JOB : un huis clos sous haute tension au Périscope

Jack Robitaille et Natalie Seguin dans JOB. Crédits photos : Emilie Dumais

Dans JOB, le Théâtre Niveau Parking plonge le spectateur dans un huis clos suffocant où la détresse psychologique devient miroir d’une génération en surchauffe. Portée par un texte dense de Max Wolf Friedlich et une mise en scène d’une précision chirurgicale signée Charles-Étienne Beaulne, cette pièce ausculte avec lucidité les dérives du monde du travail numérique et la fatigue existentielle qu’il engendre.

Janvier 2020. Jeanne, jeune employée brillante d’un géant de la tech, vient d’être victime d’une crise publique devenue virale. Pour éviter le congédiement, elle est forcée de consulter un psychologue, Edgar, d’une autre génération. Dès les premières secondes, le ton est donné : Jeanne entre dans son bureau en pointant une arme sur lui. La scène, d’une intensité rare, ouvre un huis clos où tout devient champ de bataille : le réel, le pouvoir, la santé mentale et la quête de sens.

JOB n’est pas qu’un thriller psychologique. C’est aussi une allégorie du monde contemporain, celui où la réussite s’est muée en religion et où la lucidité ressemble à une pathologie. Le titre joue d’ailleurs sur un double sens : job comme emploi, mais aussi Job comme la figure biblique de l’homme éprouvé par le malheur pour tester sa foi. Ici, la foi a changé d’objet : ce n’est plus Dieu qu’on implore, mais la productivité.

Une génération sous tension

Jeanne incarne la jeune professionnelle épuisée, nerveuse, surinformée, issue de la génération « zillennial ». Elle parle le langage de la Silicon Valley : efficacité, innovation, performance. Mais sous le vernis, une peur panique du vide. Elle veut retourner au travail à tout prix, non pas pour aller mieux, mais pour prouver qu’elle sert encore à quelque chose. « Être brillante, c’est overrated », lance-t-elle, comme pour se protéger d’elle-même.

Son interlocuteur, Edgar, croit encore au pouvoir de la parole, à la possibilité de comprendre et de soigner. Entre eux, la tension devient philosophique : lui cherche la vérité, elle cherche la validation.
Leurs dialogues se font armes, leurs silences abîmes.

Le bureau comme champ de bataille

Le décor de Marie-Pascale Chevarie, petit bureau cozy, bibliothèque rassurante et foisonnante, canapé confortable, devient une cage à double fond. Sous l’apparente normalité de la séance se déploie une dramaturgie du vertige, où les pannes de réalité et les flashbacks de Jeanne traduisent ses crises d’angoisse. Ces « bugs » scéniques, entre stridences sonores (signées Josué Beaucage) et éclats lumineux (Marie-Pier Faucher Bégin), rendent visibles les fractures mentales de l’héroïne. Le spectateur assiste à la matérialisation du stress post-traumatique, à une perte de repères que la mise en scène fait ressentir sans jamais la surligner.

Le texte de Friedlich, traduit avec finesse par Maureen Roberge, est dense, parfois bavard, mais toujours habité. Il multiplie les thèmes, déshumanisation du travail, fossés générationnels, célébrité virale, responsabilité sociale, sans jamais perdre de vue l’essentiel : ce besoin désespéré de sens dans un monde saturé d’informations.

Des interprètes à la hauteur du vertige

Jack Robitaille et Nathalie Seguin livrent une performance d’une belle intensité maîtrisée. Jeanne n’est jamais réduite à la caricature de la « jeune en crise », pas plus qu’Edgar au cliché du thérapeute paternaliste. Tous deux portent la tension entre contrôle et abandon, entre raison et vertige.

JOB secoue, dérange, et surtout résonne. Parce qu’on y reconnaît nos contradictions : l’impossibilité de décrocher, la culpabilité d’être fatigué, la peur de ne plus être productif. Le Théâtre Niveau Parking signe une œuvre dense, intelligente et troublante, où la tension psychologique se double d’une critique sociale d’une redoutable justesse.

À voir au Périscope, jusqu’au 29 novembre 2025.

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