Présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 27 septembre, la pièce Ici par hasard aborde le suicide et le deuil avec une intelligence rare. Entre humour noir, tendresse et fantaisie, Carolanne Foucher signe un texte bouleversant porté par une distribution complice.
Pascaline Lamare (collaboration spéciale)
Trois frères et sœurs se réunissent au chalet familial pour disperser les cendres d’Irène. Mais rien ne se passe comme prévu : un coup de vent envoie les restes dans la bay-window-qui-a-coûté-vraiment-cher-aux-parents. Et soudain, Irène refait surface. Elle est morte, ils le savent, elle le sait, mais elle revient pour parler, rire, reprendre les choses comme si la vie avait suivi son cours.
C’est le point de départ d’Ici par hasard, une pièce de Carolanne Foucher qui jongle avec le drame et la comédie.
Dès l’ouverture, l’autrice et comédienne installe le ton : Irène, pleine d’énergie, anime un cours de zumba. La scène suivante nous la ramène un an après son suicide, convoquée par les cendres qui envahissent littéralement l’espace. Sur scène, morts et vivants se touchent, s’enlacent, se parlent. Irène a même une odeur, celle de la maison d’enfance. Elle incarne ce passé que la fratrie tente de retenir, mais qui s’échappe déjà. Qui doit s’échapper.
Le deuil, un luxe des vivants
Le propos frappe juste. Qui n’a pas rêvé de parler une dernière fois à un disparu ? La pièce rappelle une vérité brutale : le deuil est un luxe réservé aux vivants. Les morts, eux, n’avancent plus. Loin des clichés sur les étapes du deuil, le texte s’attarde aux contradictions des relations familiales : amour, rancune, colère, tendresse. Les dialogues, dans une langue contemporaine et naturelle, oscillent entre l’absurde et le poignant. « Est-ce qu’on va recrever quand tu vas remourir ? », lance André, le frère, à sa sœur retrouvée. Une réplique à la fois drôle et déchirante, à l’image du spectacle.

Un théâtre qui ose le tabou
Le théâtre permet de dire ce que la société tait. Le suicide, encore entouré de tabous, trouve ici une scène pour être nommé et traversé collectivement. Irène ne se contente pas d’être une absence : elle revient, joyeuse, pour dialoguer. Ce qui est impossible dans la vie devient possible sur scène.
Cette présence fantomatique permet de revisiter la douleur des proches, avec leurs colères et leurs tendresses. Par le rire et la poésie des dialogues, Ici par hasard allège le poids du tragique et ouvre un espace de respiration.
Une mise en scène sensible
La mise en scène de Cédrik Lapratte-Roy appuie ce va-et-vient entre réel et fantastique. Les cendres envahissent le plateau comme une métaphore de la mémoire familiale : impossible à contenir, persistante, collante. Le chalet devient à la fois port d’attache et espace de fractures.
Quant au texte de Carolanne Foucher, il surprend par sa maturité et sa justesse. Direct, ancré dans une langue d’aujourd’hui, il résonne immédiatement.
La réussite de la pièce tient aussi à la distribution. Carolanne Foucher (Irène), Mary-Lee Picknell (Olga), Odile Gagné-Roy (Macha) et Simon Beaulé-Bulman (André) forment une fratrie crédible. Jeunes, fragiles, expressifs mais sans excès, ils font véritablement famille. Leur complicité est palpable, dans les silences comme dans les rires.
Une pièce pour les vivants
Au final, Ici par hasard n’est pas un spectacle sur la mort, mais sur ceux qui restent. Ceux qui se déchirent, qui rient, qui cherchent la pièce manquante d’un puzzle familial.
Avec humour noir et tendresse, la pièce rappelle que le deuil n’est pas linéaire et que l’amour peut survivre aux absences, même quand il se dit maladroitement. Touchante et profondément humaine, cette création confirme la voix singulière de Carolanne Foucher dans le paysage théâtral actuel.
On lire ou entendre Pascaline Lamare sur :
- CKIA FM, la radio citoyenne de Québec: https://ckiafm.org/
- Murmures sur les planches, l’actualité du théâtre à Québec: https://murmuressurlesplanches.substack.com
- Le Bourdon du Faubourg, l’actualité locale du quartier Saint-Jean-Baptiste: https://bourdonmedia.org/
- Le Comptoir de Titam : https://lecomptoirdetitam.wordpress.com/
- Le beau siècle (portraits des 17ème et 18ème siècles): http://titam.tumblr.com/
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