Impressions citadines : Vers les usines de la grand-ville

Catherine DorionCatherine Dorion

Il est resté parce que c’est ici qu’il veut vivre, ici que vivent sa blonde et son fils. Mais le questionnement n’est pas parti. «Ma carrière est constamment ralentie par le fait de vivre à Québec», dit-il.

Jeremy Peter Allen, réalisateur et scénariste, a résisté à plusieurs cycles de départs. À peu près à chaque cinq ans, une nouvelle gang de professionnels du cinéma arrive à maturité dans la ville : ils ont prouvé leur talent à travers des courts-métrages et des documentaires qui ont fait le tour du monde. Puis… impossible d’aller plus loin, il n’y a pas une cenne pour eux. Alors ils louent chacun un U-Haul, y fourrent leur futon, leur frigo et leurs caméras et foutent le camp à Montréal. Peut-on les blâmer? À Montréal, ils feront enfin les contacts qu’il faut à leur nécessaire ruée vers les subventions.

Les décideurs de la SODEC, qui ont la responsabilité de distribuer les 35 millions que le Québec alloue chaque année au cinéma et à la télé, sont tous montréalais sans exception. Ils verseront 95% de l’argent à des projets de l’île de Montréal, où ne vit qu’environ 25% de la population du Québec et où ne palpite que l’une des multiples facettes de la culture québécoise. Oui : 95% de cet argent qui, lui, provient de tous les racoins de la province.

Financer le cinéma québécois avec des fonds publics est un choix politique – nous l’avons fait parce que nous voulons un cinéma qui nous exprime à nous-mêmes et au monde entier. Mais est-ce un choix conscient que de n’exprimer qu’une partie tout à fait parcellaire de notre culture? LA SODEC dit que ce n’est pas sa faute si les meilleurs projets viennent tous de Montréal. Une équipe de Québec s’était un jour fait répondre que leur film ne serait pas financé parce que leur actrice principale ne dégageait pas assez. Cette actrice s’appelait Hélène Florent, elle allait bientôt déménager à Montréal et péter tous les écrans avec son éclat. Étaient-ils pourris, aussi, avant de quitter Québec, Ricardo Trogi, Francis Leclerc (Mémoires affectives, Apparences), Jean-François Rivard (Les Invincibles, Série noire), la gang de Phylactère Cola, Céline Bonnier, Normand Daneau et les autres? Que serait Québec si ses professionnels du cinéma (et des arts et des communications en général) n’étaient pas systématiquement succionnés vers une métropole déjà surchargée d’artistes? Que serait le cinéma québécois s’il pouvait être aussi autre chose qu’un cinéma montréalais?

On admettra qu’il y a quelque chose d’hypocrite – ou, au  mieux, de franchement naïf – dans les interrogations de ces artistes de Montréal qui demandent à ceux de Québec : « Il n’y a personne dans votre coin pour contrer cette poussée de la droite populiste? Où êtes-vous, défenseurs de la culture, artistes de Québec? » Où ils sont? En train de faire leurs boîtes pour Montréal comme des cultivateurs sans le sou s’en iraient vers les usines de la grand-ville. Non pas par envie, ni parce que les radios les font trop chier. Ils auraient bien aimé, d’ailleurs, rester ici pour vous rendre compte de ces choses que vous ne saisissez manifestement pas mais qui incarnent autant que vous le Québec de cette première moitié de vingt-et-unième siècle.

Jeremy, avec d’autres travailleurs du cinéma de Québec, le maire et des proches de Robert Lepage, ont récemment rencontré la SODEC pour exiger qu’un milieu du cinéma puisse survivre et créer à Québec. La SODEC montre peu d’ouverture. Mais elle n’est pas une compagnie privée. S’il le faut, ils feront pression plus haut. (Mais la force d’inertie reste grande. Ça fait 20 ans que Jeremy Peter Allen milite pour que ça change. «Un jour, dit-il, j’en aurai pus, d’énergie, et je partirai aussi.»)

  1. Bonjour, je crois que vous vous trompez de cible quand vous décriez « l’hypocrisie » des artistes montréalais. Les artistes ne sont pas la SODEC. Que l’organisme ne fasse pas son travail, c’est une chose, mais il ne faudrait pas oublier que la très grande majorité des artistes, qu’ils soient montréalais ou d’ailleurs, ne sont PAS financés et vivent les même problématiques que ce que vous décrivez.

    « Ils auraient bien aimé, d’ailleurs, rester ici pour vous rendre compte de ces choses que vous ne saisissez manifestement pas mais qui incarnent autant que vous le Québec de cette première moitié de vingt-et-unième siècle. » Désolé ma chère, mais je saisis les choses aussi bien que vous et ce n’est pas ce genre de commentaire typique de traumatisé (« On incarne le Québec autant que vous, okéy! ») qui va ouvrir un dialogue ou rendre compte de la réalité des artistes. Ce n’est pas les artistes qu’il faut attaquer. Ceux de Montréal ont autant de misère et ont aussi faim que ceux de Québec, je peux vous le garantir! Une croisade pour une ouverture de la SODEC, soit. Mais il faudrait éviter de tirer des rafales dans tous les sens et d’écorcher ceux qui combattent du même côté que vous.

  2. @Antoine Joie, N’empêche, n’y-a-t-il pas un certain consensus contagieux dans le milieu culturel montréalais qui dit « (tout ce qui est professionnel, gros budget, sérieux et crédible) C’est à Montréal que ça se passe »? Si les artistes crèvent de faim à Montréal, pourquoi ne pas venir le faire à Québec?

    Les groupes et artistes de la musique le vivent, et le milieu du cinéma/TV fait figure d’amateur malgré un bassin de talent important.

    L’horizon peut paraître dorée pour les gens entreprenants, puisque tout reste à faire à Québec, mais faut-il encore que les bâtons tels que l’exode, les préjugés et le bas de la liste prioritaire des instances subventionnaires ne soient pas dans les roues de la production, de la création et de la diffusion.

    N’a-t-on pas un populaire festival de cinéma dans un centre-ville sans cinéma, où l’on doit vivre l’ouverture dans la salle la moins adaptée à cet art dans laquelle j’ai pu m’asseoir, c’est-à-dire le Capitole? Belle métaphore pour l’état des choses.

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