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Les Açores : un voyage intérieur plein de lumière

Amélie Laprise dans Les Açores, au Périscope (octobre 2025). Crédits photo: Émilie Dumais.

Au Théâtre Périscope, la compagnie La Trâlée propose avec Les Açores un récit d’une grande douceur, où le théâtre d’objets devient le miroir d’une identité en reconstruction. Une œuvre sensible, poétique et profondément humaine, mise en scène par Lorraine Côté.

De la grande noirceur à la quête de soi

Est-ce que chaque histoire mérite d’être racontée ? Mélodie St-Laurent, double de scène d’Amélie Laprise, en doute profondément. La sienne, croit-elle, n’intéresse personne : une enfance au milieu de nulle part, un père colérique, une mère soumise, une jeunesse jetée dans la passion et la fuite, entre québec, Paris et New York. Et pourtant, de ce chaos intérieur naît un spectacle d’une délicatesse rare, où la douleur se fait poésie.

Le spectacle s’ouvre dans une église. Mélodie y entre comme on entre dans sa propre mémoire, entre les bancs de bois et les fantômes familiaux. Elle raconte d’abord l’histoire de ses grands-parents, au temps de la grande noirceur, quand les femmes étaient vouées au silence et à la maternité. Puis viennent ses parents, prisonniers de leurs propres blessures. Enfin, Mélodie parle d’elle et de ses sœurs, enfants d’un Québec en mutation, symboles d’une ascension vers la classe moyenne, mais aussi d’une quête d’identité sans ancrage. La pièce débute par un condensé de sociologie intime du Québec du XXe siècle, entre héritage religieux et désir d’émancipation.

Le théâtre d’objets pour désamorcer la douleur

Amélie Laprise porte ce projet depuis près de dix ans. Les Açores est à la fois un récit initiatique et un geste de compréhension. Elle y retrace le chemin qui l’a menée à un diagnostic de trouble de la personnalité limite, non pas comme une fin, mais comme un point de départ. Plutôt que d’enfermer la pathologie dans un mot, elle en fait une carte du monde intérieur, nourrie par Miron et Apollinaire, entre lyrisme et lucidité.

Sur scène, les objets deviennent les miroirs d’une identité fragile et morcelée. Ce sont des éclats de vie, des reliques transportées dans un sac à dos, des monuments de poche destinés à créer et nourrir les souvenirs. Sous les doigts d’Amélie Laprise, ils ordonnent le chaos, matérialisent l’émotion et donnent corps à ce qui ne pouvait se dire autrement.

Le théâtre d’objets agit ici comme un langage de substitution. Il permet de parler de santé mentale sans sombrer dans la confession, de désamorcer le pathos par la poésie du geste. Les objets apparaissent et disparaissent comme des pensées qui se déposent au fond d’un esprit agité. Les Açores brosse ainsi le portrait intime, et universel, d’une naissance à soi.

Une mise en scène lumineuse et incarnée

Sous la direction sensible de Lorraine Côté, le studio Marc Doré se transforme tour à tour en église, en avion, en musée, en paysage appalachien, new-yorkais ou parisien. Les projections et les jeux d’ombres composent une scénographie d’une beauté cinématographique. Chaque lumière ouvre un passage, chaque couleur devient un état d’âme.

La musique, jouée en direct par Marjorie Fiset, tisse un cocon sonore, un contrepoint émotionnel discret mais essentiel. Elle soutient les mots, respire avec eux, et transforme les sons en paysages. Par ce dialogue entre voix, lumière et musique, le spectacle touche à quelque chose de rare : une harmonie entre la matière et l’émotion.

Entre le « je » et le « elle »

La langue d’Amélie Laprise est dense, charnelle, traversée par la religion : le Christ, la croix, la cène, la résurrection. Ces images ne prêchent pas, elles incarnent. Chacun porte sa croix comme chacun porte son histoire. Le Petit Robert devient sa bible, son guide de survie. Mais Les Açores dépasse la simple confession. L’autrice-actrice oscille entre la première et la troisième personne, entre le « je » qui se met à nu et le « elle » qui se regarde faire. Ce dédoublement crée une distance salutaire : le récit devient un espace d’exploration plutôt qu’un exutoire. En livrant sa version d’elle-même, fragmentée mais lucide, Amélie Laprise ne cherche pas seulement à se raconter. Elle cherche à se reconnaître. Et c’est dans ce regard partagé, dans la possibilité que d’autres se voient en elle, que réside la beauté de son geste artistique.

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