Impressions citadines : Accoucher en retard

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

Il y a quelque chose de la torture psychologique dans le fait d’être en retard à son accouchement. Selon les calculs des analystes, j’aurais dû accoucher hier. Selon mes prédictions à moi, j’aurais dû accoucher bien avant : ma première est arrivée dix jours avant la date et je trouvais que c’était bien ainsi, c’est une valeur de l’époque : plus efficace, plus vite, plus tôt. C’est mieux. Ma première sera une première de classe, m’extasiais-je inconsciemment. Et là, que faut-il que j’en déduise? Ma seconde sera une vedge, une qui lambine derrière alors que tout est prêt pour le départ? Culture de performance, quand tu nous tiens jusque-là…

On ne sait pas ce qui déclenche l’accouchement naturel. Tout peut sembler prêt et pourtant, quelque part, ça décide que non, qu’il faut encore quelques jours, encore une semaine.

Demain j’aurai mon premier rendez-vous de maman retardataire. Mon médecin est sûrement la plus cool qu’on puisse trouver à Québec pour un suivi de grossesse. Cependant, parce qu’elle fait comme moi partie de cette culture-là, elle me suggérera fortement de déclencher mon accouchement à 41 semaines de grossesse, dans six jours. Si les techniques « naturelles » ne fonctionnent pas, ça veut dire me faire allonger sur un lit, me brancher pour la durée de l’accouchement sur un soluté contenant de l’oxytocine, qui déclenchera des contractions (plus fortes et plus douloureuses que celles qui me seraient venues naturellement). J’aurai aussi à porter une espèce de grosse ceinture noire contenant deux capteurs qui seront liés par des fils à un ordinateur. Ainsi amanchée, je ne pourrai pas me mettre à quatre pattes, par terre, debout, assise sur le fauteuil, couchée sur le côté puis de nouveau à quatre pattes, puis dans le bain et ensuite comme ça me chantera, comme pourrait avoir envie de le faire une femme qui va faire passer un truc aussi gros par un tunnel aussi petit.

Ça sera donc moins facile; je demanderai peut-être l’épidurale, abandonnant aux infirmières et au médecin le soin de me dire quand pousser parce que j’aurai privé mon corps des sensations qui déclenchent cet incroyable réflexe de poussée qui expulse le bébé sans que ma volonté ait un quelconque rôle à y jouer. Ce moment de l’existence où mon corps reprend ses droits de maître suprême, ce moment qui figure sûrement parmi les plus intenses qui me seront donnés à vivre entre ces deux extrémités que sont ma propre naissance et ma mort, ce moment magique, animal, j’aimerais le vivre sans en manquer une seule goutte. Mais le tic-tac m’empoisonne la tête : encore six jours de grâce, après quoi… je devrai m’abandonner aux bons soins de la médecine. Évidemment, nous ne voudrions pas nous passer d’elle. Mais je pense quand même aux femmes des tribus sans médecin qui, sans dernière date de menstruations et sans date d’accouchement, donnent naissance sans impatience, dans la douce lenteur des sages.

(Moins d’une heure après avoir terminé d’écrire cette chronique, les contractions m’ont prise à 20h21. À 23h15, ma deuxième fille émettait son premier petit cri d’animal.)

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