussite, après les fascicules « Nos racines », est la série télévisée du milieu des années 90, « Épopée en Amérique ». 

Il a ensuite publié « Histoire populaire du Québec » en quatre volumes qui a eu une popularité quasiment jamais vue avec environ 150 000 exemplaires vendus. 

Ces succès ont fait de lui le grand historien public du Québec. » 

Comment expliquez-vous sa réussite, proclamé « meilleur historien » par son mentor Denis Vaugeois?

« Il y a selon moi deux raisons, une formelle et une de fond. 

D’abord, Jacques Lacoursière propose une histoire récit et non une histoire problème comme la pratique les historiens à l’université. Il n’était pas un théoricien et n’avait pas étudié la discipline de l’histoire. 

Il est resté dans une histoire plus traditionnelle, inspirée par la mémoire, soit un récit cramponné à la chronologie, aux évènements et aux grands personnages. Le public aime se faire raconter une histoire sur le mode d’un récit. 

Jacques Lacoursière a fait cela spontanément et ça a marché, car il y avait une attente du public qui n’était pas comblée par les historiens universitaires ayant tournés le dos à la mémoire. »

Comment son travail d’historien s’articule par rapport à son amour pour la littérature? 

« Jacques Lacoursière s’inscrit en un sens dans la grande tradition romantique du XIXe siècle. C’était lorsqu’un grand historien était aussi un grand écrivain, avant que la dimension littéraire de l’histoire soit discréditée au profit d’une figure sérieuse et scientifique de l’historien. 

Cela a été à mon avis une erreur, car on s’est éloigné du public. L’avis du collègue est devenu plus important que l’avis du public. 

Jacques Lacoursière vivait grâce au public. Spontanément, il a cherché à le gagner par une belle prose, par un récit enlevant et captivant. Cela allait de soi pour lui. Il y avait une forme de divertissement pour lui dans la quête de la connaissance. 

Je rêve qu’on puisse faire à nouveau les deux : être à l’université et avoir un souci pour la forme, pour dépasser le cercle de nos étudiants et de nos collègues. » 

Peut-on dire que la démarche de Jacques Lacoursière avait aussi une certaine dimension séductrice ou politique?

« Jacques Lacoursière a cherché moins à expliquer qu’à raconter. Ce faisant, il a peut-être pu éviter des controverses ou s’épargner des polémiques. 

Il nous racontait l’histoire sans vouloir nous convaincre d’une thèse, ce qui le distingue d’un historien de métier. 

Il y a certainement à travers son travail de vulgarisation et d’écriture une vraie forme d’engagement pour le Québec, mais non partisane ou militante.

Son engagement est plutôt rassembleur. Il visait à nous rendre fiers, mais il n’a jamais revêtu les habits de l’intellectuel engagé qui va au front pour défendre telle ou telle cause.

Jacques Lacoursière s’en tenait à répondre à la question « que s’est-il passé ». Il ne fallait pas lui demander « quoi penser de ce passé ». »

Que pensez-vous du fait de tomber dans la deuxième question, soit de demander l’avis de l’historien ou « quoi penser »? 

« C’est normal qu’on se pose ces questions et que des historiens tentent d’y répondre. 

Le plus célèbre exemple est celui de la Conquête de 1760. Il y a eu une grande querelle concernant cet évènement auprès des historiens. Ceux plus nationalistes disaient que la Conquête avait été un évènement déterminant dans l’histoire au sens tragique et négatif. 

D’autres historiens disaient qu’elle n’était pas si importante et que s’il y a eu des problèmes par la suite, c’est à cause des élites canadiennes françaises du XIXe siècle, trop conservatrices. 

Cette deuxième question du « quoi penser » est captivante et normale. Mais Jacques Lacoursière était l’historien qui n’y répondait pas. 

Pendant qu’on a des querelles concernant la signification de l’histoire, parfois on oublie d’étudier les évènements. C’est un peu cela que je crains parfois. » 

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