Dans One Night Only, présenté à Premier Acte jusqu’au 8 novembre 2025, le collectif COMPLOT aborde les pensées suicidaires passives avec humour, lucidité et tendresse. Écrit par Nicholas Eddie, traduit et adapté par Miryam Amrouche, ce solo oscille entre le stand-up, la confession et la performance sonore. Un drôle d’objet scénique, à la fois intime et social, qui ausculte notre époque comme on passerait une IRM du mal-être contemporain.
Après un appel aussi absurde que troublant de la GRC, Marianne apprend qu’elle devra remettre, le lendemain matin, l’arme à feu de son père. D’ici là, il ne lui reste qu’à « ne rien faire de cave » pendant onze heures. Onze heures pour réfléchir à tout, à trop. Pour se demander si la vie vaut la peine… ou pas.
Sur scène, Miryam Amrouche livre une performance à la fois drôle, nerveuse et profondément humaine.
Seule, elle dialogue avec une voix off, sa petite voix intérieure, tour à tour complice et tortionnaire.
Le rythme est effréné : les idées s’enchaînent comme dans un flux de pensée, entre ironie et fragilité, au sein d’une nuit d’insomnie accélérée.
On y parle d’addiction aux écrans, de solitude, de la peur de vieillir, de la pression sociale à « aller bien ».
Le spectacle épouse la logique d’un cerveau en surchauffe, impossible à calmer. « Respirer par le nez », répète Marianne, comme si cette injonction suffisait à sauver quelqu’un du vertige.
Satire du bonheur obligatoire
Sous ses airs de confession intime, One Night Only est une satire féroce de la culture du bien-être et de la positivité toxique. Marianne imite les influenceuses qui vendent du bonheur en capsules, les coachs en épanouissement personnel et les gourous du self-care. Le moment du « ragoût des saines habitudes de vie », à base de sommeil, de yoga et d’âmes broyées finement, est d’ailleurs un des plus mordants et des plus lucides du spectacle. Le texte tout entier montre comment la recherche du bonheur devient une nouvelle forme d’oppression. Le self-care n’apaise plus : il isole, culpabilise, rend dépendant. Le rire, ici, agit comme un bouclier. Il permet de tenir debout malgré tout.
Un chaos maîtrisé, entre théâtre et stand-up
La mise en scène de Pierre-Olivier Roussel traduit ce désordre intérieur. La scénographie – des cubes blancs dispersés, des néons criards, une lumière blafarde – évoque une chambre, un salon ou un espace mental éclaté. One Night Only joue constamment avec la frontière entre théâtre et stand-up: Amrouche s’adresse directement au public, improvise, réagit, fait semblant d’arrêter la pièce pour que le public prenne sa pause (ou sa dose) pour vérifier son téléphone. Le spectacle devient une sorte de cabaret du malaise, où l’on rit d’abord, puis où le rire se fige.
C’est également un théâtre qui ne cherche pas à bousculer par plaisir. Dès le début, la comédienne explique la démarche, rassure, donne les traumavertissements d’usage, tout en rappelant que « c’est juste du théâtre ». Cette transparence crée une proximité bienveillante. On ne cherche pas à choquer, mais à ouvrir un espace où la vulnérabilité peut exister sans honte. Ce ton décalé empêche le pathos. On frôle ce que certains appellent le « théâtre du symptôme », celui qui montre la blessure sans toujours la dépasser, mais l’autodérision empêche de s’y enliser.
Le corps, la tension, la vie
Le corps de Miryam Amrouche traduit cette lutte intérieure. Chaque mouvement, chaque respiration devient une bataille entre la pulsion de mort et l’instinct de vie. Elle tente de se calmer par le yoga, de se recentrer, mais chaque tentative est aussitôt parasitée par l’angoisse. L’équilibre est impossible, et c’est tout le sens du spectacle : tenir malgré tout. Son jeu est d’une précision rare : électrique sans excès, pudique sans froideur. Elle incarne avec sincérité le chaos intérieur d’une génération qui a appris à rire de son propre épuisement.One Night Only parle d’une époque qui s’essouffle à vouloir aller bien. La pièce est l’occasion de voir le travail de toute une génération de jeunes créateur·rice·s post-pandémie, qui transforment la scène en lieu de parole sur la santé mentale, la peur de rater sa vie, la solitude connectée. Ce n’est pas du nombrilisme : c’est le reflet d’un monde saturé d’images et d’attentes.
La pièce ne prétend pas apporter de solution. Elle invite simplement à rester vivant jusqu’au matin, à continuer à rire, même dans le noir. Sous ses airs de cabaret déglingué, One Night Only agit comme une auscultation sensible de notre époque : une IRM du mal-être contemporain, menée avec humour et intelligence. Le collectif COMPLOT y trouve un ton juste : celui du désarroi lucide. On en ressort un peu étourdi, un peu ému, un peu troublé. Et surtout reconnaissant qu’un théâtre ose parler du vide sans le combler.

Commentez sur "One Night Only, solo percutant au Premier Acte"