Olivier Bernard : Un 3e livre pour Le Pharmachien

Olivier BernardPhoto: Marie-Claude Boileau

Québec — Le passage d’Olivier Bernard alias Le Pharmachien à Tout le monde en parle en 2016 avait suscité beaucoup de réactions. Les nombreuses affirmations entendues par la suite l’ont poussé à s’intéresser au raisonnement de l’esprit. Les résultats sur ses recherches sont publiés dans son 3e livre, La bible des arguments qui n’ont pas d’allure.

Par Marie-Claude Boileau

Pourquoi sortir un troisième tome?

En fait, je n’étais pas sûr que je voulais en faire un autre. Après mon deuxième livre, j’ai dit : «vous allez devoir me ressusciter pour que j’en écrive un troisième». Le second avait été vraiment dur à écrire. Celui-là au contraire, il m’est venu naturellement. Il m’a «poppé» dans la tête. J’ai plongé dans la thématique, les arguments qui n’ont pas d’allure. Surtout la dernière année après mon passage à Tout le monde en parle, il y avait eu toutes sortes de monde qui disait toutes sortes d’affaires et je me disais : «Mon Dieu, il y a don ben des discours bizarres là-dedans.» La thématique des arguments qui n’ont pas d’allure, «ça m’a allumé.» Je voulais faire une thématique au complet là-dessus.

Est-ce que ce sont des arguments liés à la santé?

Pas nécessairement. En fait, ce sont des erreurs de raisonnement qui sont présentes dans toutes les sphères de la vie. Je donne des exemples qui sont en lien avec la santé et la science en général, mais on les retrouve dans plein de discours.

Quels sont les arguments qui n’ont pas d’allure?

Ça porte des noms techniques comme sophismes, les biais cognitifs, les arguments fallacieux. C’est comme lorsque tu discutes avec une personne ou que tu lis un texte sur Internet et qu’il y a un petit quelque chose dans ta tête qui te dit «il y a de quoi là dedans qui est bizarre. J’ai comme un doute, mais je ne sais pas pourquoi, un peu comme le 6e sens, mais je ne suis pas capable de mettre des mots là-dessus.» Ça, ça porte des noms. Il y a des signaux d’alarme comme ça qu’on a lorsqu’on entend des affaires et c’est ça que je mets en mot et en catégorie dans le livre pour qu’on puisse les reconnaître.

As-tu des exemples?

La médecine traditionnelle chinoise a fait ses preuves parce qu’elle existe depuis 4000 ans. Quand tu entends ça, tu te dis «ben oui, c’est vrai. Ça fait tellement longtemps qu’elle existe, elle n’a pas le choix d’être bonne.» C’est un argument de tradition. Parce que quelque chose est ancien, ça veut dire que c’est encore bon. La réalité est que plusieurs choses qui se faisaient à l’époque n’étaient pas efficaces ou étaient carrément dangereuses. Autre exemple, l’idée de dire que quelque chose est naturel. Présentement, c’est la mode de mettre 100% naturel sur une affaire. Mais la majorité des substances cancérigènes sont naturelles.

Est-ce que tu as fait des recherches?

Énormément. Je n’ai jamais fait autant de recherche pour quoi que ce soit. C’est de loin le projet qui m’en a demandé le plus. Je ne connaissais pas beaucoup ça, l’étude du raisonnement humain. J’ai lu là-dessus. J’explique dans le prologue qui s’appelle Le Détecteur de bullshit qu’il y a plein de sujets santé qui sont à la mode, comme le lait, le gluten, les OGM, le cancer et l’industrie pharmaceutique, puis prenons ces sujets et allons voir les arguments qui ont de l’allure et lesquels n’en ont pas. Ç’a été assez facile. J’aurais pu écrire le double. Parce que les exemples, il y a en a à l’infini.

Dans le fond, dans une ère où l’information est omniprésente, on doit remettre en question ce qu’on lit ou entend parce qu’une journée le lait c’est bon sur la santé, puis le lendemain, c’est le contraire.

Oui. Le monde est mêlé et avec raison. On entend dire : des études ont démontré que le lait augmente le risque de cancer. Déjà là-dedans, il y a des affirmations qui devraient nous allumer des petites lumières. Des études… il y en a combien, quels types d’études, mais surtout qu’est-ce que l’ensemble des études démontrent? Moi, qu’il y ait trois études qui démontrent que le lait risque de causer le cancer de la prostate par exemple, c’est bien le fun, mais que disent les autres? Parce que s’il y a trois études qui disent ça, il peut y avoir 97 autres qui disent le contraire. Mais c’est malheureusement, c’est toujours comme ça sur Internet et les médias : une étude dit telle chose.

C’est plus vendeur de dire que le lait est cancérigène. Le commun des mortels n’a pas le temps d’aller fouiller ailleurs ou de lire d’autres recherches.

Et ils ne le peuvent pas. C’est ça le pire. Moi-même, j’ai fait une revue littéraire sur le lait et à un moment donné, j’ai abandonné. C’est trop complexe. J’ai fait appel à des experts, je suis allé voir du monde qui connaisse ça et finalement, tu apprends que peut-être que le lait augmente certains risques de cancer, mais peut-être qu’il diminue le risque de d’autres. Un exemple que je cite dans le livre et que je trouve très drôle et en même temps je ne veux pas rire des gens qui pensent comme ça parce que ça plait à l’esprit, c’est lorsqu’on nous dit que l’humain est le seul mammifère à boire le lait d’une autre espèce. Une vache, ça ne boit pas le lait d’un ours alors pourquoi l’humain boirait-il le lait de vache? C’est un autre argument qui n’a pas d’allure. On dit : ah les animaux font pas ça dans la nature. Mais il y a plein de choses que les animaux font ou ne font pas qui ont aucun bon sens en lien avec nous. Il n’y a aucun animal qui fait cuire ses aliments ou qui fait pousser ses propres légumes ni aucun qui fait du skateboard. Se comparer avec des animaux est une très mauvaise idée. C’est une mauvaise analogie.

Est-ce que ça fait du bien de sortir de l’univers de la pharmacie?

Vraiment. Surtout que mon deuxième livre était 100% dans le domaine de la pharmacie. Il parlait des remèdes qui marchent et ceux qui ne marchent pas. C’est mon bouquin le plus proche de la pharmacie. Mais j’ai un intérêt pour la vulgarisation scientifique et la sensibilisation à l’esprit critique en général. Lorsque je sors de mon domaine, je travaille avec des spécialistes parce que je n’ai pas toutes les connaissances. D’ailleurs, des scientifiques qui disent n’importe quoi, il y en a des tonnes. À qui peuvent faire confiance les gens? Je n’ai pas le choix de dire qu’il faut développer son esprit critique. Il faut que tu aies ça en premier sinon tu vas te faire avoir par un paquet d’autres affaires. Si je parle juste de la pharmacie, ils vont se faire avoir pareil. Si je leur enseigne à se poser les bonnes questions, peut-être que ça pourra prévenir ça.

Mais est-ce que tu dis la vérité?

Je dis tout le temps aux gens : ne me faites pas confiance. Quelque chose qui me fait incroyablement de la peine c’est lorsque je vois quelqu’un sur Facebook écrire : «le Pharmachien a dit ça, tu devrais le croire, c’est lui qu’il l’a dit». C’est ce qu’on appelle un argument d’autorité. C’est de faire trop confiance à une personne. Si telle personne a un diplôme ou autre, elle devient un modèle. Je ne veux pas que les gens me croient sur parole. J’enseigne aux gens à se poser les bonnes questions. D’ailleurs dans le livre, lorsque je parle du lait ou du gluten, je ne dis jamais si c’est bon ou non. Ce n’est pas à moi de dire ça. J’explique aux gens quels sont les arguments qui n’ont pas d’allure et quelles sont les bonnes questions à se poser. Si les gens peuvent développer leur esprit critique, ils n’ont pas besoin de moi après pour que je leur dise si ça est vrai ou non.

Quel est l’argument qui t’insulte le plus?

Il y en a plusieurs. Je vais t’en donner un dans le livre lié à la santé. L’idée qu’il existe un remède pour le cancer, mais qu’il est gardé secret parce que l’industrie et les forces de la santé ne veulent pas vraiment que ça sorte… je trouve ça insultant. Comme si un oncologue avait étudié pendant 20 ans pour à la fin garder les remèdes efficaces secrets. C’est tellement… mais en même temps, je ne peux pas blâmer les gens de penser ça. Je les comprends d’être méfiants. Les théories de conspiration ça existe. C’est vrai que l’industrie a fait des choses horribles. Pas juste en pharmaceutique, mais du tabac, d’alcool, etc. Mais c’est dommage parce qu’il y a des gens qui ne traitent pas leur cancer avec des traitements efficaces. Ils vont aller se faire traiter en Floride dans des instituts de médecine holistique où ils vont te faire jeuner pendant deux semaines et te donner des cures de jus. Ces gens-là sont tous morts.

Ces croyances qui sont ancrées chez certaines personnes comment fait-on pour les changer?

On ne peut pas. Je pense que ces croyances sont là pour rester. L’histoire des vaccins qui causent l’autisme, ça va rester là. Souvent, je me fais demander par des professionnels de la santé qui me disent quand ça va arrêter? Je leur dis jamais. Ça fait 15-20 ans que c’est sorti. On sait depuis au moins 10 ans que c’est de la bullshit, que c’était une fraude scientifique, mais ça va rester là. Ce qu’on peut faire, c’est développer son esprit critique. Si les gens étaient plus sceptiques, peut-être qu’ils n’embarqueraient pas dans des affaires comme ça. C’est mon hypothèse.

Devrait-on poser plus de questions aux pharmaciens?

Oui. C’est le plus accessible. Et même avec ton médecin, ce sont des rendez-vous de quelques minutes. Beaucoup de gens s’informent sur leur santé sur Internet, je trouve ça bien. J’encourage les gens à lire tout ce qu’ils peuvent et après d’aller à la pharmacie pour poser les questions et démêler ce qui a du bon sens et non. On aime ça faire ça. Pourquoi pas ne pas utiliser la ressource? Bientôt d’ici quelques années, on va être aussi dur à voir que les médecins.

Pourquoi?

À cause de deux raisons. Un, il y a eu beaucoup de coupures faites par le gouvernement dans les subventions qui sont données aux pharmacies, le système de médicament, etc. Plusieurs pharmacies ont diminué leurs heures et leur personnel, etc. Le deuxième point est que les nouveaux rôles des pharmaciens comme la prescription. Si je veux prescrire un médicament, je dois faire une consultation d’au moins 15-20 minutes. Mais pendant ce temps, ça m’enlève du temps pour faire autre chose. On va devenir de plus en plus solliciter. C’est là qu’il faut en profiter là, pas dans 5 ans.

Pourquoi as-tu choisi d’étudier en pharmacie?

Le hasard. Je ne sais pas en quoi étudier. Mes trois choix étaient la pharmacie, le droit et le génie agroalimentaire. Je me suis dit que la pharmacie était un mélange de chimie et de santé. Ça avait l’air le fun. Mais je n’ai pas commencé à aimer ça avant la troisième année. J’ai détesté les deux premières. À la troisième, lorsqu’on a commencé à parler des patients, que c’est devenu humain, c’est là où j’ai aimé. La théorie, ça ne me plaisait pas.

Comme es-tu passé de pharmacien à vulgarisateur?

C’est un accident. J’avais une job temps plein. J’ai toujours aimé la communication. À un moment donné, je me suis dit que je pourrais lancer un blogue. C’était à la mode en 2012. J’ai commencé par une vidéo et j’avais trouvé ça tough. Je me suis dit que je pourrais essayer de dessiner. Les premiers étaient horriblement laids. Ils étaient faits avec PowerPoint. À un moment donné, le blogue est devenu populaire. J’étais sûr qu’après 6 mois, j’allais tout lâcher. Je me sens privilégier.

Pourquoi as-tu choisi la BD pour vulgariser?

Parce que j’aime ça apprendre de cette façon. Quand j’étais jeune, il y avait une émission à la TV qui s’appelait Il était une fois la vie. C’étaient de petits bonshommes qui se promenaient dans le corps humain. Ils expliquaient pourquoi les anticorps sont blancs, etc. Quelle belle façon d’apprendre! Encore aujourd’hui, quand j’essaie de me souvenir de quelque chose, je pense à cette série. C’est la preuve que des images et des bonshommes amusants et drôles, ça marque l’imaginaire. J’essaie d’apprendre des choses aux gens comme moi j’aimerais qu’on m’enseigne.

Continues-tu avec ton blogue?

J’en ai fait beaucoup moins. La dernière BD que j’ai publiée c’était en janvier. Ce n’est pas par manque de désir. J’ai la série télé, mes livres, je donne beaucoup de conférences pour le grand public, pour les associations médicales, etc. À un moment donné, je manque de temps. Mais je ne sais pas combien de temps ça va durer mes affaires de Pharmachien. Peut-être qu’il n’y aura plus d’autres livres ou série télé l’année prochaine, mais le blogue va toujours rester actif. Éventuellement, je vais toujours me rabattre vers ça. C’est là que ça a commencé et que ça va continuer. Aussitôt que je vais avoir du temps… J’ai tellement d’idées. J’ai des projets pour à peu près 15 BD. Je n’ai juste pas le temps de les faire. J’en ai 4 qui sont à moitié faites.

Fais-tu encore de la pharmacie?

Oui. Je travaille plus l’été. Je remplace des congés parentaux, des vacances, etc. L’automne et l’hiver je suis plus dans mes autres projets de télé et livre.

Quel genre de petit gars étais-tu?

Un nerd. Un petit gars qui jouait au Nintendo. J’aimais lire, j’étais le chouchou du prof. Je devais être vraiment gossant pour les autres. J’étais très gêné, très solitaire, pas sportif. J’avais un surplus de poids. J’étais dans une école religieuse. Je me souviens d’avoir dit à un de mes profs : «ce que vous nous enseignez dans les cours de religion, ça ne fonctionne pas vraiment quand tu considères les fossiles de dinosaure». J’avais été en pénitence.

Que fais-tu pour te changer les idées?

Je suis un maniaque de plein air. Je fais des randonnées. Chaque année, je pars faire deux semaines de plein air avec mon sac à dos et ma tente. Je suis dans ma tête. C’est souvent là que mes idées de livre me viennent. J’ai besoin de ça pour décrocher.

Où as-tu fait tes plus belles randonnées?

Au Groenland. C’est ma place préférée sur la planète.


On peut lire Le Pharmachien sur son blogue au lepharmachien.com. On peut également le suivre sur sa page Facebook. Son émission, Les aventures du Pharmachien, sont disponible sur Ici Tou.tv et diffusé à Ici Explora. La deuxième saisons sera diffusée à compter de décembre prochain. Son troisième livre, La bible des arguments qui n’ont pas d’allure, paru aux Éditions Les Malins est disponible dans les libraires.

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