Impressions citadines par Catherine Dorion : La vie à deux

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

Par cycles, il tombe amoureux d’une autre et se met à regarder sa blonde comme si elle était un vieux sac de linge traînant dans le couloir depuis il-ne-sait-plus-quand. S’ensuit un mouvement qui les fait tanguer, elle et lui, du côté de la rupture. Mais tout à coup la peur de l’inconnu le prend : une rupture, c’est gros, c’est comme changer de job ou changer de ville, ce n’est pas facile, certains en font des dépressions qui n’en finissent plus, on ne fait pas ça sur un coup de tête. Et puis cette fille nouvelle, si ça se trouve, elle le plantera là dans deux mois, il n’a aucune garantie.

Alors sa blonde lui apparaît soudainement comme la Terre-mère, le lit rassurant où s’endorment toutes ses angoisses. Elle est plantée dans son jardin pour y rester, c’est si bon d’être rassuré, de savoir qu’on ne sera pas seul, voilà sa vraie maison. Et comme par un ressac vertueux, après des mois de désintérêt à peu près complet à se branler en pensant à n’importe qui sauf à sa blonde, il dit à cette dernière qu’il l’aime comme il n’a jamais aimé personne et ils font l’amour presque passionnément. Enfin! Après cette phase de distance incompréhensible, ils sont finalement plus soudés que jamais. Et lui reste satisfait un petit moment, avec ce sentiment renouvelé d’avoir fait la chose qu’on lui a dit qu’il fallait faire, comme un jeune homosexuel se rassurerait d’avoir couché avec une fille et que tout fut fonctionnel, ou comme un jeune diplômé en relations internationales qui voulait parcourir le monde se rassurerait d’être entré au Ministère comme analyste derrière son ordi et grimperait tranquillement deux ou trois échelons (jusqu’à ce que le gouvernement coupe son poste).

La blonde, elle, attend son salut de lui. Quand il se fout d’elle, elle se ratatine. Quand il revient vers elle, elle se sent vivre. Lui est rassuré. Elle, jamais.

La blonde de Georges Bataille écrit : « La vie à deux vide de sa substance l’un des deux ». Nancy Huston écrit : « Selon la formule d’un ami québécois, quand deux êtres s’aiment, ils ne font bientôt plus qu’un ; le tout est de savoir lequel des deux. » Le plus souvent, mais pas toujours, c’est la fille qui se vide. Beaucoup de gars diront ici : « Ah, come on. » Dites. Pendant ce temps je me repais des doux mots d’Henry Miller qui affirme que « rares sont les hommes capables d’envisager leurs rapports avec une femme sous l’angle d’une lutte féconde. » Rares les femmes aussi. Quand l’un domine et que l’autre s’écrase, le mouvement meurt; on se retrouve avec deux personnes éteintes.

Comme dans tous les rapports sociaux, d’ailleurs. Dans le rapport que le peuple entretient avec les puissants. Il espère que ces derniers voudront bien lui donner un peu d’attention, quelques jobs, un regard, une raison de vivre. Et parce que le peuple ne lutte pas, il se vide de sa substance.

(C’est le joli petit livre de Francine Pelletier, Second début, dernier-né de la série Documents par l’équipe de Nouveau Projet, qui me fait penser à tout ça. Je vous le suggère.)

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