Le gouvernement du Québec a annoncé une réforme majeure de sa politique migratoire. Les seuils d’immigration seront réduits, le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) disparaît et des plafonds sont imposés à l’immigration temporaire. Une refonte aux multiples répercussions sociales et économiques, dans un contexte politique sensible.
Par Juliet Nicolas
Le ministre de l’Immigration, Jean‑François Roberge, a annoncé le 6 novembre une réduction des seuils d’immigration permanente à 45 000 personnes par an entre 2026 et 2029, soit environ 25 % de moins que la cible de 2025. Le plan fixe aussi des plafonds pour l’immigration temporaire : 65 000 travailleurs étrangers et 110 000 étudiants étrangers d’ici 2029.
Cette réforme s’accompagne de l’abolition des deux volets du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui offrait aux travailleurs temporaires et aux diplômés du Québec une voie directe vers le Certificat de sélection du Québec (CSQ), étape essentielle pour accéder ensuite à la résidence permanente.
Le gouvernement justifie ces mesures par la nécessité de respecter la capacité d’accueil du Québec et de réduire la pression sur les services publics, le logement et la place du français.
« Il ne faut jamais oublier qu’immigrer au Québec, c’est un privilège et non un droit. »
Jean-François Roberge, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, lors de la présentation du Plan d’immigration 2026‑2029.
Des parcours de vie fragilisés
Pour les résidents temporaires, c’est une rupture brutale qui soulève inquiétude et incertitude quant à leur avenir au Québec. Soraya Blouin, avocate spécialisée en immigration parle d’une « très grande déception ». Elle rappelle que de nombreux travailleurs et étudiants avaient bâti leur projet de vie autour du PEQ, qui offrait une voie directe vers le CSQ. Sa disparition prive des milliers de personnes d’un parcours vers la résidence permanente, alors qu’elles avaient déjà pris des décisions majeures. « Ce sont des humains et des familles qui avaient raisonnablement comme attente de pouvoir déposer une demande via le PEQ », souligne‑t‑elle.
Elle déplore également l’absence de mesures transitoires. Quelques mois de prolongation du PEQ auraient permis à ces personnes de présenter leur demande.
Des conséquences économiques majeures
Au-delà des parcours individuels, la réforme risque de fragiliser le marché du travail. Les entreprises, notamment en région, dépendent fortement de la main-d’œuvre immigrante pour combler des postes spécialisés. La réduction des seuils et le resserrement des permis de travail temporaires pourraient accentuer les pénuries.
À Montréal, l’effet est particulièrement visible. « Une entreprise qui travaille avec le même travailleur depuis deux, trois ans […] se retrouve vraiment sans option, ou à peu près, pour cette personne-là », souligne Me Blouin. Or, cette impasse illustre le paradoxe : Québec affirme vouloir stabiliser les personnes déjà installées, mais en même temps demande à Ottawa de réduire à 200 000 le nombre de résidents temporaires. Limitant encore davantage leurs chances d’accéder à la résidence permanente.
Le PSTQ, seule voie économique vers le CSQ
Présentement, le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) est la seule voie économique pilotée par le Québec pour obtenir un CSQ. Contrairement au PEQ, où les candidats pouvaient déposer directement leur demande, le PSTQ repose sur un système de déclaration d’intérêt via la plateforme Arrima. Les candidats doivent créer un profil, mais ils ne peuvent avancer dans le processus qu’à condition de recevoir une invitation du gouvernement.
Le gouvernement contrôle donc entièrement le volume et le rythme des invitations ainsi que les profils prioritaires. « Le gouvernement a carte blanche sur les invitations qu’il émet », résume Me Blouin. Les premières rondes d’invitations ont été jugées particulièrement restrictives, et les conditions restent obscures. Rien ne garantit qu’un candidat admissible sera effectivement choisi.
Exigences linguistiques
Les immigrants francophones doivent se soumettre à des examens de français, souvent jugés difficiles. À cela s’ajoutent les incohérences dans la reconnaissance des diplômes et expériences. Même un étudiant étranger diplômé d’une université québécoise doit passer un test de français pour déposer une déclaration d’intérêt au PSTQ. Ces exigences, combinées aux frais administratifs et aux délais de traitement, découragent de nombreux candidats.
Un climat de méfiance
La réforme alimente un sentiment de rupture de confiance entre l’État et les immigrants. Sur les réseaux sociaux, les témoignages de colère et de tristesse se multiplient. Me Blouin insiste sur l’impact psychologique : « L’instabilité liée au statut migratoire, ça nous suit au travail, ça nous suit en rentrant à la maison, ça nous suit même pendant notre sommeil. »
Cette réforme redessine le paysage migratoire du Québec. Elle illustre aussi que l’immigration demeure étroitement liée aux stratégies politiques. Pour Me Blouin, ce domaine devrait être dépolitisé afin de garantir des règles stables et prévisibles, à la hauteur des projets de vie que des milliers de personnes engagent au Québec.

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