Au Théâtre La Bordée, Jean-Philippe Baril Guérard imagine avec Un nouveau jour un Québec souverain, lucide et désabusé, dans une comédie politique aussi hilarante qu’intelligente.
Et si le Québec avait enfin gagné son troisième référendum ? Trente ans après 1995, Un nouveau jour nous transporte dans un pays souverain, confiant, prêt à célébrer sa grandeur retrouvée. Mais célébrer une identité, rappelle Jean-Philippe Baril Guérard, suppose encore de savoir laquelle. Et c’est là que tout se complique.
Le pays comme campagne publicitaire
Le ministère de la Culture veut marquer la naissance du nouveau pays par un grand spectacle d’ouverture. Budget illimité, carte blanche, fierté nationale en jeu. Pour livrer la chose, on réunit quatre concepteurs flamboyants : un publicitaire cynique, une animatrice de talk-show, une universitaire en surchauffe et un réalisateur de documentaires élitistes.
Très vite, la commande vire au désastre. Que raconter, et surtout à qui ? Qu’est-ce que le Québec, une fois détaché du Canada ? Sous ses airs de comédie légère, la pièce devient une vertigineuse satire identitaire. Les mythes défilent : la nordicité, la social-démocratie, le « fait français »… et tombent un à un sous la mitraille. Jusqu’à accoucher de la sainte trinité du plus petit dénominateur commun : hockey, poutine, Céline.
L’écriture : un feu d’artifice verbal
L’écriture de Baril Guérard est d’une précision jubilatoire. Rythmée, dense, tranchante, elle file à cent à l’heure sans jamais perdre la cohérence du propos. Chaque réplique est un missile, chaque échange une collision contrôlée. On rit beaucoup, mais d’un rire lucide, parfois gêné.
Inutile d’avoir vécu le référendum : tout est accessible, limpide, et surtout drôle. L’auteur joue avec les slogans et les idées reçues comme avec un matériau de scène : il les recycle, les tord, les expose jusqu’à l’absurde. Comme dans Vous êtes animal, il poursuit sa réflexion sur la fiction comme miroir des illusions collectives : après la société du spectacle, voici la nation du spectacle.
Quand l’identité devient marketing
Le point le plus fascinant d’Un nouveau jour réside dans sa mise en scène de l’identité nationale comme produit à vendre. Le ministère confie à des communicateurs le soin de « dire qui nous sommes ». Résultat : tout devient storytelling et branding. Plus question d’histoire ni de mémoire ; il faut du rentable, du spectaculaire, du viral.
Cette immense vitrine culturelle, métaphore de notre rapport à la fierté nationale, expose surtout notre contradiction : célébrer la culture tout en la transformant en marchandise. À force de vouloir faire consensus, le discours collectif s’aplatit. On a rompu les chaînes, mais on a gardé les réflexes : produire, séduire, vendre.
Un huis clos d’idéologues
La mise en scène de Michel Nadeau renforce l’impression d’un enfermement idéologique. Dans un décor sobre, entre salle de réunion et plateau de tournage, les quatre protagonistes tournent en rond, prisonniers de leurs obsessions :
• le publicitaire voit dans la nation un marché à conquérir ;
• la vedette de télé noie tout dans l’émotion ;
• l’universitaire complexifie jusqu’à l’immobilité ;
• le documentariste s’enferme dans une érudition stérile.
Tout est parole, tout est posture. Ce huis clos devient le miroir d’un Québec fatigué de ses propres débats, tiraillé entre nostalgie du grand récit et cynisme postmoderne, entre désir d’unité et peur de l’autre.
L’humour comme scalpel
C’est là toute la réussite de Un nouveau jour : son humour. Brillant, jamais lourd, il dégonfle les dogmes sans méchanceté gratuite. Entre comédie grinçante à la Molière et théâtre de l’absurde, les répliques fusent comme des uppercuts. On passe la soirée à rire, souvent aux éclats, tout en mesurant la vacuité du discours collectif.
Baril Guérard ne ridiculise pas l’idée d’indépendance ; il s’interroge sur la difficulté de la raconter. Car avant d’être une réalité politique, toute nation est un récit — un roman collectif fait de choix et d’angles morts. Et une fois libéré du Canada, le Québec devrait encore apprendre à s’inventer lui-même.
Croire pour exister
La pièce trouve sa force dans ce paradoxe : pour exister collectivement, il faut parfois croire à un mensonge. Après Vous êtes animal, Baril Guérard pousse ici la logique jusqu’à l’échelle d’un peuple. La « fête nationale » du nouveau Québec devient un camouflage du doute par le faste. Plus on célèbre, plus on trahit l’angoisse de ne pas y croire.
Un nouveau jour réussit ainsi à faire rire du nationalisme sans mépris et à penser l’identité sans lourdeur. Une comédie politique éclatante, portée par une langue corrosive et une distribution exceptionnelle. Un spectacle nécessaire, hilarant et vertigineux; et une très belle réussite de la saison à La Bordée.

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