Au Diamant, le collectif L’Orchestre d’hommes-orchestres signe avec La mémoire de ma mère un concert-théâtre foisonnant et indiscipliné. Entre performance et rituel, la troupe explore ce que la mémoire conserve, oublie et réinvente, dans un geste aussi virtuose qu’inclassable.
Il y a quelque chose de séduisant dans l’idée de transformer la mémoire en musique et les souvenirs en objets sonores. Fidèle à son esprit libre, L’Orchestre d’hommes-orchestres (L’ODHO) s’y adonne avec un plaisir contagieux, déployant sur la grande scène du Diamant une chambre en fragments, encombrée de traces, de voix et d’échos. Cette « chambre » devient le lieu de l’intime : un espace où l’on entasse ses trésors, où l’on rêve et où l’on se réfugie. Peu à peu, le désordre s’installe, à l’image de la mémoire elle-même : les sons s’entrechoquent, les états se superposent. Le décor devient le miroir d’une mémoire vivante, « faite de répétitions, de sensations, de constats de transmission ».
Une mixtape sensorielle
On pourrait décrire La mémoire de ma mère comme une mixtape de l’univers de L’ODHO. Le collectif livre ici un concert introspectif, un théâtre du ressouvenir. Les six performeurs-musiciens alternent instruments classiques et trouvailles sonores, improvisations apparentes et organisation millimétrée. C’est une mécanique de précision sous l’apparente anarchie : de l’improvisation dans quelque chose d’hyper-organisé, où chaque geste compte.
La mémoire est ici abordée comme une collection d’instants dépareillés. « Qu’est-ce que la mémoire au présent, qu’est-ce qui va devenir mémoire ? », s’interrogent les artistes. Le spectacle évoque moins un passé figé qu’un processus en mouvement : un fil tiré d’un bout à l’autre de la scène, parfois même un fil rouge au sens propre comme au figuré.
Un concert d’émotions
Musicalement, le spectacle est splendide. Il s’ouvre sur What’ll I Do d’Harry Nilsson, reprise avec une délicatesse désarmante, avant de nous décoiffer avec The Cold Song, transfigurée bien au-delà de Klaus Nomi ou de Purcell. Ce sont des réinventions plus que des reprises : des trahisons assumées de la musique pour l’emmener ailleurs. L’ODHO cite, détourne, réorchestre, à la manière des compositeurs baroques qui rendaient hommage à leurs maîtres. C’est très réussi.
Entre l’intime et le collectif
« La première chose, ça a été le désir de ne pas s’identifier à une autre œuvre cette fois-ci, de se plonger dans quelque chose de personnel […], magnifier les choses qu’on a vécues puis les amener à la célébration de ces petites choses », confient les artistes. La grande scène du Diamant n’est pas toujours tendre avec l’intime, mais elle offre une qualité sonore exceptionnelle : chaque murmure, chaque silence s’y entend.
Cette création marque aussi un moment charnière pour le collectif, qui a fêté ses vingt ans en 2022. « On vit des transformations et on est dans une époque de notre vie, peut-être un point tournant, où le sujet de la mémoire était intéressant à regarder par en arrière et par en avant en même temps ». On sent cette envie de se retourner sur soi, de faire le point. Peut-être est-ce pour cela que La mémoire de ma mère touche davantage par ses intentions que par les émotions qu’elle peut susciter.
On quitte le Diamant porté par la richesse sonore et la précision des interprètes. À l’image de nos souvenirs qui se dispersent et se recomposent sans fin, la musique de La mémoire de ma mère demeure éclatante de vitalité et d’inventivité.
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