Alors que le gouvernement québécois propose un encadrement plus strict des sites de consommation supervisée, les organismes communautaires réagissent. Notamment, le RAIIC qui regroupe plusieurs acteurs œuvrant auprès des personnes en situation d’itinérance dans la région de Québec. Il dénonce un projet de loi qui risque d’affaiblir des services vitaux, de déplacer les enjeux dans l’espace public et d’ignorer l’expertise développée sur le terrain.
Par Juliet Nicolas
Une loi controversée
Déposé en mai dernier, le projet de loi 103 vise à encadrer davantage les sites de consommation supervisée. Notamment ceux gérés par des organismes communautaires. Parmi les mesures proposées : l’interdiction d’implanter un site à moins de 150 mètres d’une école ou d’un service de garde, des exigences administratives accrues et un pouvoir discrétionnaire renforcé pour le ministre de la Sécurité publique.
Présentée comme une réponse aux tensions sociales liées à l’itinérance visible, cette loi suscite de vives inquiétudes dans le réseau communautaire. Le RAIIC redoute des effets contraires aux objectifs visés, aggravant la marginalisation plutôt que de contribuer à une meilleure cohabitation.
Des causes ignorées
Le RAIIC reconnaît les enjeux soulevés par la cohabitation urbaine, mais critique les fondements idéologiques et une approche déconnectée du terrain. « Ce sont les idéologies sous-jacentes qui nous questionnent », affirme sa coordonnatrice, Mary-Lee Plante. Loin d’être opposé à l’idée d’un meilleur vivre-ensemble, l’organisme déplore une logique de contrôle et de déplacement, plutôt qu’un véritable soutien aux solutions existantes.
À ses yeux, les enjeux de cohabitation sont d’abord liés à une pénurie généralisée de ressources : hébergement, accompagnement psychosocial, soins de santé de proximité. « Le problème, ce n’est pas la présence des ressources, c’est leur insuffisance », insiste la coordonnatrice. Le manque de lieux d’accueil crée des tensions localisées, accentuées par une hausse rapide de l’itinérance que les organismes peinent à suivre.
Des services à bout de souffle
Le projet de loi 103 risque de freiner le développement de nouveaux services et de fragiliser ceux qui existent déjà. À Saint-Roch, par exemple, le site Interzone offre un espace sécuritaire de consommation encadrée. Ce site est essentiel à la réduction des surdoses et à l’accompagnement des personnes marginalisées. Né d’un long processus de concertation, il incarne une réponse concrète à des besoins urgents — difficilement remplaçable dans le contexte actuel
Mais en imposant des critères territoriaux uniformes — comme la règle des 150 mètres — la loi ignore les réalités urbaines locales. À Québec, une école et un site peuvent se trouver de part et d’autre d’une rivière, sans réel risque de proximité. « C’est une règle rigide dans un contexte qui demande de la nuance », résume la coordonnatrice.
Aggraver les risques
L’encadrement proposé pourrait également forcer le déplacement de certains services vers des zones plus éloignées des milieux de vie des personnes concernées. Or, celles-ci n’ont pas toujours les moyens ou la capacité de se déplacer. « Les gens ne vont pas arrêter de consommer parce qu’on a restreint l’accès — ils vont simplement consommer ailleurs, dans des conditions plus dangereuses. »
Le risque ? Une hausse de la consommation dans les lieux publics, une pression accrue sur le voisinage, et une hausse du nombre de surdoses. Dans un contexte de crise des opioïdes, le RAIIC rappelle que les sites existants sauvent littéralement des vies. En effet depuis leur mise en place, il n’y a eu aucune surdose mortelle dans ces espaces.
Une expertise reléguée
Le projet de loi impose ses contraintes uniquement aux sites opérés par des organismes communautaires, et non à ceux gérés par Santé Québec. Pour le RAIIC, cela crée une hiérarchisation injustifiée des expertises. Pourtant, c’est dans le communautaire que se sont développées les pratiques les plus innovantes en réduction des méfaits.
Ces lieux s’appuient sur des équipes mixtes composées intervenants psychosociaux, professionnels de la santé et pairs aidants. Ensemble, ils offrent un accompagnement individualisé et respectueux, dans un environnement qui tient compte du vécu des personnes. Le lien de confiance qui s’y établit est souvent long à bâtir, mais essentiel.
Appel au dialogue
Face aux tensions croissantes dans l’espace public, le RAIIC appelle à une réponse collective et structurante. Il refuse d’entrer dans une logique de confrontation entre citoyens logés et personnes marginalisées. « L’idée, c’est de s’allier, pas de se diviser », insiste sa coordonnatrice.
Pour l’organisme, améliorer les conditions de vie des personnes en situation d’itinérance profite à l’ensemble de la société. En effet, en réduisant les inégalités, on renforce sans conteste la cohésion sociale. En outre, le RAIIC encourage les citoyennes et citoyens à se renseigner, à dialoguer avec les acteurs du milieu et à faire entendre leur voix pour défendre des solutions durables. « Chacun a un pouvoir d’agir. Et on a tout à gagner à le mettre en commun. »
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