Impressions citadines : Nous vivons en télécratie

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

Les Québécois passent environ autant d’heures par jour à écouter la télévision qu’à travailler ou qu’à dormir. Une trentaine d’heures en moyenne par semaine. Pour les plus de 50 ans (qui représentent 40% de la population québécoise et qui sont aussi ceux qui votent le plus), c’est 45 heures par semaine – plus du quart de la journée. À 20h, la majorité (52%) des Québécois sont assis devant leur télé. Staline, qui alphabétisait les populations d’Asie centrale dans le but avoué de leur servir de la propagande écrite et de contrôler leurs élans collectifs, n’aurait pas pu imaginer mieux comme moyen.

Cette «activité» (ou «passivité») qui bouffe tant de temps aux Québécois en a, bien entendu, remplacé d’autres. À quoi s’adonnait-on au Québec avant la télé? Quelques archivistes amoureux de la culture populaire ont parcouru le pays il y a quelques décennies pour ramasser les chants, les danses et les contes des régions du Québec. Ces productions culturelles vernaculaires (qu’aucune industrie ou publicité n’avaient poussées dans la tête des gens) sourdaient directement du peuple : on ne savait même pas, la plupart du temps, qui en étaient les auteurs. Elles étaient chargées de valeurs, de préférences, de couleurs particulières, bref, d’identité. Et cette identité était populaire, non pas dans le sens qu’elle «pognait» auprès du peuple mais dans le sens qu’elle venait de lui et qu’elle vivait par lui. C’est lui qui la créait organiquement et qui choisissait ensuite, selon ses choix et ses préférences, d’en colporter et d’en transmettre tel aspect plutôt que tel autre.

Je suis convaincue que la télé a un énorme rôle à jouer dans notre déprime collective. Ses liens avec la déprime individuelle sont d’ailleurs documentés. Quand on passe quatre à six heures par jour à avaler stoïquement des images, des sons, des idées et des valeurs générées par un petit nombre de personnes dont l’objectif n’est pas de nourrir la masse en culture mais de faire des profits, notre psyché ne peut qu’en être fondamentalement altérée. Le philosophe Bernard Stiegler avance que ça atteint notre désir collectif de plein fouet, socialement et politiquement :

«Tout comme la captation du désir, détourné vers les marchandises, finit par le détruire, et finalement par transformer ces marchandises en supports de comportements addictifs, puis en dégoût, le marketing politique qui canalise la libido vers ses candidats aux responsabilités détruit cette libido.»

Toujours selon lui, cela est d’autant plus grave que cet espèce de dégoût du projet collectif que développent les représentants d’une culture mène à des régressions, des nostalgies amères et, finalement, une «désagrégation de la sphère nationale que ne vient remplacer aucune autre forme de civilité, sinon celle du marché – et c’est là précisément ce que l’on a appelé les «sociétés de marché».

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