Elle est partie par un soir de verglas

Quoi qu'on dise par Martin ClaveauMartin Claveau (Photo : archives Carrefour de Québec)

Je n’ai jamais été un grand admirateur des chats. Je trouvais ça futile de dépenser autant d’argent pour un animal de compagnie. Quand ma blonde a emménagé il y a une dizaine d’années, je me suis retrouvé dans une situation où je devais faire une place à une chatte, pour le moins particulière, du nom de Titine. Allergique et distant au départ, je me suis développé des anticorps et j’en suis venu à la tolérer.

Méfiante à mon endroit, Titine a mis du temps à se laisser apprivoiser. Quand ce fut fait, elle poussa l’audace jusqu’à se coucher sur moi lorsque nous regardions la télé. Puis, elle s’est mise à me témoigner fréquemment d’autres marques d’affection. À ses meilleures années, elle est carrément devenue la reine de notre maison. Pas une de ses souveraines qui doit besogner pour son royaume. Non, une vraie princesse à qui tout est dû de droit divin bien sûr. Boudeuse après nos absences, nous nous sommes habitués à ses petits miaulements d’insatisfaction. Un brin sauvage, elle a détruit, tous les cadres de portes de mon ancien appartement avec ses griffes. Pour plusieurs, ça aurait été la goutte qui aurait fait déborder le vase, mais pas pour nous. Nous y étions trop attachés.

Lorsque notre fille est née, elle s’est sentie menacée, mais s’est bien adaptée à cet intrus qui empiétait joyeusement sur son royaume. Dans les dernières années, c’est cette même petite fille qui lui accordait le plus d’attention et la chatte le lui rendait bien. Avec dépit, elle se laissait, à répétition, prendre et traiter comme une poupée.

Titine a pratiquement toujours été un chat d’intérieur et notre fille nous a convaincus de la laisser sortir sur la galerie. À bien y penser, cela eut sans doute l’effet pour elle d’un doux été indien sur l’automne de son existence.

À vrai dire, je me suis tellement attaché à ce maudit chat que je me suis mis à lui rédiger des aventures fictives dans les annonces classées du journal, il y a quelques années. L’idée venait de mon époque à l’Université Laval. Mon ami, Daniel Germain, aujourd’hui journaliste pour Les Affaires, rédigeait alors les aventures de sa chatte dans les pages du journal étudiant Impact Campus.

Toujours est-il qu’à l’âge vénérable de 18 ans, Titine, le Chat chanceux des annonces classées du Carrefour a rendu l’âme la semaine dernière par un soir de verglas. Ses derniers jours ne furent pas faciles. Sourde, elle ne s’entendait plus si bien qu’elle miaulait parfois si fort que ça en était désagréable. Nous avons hésité longtemps avant de mettre fin à son existence. Ce n’est pas tous les jours qu’un citadin humaniste comme moi est confronté à la sombre perspective de mettre un terme au jour d’un être plutôt attachant et qui vous fait entièrement confiance de surcroît. Sous des dehors parfois féroces, quand on lui cherchait noise, Titine dissimulait une douceur immense et percevait bien les intentions des gens et leurs motivations à l’image de sa maîtresse.

Sa principale qualité aura été bien sûr d’être là et de nous tenir compagnie, mais je soulignerai ironiquement ici aussi sa profonde… humanité, car elle m’aura fait réaliser qu’on peut parfois s’attacher à quelque chose ou quelqu’un qu’on déteste profondément au départ. Pour peu qu’on se donne la peine de faire un effort.

L’histoire et la vie de Titine, le Chat chanceux ne sont pas bien différents de celles de ces millions d’animaux domestiques pour lesquels nous dépensons collectivement des milliards de dollars chaque année, mais cette chatte fut la nôtre. Pour peu que ce soit ridicule, ça l’a rendue bien spéciale pour nous.

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