Impressions citadines : Walmart

Catherine Dorion parlant au micro

Nous sommes dans le fabuleux village de Lebourgneuf, avec ses avenues propres, son architecture qui hésite entre le style de Disneyworld et celui des blocs communistes d’Europe de l’Est, son absence absolue de piétons et l’imbattable commodité de ses bretelles facilitantes et de ses grands stationnements. Celui du Walmart est plein.

Je trouve un trou pour mon auto et je marche vers les grandes portes du magasin, entourée de familles qui se ressemblent : le même manteau style plein air avec, pour la version enfant, des motifs explosifs qui nous font nous demander, lorsqu’on les regarde trop longtemps, si quelqu’un n’a pas mis de l’acide dans notre café.

À l’intérieur, je suis vraiment excitée par les prix. Tout de suite, mon cortex se met au travail; il y a beaucoup, beaucoup de choix. Le savon à linge : liquide, en poudre ou en tits-mottons solides et lisses qu’on pitche dans la laveuse pour ne pas avoir à gérer la mesure d’une quantité de savon dans le bouchon? Et cette marque-là, plus chère, elle est vraiment meilleure ou juste plus connue? Bizarre, il y en a moins dans la bouteille – ah, ils ont des degrés de concentration différents… J’étudie ces questions avec une grande application. Quand mon choix mathématique et qualitatif de consommatrice rationnelle est fait et que je délaisse enfin le rayon des savons à linge pour continuer ma récolte, un savon à linge surprise nous saute dans la face au détour d’une autre allée : «Spécial de la semaine 3,99$». Toutes mes certitudes s’écroulent, il faut à nouveau tout reconsidérer.

Suit le choix de bobettes d’entraînement pour enfant, mais je suis déjà épuisée. La lumière des néons me vide soudainement, je veux dormir. Comment ils font, les gens? Ils décident tout simplement que c’est chez Walmart qu’ils investiront toute leur réserve hebdomadaire d’énergie mentale?

Mon ami veut un pyjama pour son garçon. On aperçoit de loin des racks entiers de pyjamas pour enfant. On se garoche, émoustillés par autant de choix. Sauf qu’il n’y a pas UN SEUL pyjama qui ne soit pas un produit dérivé d’une quelconque production de Disney™, de Marvel Comics™, de Lego™, de Barbie™ ou d’une autre compagnie-monstre cotée en bourse. Je pense au fait que toutes les nuits, les enfants sur lesquels aboutiront ces pyjamas fabriqués à l’autre bout du monde par des filles guère beaucoup plus âgées qu’eux vont dormir avec une grosse pub sur la poitrine. Vraiment, jusque dans l’intimité du coucher, du dodo, du lever le matin, de ces moments les plus tendres de la journée… on veut que ces multinationales énormes viennent nous pousser dans l’oeil leur produit dérivé?

Ce soir-là, après le bain, j’enfile à ma fille un joli petit pyjama de hibou qu’une autre maman m’a refilé, qui ne rappelle rien à personne, qui ne fait de la pub pour personne, qui laisse libre cours à l’imagination. Que fait ce hibou? Qu’est-ce qu’il aime? Pourquoi il veut être porté cette nuit? On pourra tout inventer et changer l’histoire autant de fois qu’on le voudra. On est encore, pour l’instant, libres de nos histoires. Tiens, je décide que je garderai pour les inventer une bonne partie de mon énergie mentale hebdomadaire (plus les moyens de magasiner chez Walmart, donc).

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