Clémence, des fleurs d’enfants pour grandes personnes : un jardin de mémoire à La Bordée

Jade Bruneau et Simon Frechette-Daoust dans Clémence, des fleurs d’enfants pour grandes personnes. Crédits photo: Nicola-Frank Vachon

À La Bordée, le Théâtre de l’Œil Ouvert propose un spectacle musical où l’œuvre de Clémence DesRochers prend racine dans un jardin scénique délicat. Clémence, des fleurs d’enfants pour grandes personnes, mis en scène et interprété par Jade Bruneau, combine chansons, monologues, confidences et textes originaux pour offrir un portrait sensible d’une artiste marquante de la culture québécoise.

Un portrait par fragments

Le spectacle ne cherche pas à présenter une biographie complète ni un hommage figé. Il s’agit plutôt d’une succession de vignettes qui explorent différents pans de la vie personnelle et artistique de Clémence DesRochers. En puisant dans ses chansons, ses textes et ses monologues, Jade Bruneau construit un récit impressionniste où les souvenirs surgissent au fil d’objets déterrés dans le jardin : une bouteille de vin blanc, une besace d’écolière, un téléphone en bakélite… Ces éléments, intégrés avec finesse à la scénographie, permettent au public d’entrer dans l’univers intime de Clémence sans lourdeur ni nostalgie excessive.

Le liant entre ces fragments est assuré par les textes de Laurence Régnier. Ils éclairent les relations que l’artiste entretenait avec ses proches, notamment son père, le poète Alfred DesRochers, sa mère et sa grand-mère… Et toutes les femmes qui ont pavé le chemin avant elle. Ces passages offrent un éclairage sur les sources d’inspiration de Clémence, profondément enracinées dans son environnement familial et dans les femmes qui ont marqué son quotidien.

Une parole féminine qui se transmet

Clémence DesRochers a été l’une des premières femmes à occuper l’espace public avec une parole artistique libre, drôle et tendre. Humoriste, poète, comédienne et chanteuse, elle a tracé la voie pour plusieurs générations d’artistes. Le spectacle rappelle ce rôle pionnier sans le souligner lourdement. Il met en lumière une forme de transmission intergénérationnelle, portée par l’interprétation de Jade Bruneau. Dotée d’une voix claire et maîtrisée, elle réinterprète les mots de Clémence sans les imiter, en laissant résonner leur sensibilité contemporaine.

Dans ce spectacle, la douceur n’a rien d’un geste naïf. Elle prend la forme d’une résistance au cynisme, d’une manière d’habiter le monde autrement. Les textes et les chansons rappellent à quel point l’œuvre de Clémence, souvent en apparence légère, est ancrée dans le réel social et traverse des enjeux liés à la condition féminine, à la famille, à la beauté du quotidien.

Un corps au service du récit

Bien que musical, le spectacle engage fortement le corps de l’interprète. Jade Bruneau évolue dans le jardin scénique avec une physicalité simple mais expressive. Ses gestes — planter, creuser, déterrer, manipuler les objets — rappellent que le travail de Clémence s’enracinait dans l’observation attentive du monde, des tics et des gestes, des gens ordinaires. Cette présence corporelle contribue à faire de la scène un espace vivant, où la mémoire se fabrique sous les yeux du public.

Entre poésie, humour et mise en scène épurée

Le jardin poétique imaginé pour le spectacle n’a rien de minimaliste, malgré la sobriété des moyens. La scénographie repose sur quelques objets, des images projetées, un piano et la présence discrète mais essentielle du musicien Marc-André Perron. Cette épure permet aux chansons et aux monologues de prendre toute leur ampleur, tout en laissant place à l’imaginaire du public.

Le résultat est un spectacle hybride qui passe sans heurts de la musique au récit, de l’humour à l’émotion, un peu à la manière dont Clémence elle-même naviguait entre les genres. On y retrouve l’équilibre délicat qui a marqué sa carrière : une capacité à faire naître le rire sans renoncer à la profondeur.

Un hommage vivant

Clémence, des fleurs d’enfants pour grandes personnes réussit à rendre hommage à une artiste incontournable sans tomber dans la sanctification ni la reproduction fidèle. Il s’agit plutôt d’un portrait vivant, qui donne envie de replonger dans l’œuvre de Clémence DesRochers, mais aussi de reconnaître l’héritage qu’elle a transmis à celles et ceux qui lui ont succédé.

En quittant la salle, le spectateur repart en chantonnant et avec une idée simple, évoquée à plusieurs reprises dans le spectacle : cultivons notre jardin. Un appel à prendre soin de ce qui nous nourrit, à laisser pousser la douceur, et à reconnaître la poésie quand elle surgit dans les gestes les plus quotidiens.

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