Impressions citadines par Catherine Dorion: La mort expliquée aux enfants

Père-Grand

Elle n’osait pas toucher le corps. Son premier vrai contact avec la mort – ah, c’est faux. Il y avait eu ce cerf à moitié décomposé sur une plage de l’île d’Orléans, mais il avait l’air d’un toutou que des chiens avaient magané. Là, c’était notre Père-Grand qui était là, la bouche et les yeux entrouverts, plus impressionnant que jamais. (Oui, nous l’appelions Père-Grand.)

J’ai touché son visage tiède. Elle a compris que c’était permis, elle l’a flatté longuement. Elle m’a demandé pourquoi il faisait cette face-là. Je lui ai expliqué, en terminant par : « Père-Grand, il n’est plus dans son corps, il est parti ». Où est-il alors? Et comme un réflexe du fond de mon enfance cette réponse est sortie : dans le ciel, ma belle.

Je n’ai pas expliqué qu’il y avait des gens qui pensaient qu’il y avait un lieu où tous les morts se retrouvaient et d’autres gens qui pensaient qu’on s’endormait pour toujours et qu’on ne se réveillait plus et que l’affaire c’est qu’on ne savait pas. Je n’ai pas conclu par : « Toi, tu penses quoi? »

Parfois on écoute une chanson, et les mots « c’est rentré comme un clou, un couteau dans patate, la suture a tenu le coup, well let’s drink to that » décriront mieux la réalité que « j’ai ressenti une douleur psychologique intense mais non accablante et j’ai été plutôt satisfait de cet état de fait dans les circonstances ». Pourquoi? Parce que la première description émeut, vient chercher, et que la seconde laisse indifférent. Et que c’est d’émotions dont on veut parler.

La mort émeut, vient chercher.

Un proche m’a dit : « Es-tu sûre que tu veux lui mettre des mensonges dans la tête? »

Qu’en sais-tu, des mensonges? Quand un vieux livre saint dit : « Un énorme oiseau noir a caché tout le ciel pendant des lunes et l’eau a recouvert le monde entier », tu peux t’exclamer : « Bullshit! Ça se peut pas un oiseau grand comme ça!! ». Mais tu peux aussi supposer que c’est une description assez juste de ce qui s’est passé dans le coeur de ceux qui ont raconté, il y a longtemps, que le ciel était gris en titi et que tout ce qu’ils chérissaient avait été emporté par la rivière.

« Père-Grand est parti au ciel, il a retrouvé Pauline, il veillera sur nous maintenant » est peut-être la meilleure manière d’expliquer une chose à laquelle nous ne pouvons réfléchir sérieusement sans cet outil d’observation fondamental qui s’appelle la poésie. Et s’il y en a qui n’ont pas peur de la poésie, ce sont bien les enfants. (Et Père-Grand.)

Auprès du cadavre d’un homme aimé on lève les yeux vers le ciel et on interroge l’immensité, en silence. Voilà ce que c’est que la mort, mon amour.

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