Impressions citadines par Catherine Dorion : Ailleurs qu’avec les islamistes

Ailleurs qu’avec les islamistes

On a tous ausculté, sur quelque photo, le visage de l’un d’eux. Jeunes adultes qui s’enrôlent pour mourir en martyr dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Et qui se font filmer en train de décapiter un autre homme, sachant que la vidéo fera le tour du monde, un peu comme un fils de médecins qui aurait manqué d’amour déciderait de se faire tatouer une tête de mort dans la face juste pour ne pas donner à ses parents la satisfaction de le voir devenir ce qu’ils attendaient de lui.

Un individu face à sa société, qui lui dit « va chier, fuck it » et qui laisse toute ça là. L’ivresse d’un doigt d’honneur dans lequel il jette tout le poids de son existence.

Sur les 16 000 djihadistes étrangers qui se battent en Syrie et en Irak, 2500 sont des occidentaux – un record jamais atteint lors de conflits précédents. Là-dessus, une cent-cinquantaine de Canadiens, des cas isolés, dira Harper qui, s’il veut faire peur au monde pour passer ses lois antiterroristes et ses dépenses militaires, ne veut quand même pas donner l’impression qu’État Islamique (EI) est à la mode. Mais quoi de mieux, pour le nouvel ennemi numéro un de l’Occident, que ces jeunes canadiens éduqués et à l’aise devant la caméra pour prouver au monde la force de leur pouvoir de séduction? Bien sûr, le SCRS suivra désormais de près ceux qui visiteront trop de sites djihadistes et la propagande islamiste est déjà, autant que faire se peut, censurée sur le web. Mais peut-être que la défection de ces jeunes hommes ne dépend pas uniquement de la beauté léchée et de l’efficacité rhétorique des vidéos d’EI?

Tous les analystes sont d’accord là-dessus : les moudjahidine occidentaux sont des gens qui ne trouvent pas de sens dans leur société et qui ont découvert dans le djihad un système de valeurs clé en main, un système fermé où tout prend sa place et dans lequel ils peuvent enfin jouer un rôle valorisant. Peu importe que ce système soit sanguinaire, il possède ce qui manquait cruellement à leur vie : de la cohérence. Une cohérence débile, mais une cohérence. Des valeurs, des règles de conduite, des actions collectives qui suivent une logique. Probablement une camaraderie. Une fierté de vivre pour quelque chose, de donner sa vie pour quelque chose.

Et si notre système de sens à nous ne remplissait plus ses promesses de cohérence minimale? Et si cette culture de consommation, de compétition et d’individualisme avait si peu à voir avec les valeurs enseignées par nos parents et grands-parents que de plus en plus de gens en étaient devenus tout mêlés? « Mêlé » c’est le mot qu’utilise, dans un documentaire de Pierre Perreault, cet Innu de la Romaine qui a passé son enfance dans un pensionnat de Sept-Îles à se faire dire que sa culture ne valait rien et qu’on allait la remplacer par une autre, meilleure. Je suis en ce moment à Nutakuan, où travaille le papa de mon petit bébé, une réserve innue pas très loin de La Romaine. Et me vient tout à coup, en regardant par la fenêtre, un mouvement de compréhension. C’est donc ça, une société qui se démanche.

Il faudra bien que la gauche se relève un jour et se remette à défende les cultures, qu’elle les sorte de leur coma néolibéral, qu’elle leur donne le goût de se battre, et ailleurs qu’avec les islamistes.

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