Au-delà des clichés usés

David LemelinDavid Lemelin (Photo : Archives Carrefour de Québec)

Quoi de mieux que de dire qu’il faut «dégraisser» l’appareil de l’État. Le chef de l’opposition à Québec, Jean-François Gosselin, ne se prive pas des clichés : il les aligne, les uns après les autres, se faisant écho de ce qui se dit à la radio. Si la radio le dit…

Il réclame donc un «dégraissage» et voudrait qu’on profite du départ massif de fonctionnaires à la retraite au cours des prochaines années. Il dit qu’il y a «trop de gestionnaires». 

Bon. 

Ça me rappelle une entrevue hallucinante que j’avais eue avec un candidat à la mairie, en 2007. À l’époque, Christian Légaré, propriétaire du «Coin de la patate» et ancien conseiller municipal de Saint-Émile, proposait lui aussi le «dégraissage» chez les cadres. Il y avait à l’époque 380 cadres, disait-il, et il promettait, s’il était élu, de n’en conserver que 80. Ça fessait fort en sauce à poutine, disons. 

Ça venait d’où, ce chiffre? De quelle analyse? De quel calcul?

D’aucun. 

Exactement comme les «centaines de postes» que souhaite couper le chef de Québec 21. Ça vient de quelle analyse? De quel calcul?

D’aucun.

C’est difficile en politique d’avancer des propositions quand on n’a pas la connaissance nécessaire pour évaluer correctement ce qui se passe. Alors, on s’accroche aux clichés comme à une bouée. C’est facile, c’est pas engageant, ça donne l’impression de sérieux et du désir de saine gestion.

Pour avoir eu les deux pieds dans une administration municipale pendant 4 ans, je peux vous dire que c’est pas comme ça que ça marche. Autrement, ce serait comme de conclure que la direction générale et les gestionnaires VEULENT exagérer, font exprès pour engager des gens. 

Or, c’est faux. 

On engage un fonctionnaire lorsqu’il y a un BESOIN. Pas de faire un cadeau à un chercheur d’emploi, pas de gonfler la masse salariale pour le plaisir ni d’ajouter un travailleur au membership syndical. Mais, parce qu’il y a un service à offrir, un travail à faire, une relève à assurer. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas besoin de réviser la taille de l’appareil administratif (d’ailleurs, les directions doivent suivre à la trace l’évolution de leur personnel) ou qu’on ne l’échappe jamais, mais ça veut dire qu’en gros, ce qu’on vise c’est de répondre à la demande et aux besoins. 

Le directeur général de la Ville, Luc Monty, affirme que le travail a été fait et qu’en tenant compte de la croissance de la population, le nombre d’employés municipaux a diminué (5261 équivalents temps complet en 2008 contre 5116 en 2020, sur un total de 7300). Pour l’avoir vu de mes yeux : ça peut ressembler à de la jonglerie, à un jeu d’équilibriste pour maintenir avec des employés à temps partiel et autres moyens une masse d’employés à peu près au même total. Mais, pourquoi? Pour le «fun»?

Pour répondre à la demande et aux besoins.

Ainsi, avant de «pitcher» un chiffre au hasard de «centaines d’emplois» à couper, il faut évaluer les besoins, les attentes de la population et nos capacités financières. À ce chapitre, la Ville est chanceuse : ça roule. La santé financière est indéniable, la construction va bon train (c’est assez visible, mettons), les taux sont encore bas. Donc, la Ville veut profiter de ce contexte favorable pour investir, engager. 

Pour ce faire, les administrations municipales vont, en général, fixer une cible à ne pas dépasser. À Québec, on veut maintenir la masse salariale sous les 40 % du budget. On est à 37 %. Est-ce une cible arbitraire? Un peu. C’est d’expérience que les administrations en arrivent à la conclusion qu’en deçà de 40 %, «ça se gère». Et l’objectif est toujours le même : répondre à la demande et aux besoins.

Mais, on a «trop» de gestionnaires, y parait, comme me le disait le restaurateur candidat en 2007? 

Encore là, il faut ne pas avoir mis les pieds dans une administration municipale pour continuer d’user ce cliché. Il est possible qu’un gestionnaire se la coule douce, comme dans tous les milieux de travail, comme l’humain en est capable. Toutefois, pour l’avoir fait moi-même, un cadre gère du personnel, fait des suivis, assure qu’on n’échappe rien (ou le moins possible), fait de la planification, gère des budgets, rend des comptes à son supérieur et aux élus, etc. Etc. 

Et, en général, quand on enlève un cadre… on coupe un fil. On perd des suivis, on rend la reddition de compte plus compliquée, il devient plus ardu de garder le contrôle sur la «machine». Bref, ceux qui disent qu’on peut couper des cadres comme bon nous semble… ne savent pas de quoi ils parlent.

On dira que l’objectif est de préserver les services de proximité. Oui. Ça, ça parait toujours bien. Mais, ça prend quelqu’un pour gérer les services, ça prend quelqu’un pour encadrer, pour assurer des suivis et rendre des comptes. Ça prend quelqu’un pour calculer, remplir les demandes et la «paperasse». Parce qu’il faut rendre des comptes à la population.

Et ça, c’est de la saine gestion.

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