Monopole d’influence

Impressions citadines par Catherine DorionCatherine Dorion

Bonnes gens, c’est important : lisez le livre de Gabriel Nadeau-Dubois, «Tenir tête», chez Lux, que vous détestiez ou admiriez l’auteur. Un point de vue que les médias traditionnels n’ont finalement jamais transmis aux Québécois.

Et je réfléchis. Aucune ligne claire ne sépare le véritable État de droit (qui garantit aux citoyens la possibilité de participer activement à la fabrication de leur histoire au lieu de la laisser à une gang qui ne voit leur pays que comme un panier de ressources naturelles et humaines à exploiter à son avantage), aucune ligne claire, donc, ne sépare le véritable État de droit de la dictature répressive. Un million de niveaux de gris se situent entre les deux. Je sais que, depuis que je suis assez grande pour saisir ce qui se passe chez nous, nous glissons doucement vers la seconde. Et il n’y aura pas de signal d’alarme pour nous dire soudainement : «HÉ HO! Nous avons basculé du côté obscur!»

En fait, non, c’est faux; le signal d’alarme se fait déjà entendre, il est déjà là, il résonne doucement et à mesure que nous continuerons à glisser il se fera plus insistant, plus fort, plus incontournable.

Le problème, c’est que l’oreille s’accoutume. Comme disait Beckett : «L’air est plein de nos cris. Mais l’habitude est une grande sourdine.»

Finalement, la loi spéciale répondait à la peur de ceux qui ne voulaient pas perdre la situation enviable qu’ils avaient obtenue dans notre société telle qu’organisée, avec ses passe-droits acquis, ses warp-zone vers les postes intéressants dans les médias, en politique ou ailleurs. Cette loi répondait à leur angoisse qui s’exprimait de plus en plus violemment à mesure que la tension montait. Rendre les manifestations illégales (C’était quoi l’idée? Oui au droit de manifester sauf si un réel changement social devient possible?) trahissait le désir sourd de ces gens-là, celui de nous tenir tous dans le seul endroit où le débat politique devrait selon eux avoir lieu : dans nos salons, divisés devant nos télés, devant le message qu’ils ont concocté pour nous. Ce que cette loi a laissé voir, c’est leur désir angoissé d’être les seuls à déterminer la teneur du «débat public», c’est leur anxieux attachement à leur monopole d’influence sur la psyché collective québécoise.

Ils ont tiré sur tous les leviers qu’ils possédaient. Et ce sont les créateurs de politique à venir qui occuperont l’autre extrémité de ce jeu de souque à la corde. Se laisseront-ils porter par le courant ou se mettront-ils à créer?